Eclairage

Caricatures de Mohamed:

Une liberté de presse mal définie !*

Les Libres ont mis en débat scientifique et déontologique l’affaire des caricatures de Mohamed. « On dit souvent « la liberté d’expression, on ne touche pas » c’était au centre de débat, or cette liberté est limitée aujourd’hui par certains nombres de loi et de codes déontologique. » explique Sylvie Arsever.
Ihsan Kurt

Beaucoup d’encre a coulé après la publication des caricatures de Mohamed dans le journal danois Jyllands Posten le 30 septembre dernier. Beaucoup d’amalgames ont été faits autour « de l’affaire des caricatures ». A part des débats médiatiques, les milieux académiques aussi ont débattu encore une fois «la religion, la laïcité et la liberté de la presse ». Les journalistes libres romands ( JRL) (un groupe de travail d’Impressum) a organisé une conférence sur « La liberté de la presse et ses limites » le 8 mars dernier à Lausanne.

Comme l’actualité de la liberté de presse de ce moment concernait les caricatures du Prophète de l’islam, les intervenants, soient le professeur de Linguistique à l’Université de Neuchâtel (UNINE) et Sylvie Arsever, journaliste, Vice- présidente du Conseil suisse de la presse, ont fait leur exposé sur les caricatures de Mohamed publiées dans le journal danois et les réactions violentes des mouvements islamistes dans le monde. « J’ai eu le sentiment que les médias comme les fleurs au fusil ont défendu les caricaturistes. Ils ont pris en cheval de bataille de la liberté de presse » dit le professeur de Saussure. Et Sylvie Arsever constate que  la liberté de presse est considérée comme quelque chose qu’on ne touche pas, « Pourtant elle est limitée par un certain nombre de lois et de codes déontologiques » dit-elle.

Selon le professeur de Saussure, les raisons pour lesquelles les médias ont pris la défense des caricaturistes sont le fait que la liberté d’expression elle-même est considérée comme une valeur absolue en Occident et que cette liberté est impliquée par le journaliste lui-même. « C’est important pour la presse de dire ce qu’elle pense. C’est un besoin comme de médicament pour la presse » dit-il. Le linguiste analyse ce débat public en se posant la question suivante : Quelle  donc est la limite éthique et valeur sociale de cette liberté ? « La liberté est très floue, abstraite. Elle est mal définie. A part son sens premier, il y a aussi des connotations. Valeur en soi comme liberté et valeur professionnelle sont trop floues. Elles peuvent devenir comme un serpent qui se mord la queue. Je crois que le journaliste lui-même peut décider où il doit s’arrêter » explique-t-il.

Le professeur de Saussure a souligné l’importance des équilibres sociaux et le respect d’ autrui dans la défense de la liberté. Pour lui, l’Esprit des Lumières était important dans la définition des limites de la liberté. Par contre, ceci ne devrait pas permettre ni de diffamer ni d’insulter. « On a pas le droit de porter atteinte à l’image des individus, mais celle-ci est en même temps très subjectives »souligne-t-il. Il a également a relevé le manque de compréhension et de distance de la communication interculturelle dans le débat. « La société occidentale ne peut pas décider toute seule, dans le cas de respecter les minorités. Notre société s’est désacralisée depuis la Révolution et des Lumières. Je crois qu’on ne comprend pas et on est incapable de comprendre d’où vient le problème car à cause des Lumières notre culture nous a rendus en même temps incapables de comprendre ce problème » Comme solution, il proposa le dialogue entre les civilisations, car l’Islam était une partie du christianisme.

Une liberté variée
Sylvie Arsever a éclairci les auditeurs au niveau déontologique. Elle dit que les valeurs de liberté sont variées d’une société à l’autre. Et dans certains pays musulmans, la liberté est comprise comme la liberté envers la confession donc la protection de la sphère privée. Dans le contexte de la Suisse il n’y a pas de thèmes que la caricature ne pourrait aborder. «Mais certains règles déontologiques doivent être appliquées. C’est-à-dire à travers l’exagération on doit dire la vérité en tenant compte du respect de la religion et de celui de la personnalité.» dit-elle. Ayant donné certains exemples de cas arrivés devant le Conseil suisse de presse, Sylvie Arsever explique qu’il fallait utiliser les symboles religieux sans les déformer et sans les rendre irrespectables. Les groupes ont aussi le droit de ne pas être atteints dans leurs images. « Plus le climat est raciste plus il faut être prudent. Le climat de haine nécessite  d’être prudent dans les clichés qui déclinent un groupe »dit-elle. « Elles étaient ni belles ni drôles » conclut la journaliste.

Théâtre

Rome, festive et particulière

Viviana von Allmen 
Ce lundi au Théâtre Palace à Bienne le cinéma culte italien est sur la scène. «Une journée particulière» d’Ettore Scola. L’auteur passe à la réalisation en 1964 et s’impose peu à peu comme un maître du cinéma italien sans s’enfermer dans la comédie où pourtant il excelle. L’adaptation du film pour la scène est signée par Gigliola Fantoni et Ruggero Maccari. Ils montrent une comédie intelligente et populaire, pleine d’humanité qui raconte une histoire à la fois fortement politique et légère, publique et privée. La mise en scène de Claude Pélopidas est vraie et fait vivre des moments marqués de profondeur et de variétés. Un seul décor déguisé en deux appartements et une concierge, interprétée par Claudine Usaï, parfaite dans ce rôle, permettent à cette journée de commencer dans une lumière éclatante du soleil de l’Italie. Des flashs étincelants mettent en place le caractère foncièrement réaliste du mini-drame. Le tout nourri d’une musique italienne. Nous sommes le 8 mai 1938, le Chancelier Adolf Hitler rend visite à son voisin le Duce Benito Mussolini. D’un côté c’est la réunion de deux êtres solitaires et malheureux. Une autre réalité montre un homme, une femme, presque isolés dans un immeuble déserté pour cause du défilé du Duce. Que pouvait-il se passer ? Peu de choses. Les conventions sont si lourdes à Rome en ces temps de dictature fasciste que même les plus audacieux n’envisagent pas de défrayer la rumeur. Ainsi, le jeune homosexuel du premier étage, ex-speaker à la radio, stigmatisé de partout pour ses mœurs dépravées, avait prévu en ce jour de rester à nouveau seul, dans cet appartement prêté pour survivre. Et pourtant, le sort l’aura voulu autrement. Suite à la fuite du petit perroquet de sa voisine, mère de famille encombrée de travaux ingrats, cette « journée particulière » lui restera longtemps en mémoire. La maladroite ingénuité d’Antonietta est jouée par Emilie Roudil, en femme soumise dans la société machiste et fasciste de l’époque. Malgré son fardeau ou à cause de celui-ci elle se laisse séduire par Gabriele, magnifiquement interprété par Claude Pélopidas, qui pourtant lui crie sa condition d’homosexuel. Ce couple particulier rend parfaitement la situation de souffrance de tous ceux qui, mis au ban de la société, ne savent plus comment se battre et ne peuvent qu’être spectateurs de leur mal être. Même une relation charnelle ne viendra pas améliorer leur situation. Un spectacle qui touche particulièrement, un réquisitoire contre l’intolérance, un ton juste et sobre, la rencontre de deux solitudes.