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Des draps blancs contre la publicité abusive

Dans l’ombre de la nuit du 1er au 2 juin plus de quatre-vingts affiches publicitaires sont recouvertes de nappes blanches dans le littoral neuchâtelois.  Il s’agit de créer des «Zones Autonomes Temporaires», des zones libérées de publicité, comme l’explique un communiqué de presse le lendemain. Début novembre l’affaire passe en justice. Considéré comme l’instigateur des cette action «anti-consumériste», David L’Epée, président du groupe Jeunesse SolidaritéS, comparaît devant le Tribunal de Police. Le procès ne permet pas d’établir les faits de dommage à la propriété, et David L’Epée est acquitté sous condition de ne pas recommencer.
Steve Remesch

Avec quelques mois de recul, David L’Epée considère l’action spectaculaire du début de juin comme un franc succès. «Nous avons réussi à sensibiliser l’opinion publique. C’était le but de l’action», explique-t-il. «Pour faire comprendre aux gens l’étendue de l’espace occupé par la publicité, nous l’avons couvert de papier blanc.» Le blanc serait une couleur qui interpellerait d’avantage à  cause de son uniformité. Le principe n’est pas nouveau. Depuis des dizaines d’années, de telles actions sont menées à travers le monde. David L’Epée insiste sur le principe de la non-violence : «Si certains agissent par des actes de vandalisme, nous avons appliqué quant à nous un procédé qui empêche la publicité d’atteindre son but, sans endommager les supports publicitaires.»

Le 2 juin, vers trois heures du matin, quatre équipes, avec un total d’une vingtaine de personnes, se mobilisent simultanément dans divers quartiers du littoral neuchâtelois pour atteindre un maximum de cibles en peu de temps. Tous ont un trajet bien planifié, dont le critère principal est la visibilité. Les affiches longeant les trajets de bus sont particulièrement visées.

Le groupe de David L’Epée part à Corcelles, pour suivre une longue ligne droite et atteindre le centre de Neuchâtel. Le trajet est particulièrement exposé et le risque de se faire interpeller par les forces de l’ordre particulièrement élevé. «Nous étions tous parfaitement conscients des risques que nous courrions», explique le président de Jeunesse SolidaritéS. Quand une patrouille de police surprend son groupe, celui-ci se disperse pour échapper à une éventuelle arrestation. David L’Epée est le seul à être interpellé. Après avoir expliqué le but de l’action aux policiers, ces derniers constatent que cette action risque de ne pas plaire aux annonceurs.

Dans les jours suivant cette action spectaculaire, la Société Générale d’Affichage (SGA) dépose plainte pour dommage à la propriété. David L’Epée est assez étonné de ces accusations : «La méthode appliquée pour voiler les affiches publicitaires a été particulièrement choisie pour ne pas endommager les supports publicitaires. Des nappes de papier étaient scotchées sur les bords des panneaux. Par conséquent, je m’attendais plutôt à une plainte pour préjudice moral subi par la S.G.A. privée de visibilité pendant une demi-journée.» L’enquête policière établit elle-aussi qu’il n’y avait pas de déprédations.

Lors du procès du 10 novembre, le juge explique au prévenu, que même s’il n’y avait pas d’atteinte physique, on pourrait envisager une extension du domaine de propriété à une forme d’atteinte à la propriété informelle, du fait que les annonces n’étaient pas visibles pendant plusieurs heures. Le président du Tribunal Pierre Aubert constate donc bel et bien une atteinte à la propriété du fait que l’état des affiches publicitaires avait été modifié temporairement. Par conséquent le ministère public demande une amende de 400 francs pour réparer le préjudice. Finalement, les différentes parties impliquées tombent d’accord sur un arrangement. Les plaignants renoncent à l’action en justice, contre la promesse de David L’Epée de ne plus participer à de telles actions.
StR

Photos: Steve Remesch

 

Édito

Les méfaits de la Pub

Viviana von Allmen
Duper l’opinion et plier les autorités aux intérêts des grands groupes industriels est un métier qui porte un nom : le lobbying. Ceux-ci se servent des publicitaires pour manipuler le grand public. Et si vous attendez auprès de nos pouvoirs publics et de nos parlementaires pour limiter l’intrusion publicitaire, vous pouvez toujours attendre. Les lobbys, les corporatismes et les marchands du temple ne font pas bon ménage avec la démocratie.
Les agences de communication sont les fondements d’une spirale infernale à la consommation. À mesure que la publicité s’instaure, elle raconte des histoires, édifie le monde corporatif lui-même en tant que participant de l’Histoire, acteur légitime de la culture et citoyen de la société à part entière, son champ d’action s’agrandit non pas seulement pour faire connaître une marque de commerce ou promouvoir un produit, mais pour réécrire l’histoire et modeler les opinions. La publicité ne cesse d’étendre son empire. Nous sommes chaque jour soumis à plus de trois mille messages publicitaires. Jusqu’où ira ce bombardement ? En Suisse, plus de vingt-cinq milliards de francs sont investis par an en publicité – soit 10% de l’endettement de la Confédération! Qu’y a-t-il là de si décisif pour qu’on y consacre tant d’argent, de talent et d’énergie ? C’est que la croissance est indispensable pour entretenir la santé de l’économie. Or, on ne peut produire toujours plus de marchandises sans produire en même temps les envies qui permettent de les écouler. Les publicitaires sont chargés de nous inoculer ces envies. Non seulement on nous somme de participer à la production croissante de marchandises, mais avec la publicité nous sommes tenus d’en assurer l’écoulement, jusqu’à la nausée. Les agences de communication expliquent que le système publicitaire est indispensable à l’expansion du consumérisme et du productivisme. Mais elles ne soucient pas des conséquences catastrophiques pour les hommes comme pour la nature. La publicité est le carburant idéologique de ce saccage : elle nous incite sans cesse à consommer tout en nous aveuglant sur les conséquences de cette hyperconsommation. Il ne faut donc pas en rester à une critique moralisante des « excès » de la publicité. Il faut plutôt s’attacher à comprendre comment elle diffuse un mode de vie qui contribue à l’appauvrissement de la vie. Les excès si décriés apparaîtront alors sous leur jour véritable : les dernières percées d’une offensive qui, depuis trop longtemps, participe à la dévastation du monde.