Ski alpin

Justin Murisier : « J’ai appris à être patient »

Victime cet été d’une rupture du ligament croisé antérieur du genou droit, le skieur du Val de Bagnes a vécu une deuxième saison blanche consécutive cet hiver. Alors qu’il s’était blessé lors d’un match de football au mois de septembre 2011, son genou a à nouveau lâché une année plus tard lors d’un entraînement en Argentine. Le spécialiste de technique de 22 ans envisage pourtant l’avenir avec sérénité et lucidité. Il a reçu Larticle.ch à Macolin, deux semaines avant de remonter sur les skis.

Propos recueillis par Raphael Crettol

Larticle.ch : A deux semaines de chausser les lattes, comment se porte ton genou ?

Justin Murisier : J’ai encore beaucoup de douleurs par rapport à l’année passée à la même période, mais la rééducation se passe normalement. Je ne suis pas en retard dans le programme. Pour une telle blessure, on dit qu’il faut 6 mois avant de pouvoir à nouveau skier. Mais c’est vrai que les douleurs m’empêchent de m’entraîner à 100%.

L.ch : Tu skieras donc avec des douleurs les premiers jours ?

J. M. : Les médecins disent que ça peut prendre jusqu’à 14 mois jusqu’à ce que je ne ressente plus de douleurs ! Ca peut donc aller jusqu’au mois de novembre avant que je n’aies plus mal…

L.ch : Cette rééducation est encore plus dure que la première ou, au contraire, est-ce que tu relativises plus facilement ?

J. M. : C’est très dur parce que tu te retrouves deux ans hors de la compétition, tu te sens hors de l’équipe. Tu t’entraînes hyper dur, mais tu ne sais pas ce que sont tes buts puisque ça fait deux ans que tu as arrêté.

L.ch : Durant la rééducation, tu as plus souffert sur le plan mental ou physique ?

J. M. : Au début, c’est mental. C’est difficile de te motiver quand tu viens de faire six mois d’entraînement à fond pour revenir, tu es au top et tu te recasses le même genou… Les premiers mois étaient les plus durs, mais la motivation est progressivement revenue à mesure que j’avançais dans ma rééducation.  Plus tard, c’est sur le plan physique que ça devient difficile, parce que tu remarques que tu ne peux pas aller skier. Tu t’entraînes et tu ne vois pas forcément d’évolution concrète.

L.ch : Est-ce que tu arrives à tirer du positif d’une longue blessure?

J. M. : Tout le monde dit qu’on revient toujours plus fort après une blessure. Personnellement, j’en retire que je dois apprendre la patience, ne pas brûler les étapes. C’était quelque chose que j’avais de la peine à réaliser avant.

L.ch : Tu es allé voir tes coéquipiers de l’équipe suisse en course cette année ?

J. M. : J’ai été les voir à Adelboden, pour le géant et le slalom. C’était sympa de retrouver l’équipe, mais une fois ça a suffi. Ca donne tellement envie de skier !

« Les JO de Sotchi ? C’est plus un rêve qu’un objectif »

L.ch : On a l’impression qu’il s’agit d’un gros coup d’arrêt, mais tu es encore jeune…

J. M. : J’ai commencé très tôt en Coupe du Monde, à 18 ans. Les gens ont l’impression que j’en ai déjà 25 à présent. Mais pour moi, ça reste malgré tout un coup d’arrêt.

L.ch : Concernant ton retour, tu penses pouvoir rapidement jouer les premiers rôles ?

J. M. : Mon rêve c’est déjà de revenir au même niveau qu’avant ma blessure, puis ensuite de réussir à me surpasser pour obtenir des bons résultats. Avant de me blesser, j’avais déjà un bon niveau pour ma classe d’âge. Après, le but ultime c’est de gagner en Coupe du Monde. Ce qui est sûr, c’est que ce ne sera pas simple de revenir. Ca prendra peut-être 2-3 ans oubien ça reviendra très rapidement.

L.ch : Et ça c’est difficile à prévoir ?

J. M. : Personne ne peut savoir jusqu’au moment où je remettrai les skis et je ferai des chronos. C’est marrant de voir que beaucoup de gens disent qu’ils ont besoin de moi en slalom. Mais ils ne se rendent pas compte qu’après deux ans de blessure, je ne serai certainement pas immédiatement au niveau que j’avais avant.

L.ch : Du coup tu ressens une certaine pression sur tes épaules ?

J. M. : Non, pas du tout. Après deux ans de blessure, il n’y a aucune pression. Les gens peuvent dire ce qu’ils veulent, c’est mon genou qui commande. Après, c’est à moi d’être solide dans la tête pour que je ne fasse pas trop attention à tous ces commentaires. J’ai déjà entendu des gens dire comme quoi j’aurais mieux fait d’arrêter après ces blessures…

L.ch : Sérieusement ?

J. M. : Oui, des réflexions sur internet ou autres. Mais ça me fait plus sourire qu’autre chose. Quand tu sais ce que tu veux faire et que tu te fixes des buts, le reste n’a pas d’importance.

L.ch : Tu n’as donc jamais songé à arrêter ?

J. M. : Non, je ne vois pourquoi j’arrêterai de faire ce que j’aime faire alors que je n’ai que 22 ans. La carrière d’un skieur peut durer jusqu’à 35-36 ans. Je vais peut-être connaître de nouvelles blessures dans le futur, mais j’ai quand même encore 15 ans devant moi.

L.ch : Est-ce que tu peux déjà planifier la saison à venir?

J. M. : L’année passée, on avait planifié très tôt les courses et les points à obtenir. On s’était un peu précipité. Cette année, je vais prendre une approche un peu différente de l’année passée. On va commencer par retravailler la technique avant de penser aux chronos.

L.ch : Les JO de Sotchi se profilent en février 2014. Ils constituent un objectif pour toi ?

J. M. : L’année passée, j’avais encore l’objectif d’aller aux Jeux, mais là ce n’est plus vraiment un objectif, c’est plus un rêve parce qu’il y a beaucoup de concurrence. Il y a énormément de jeunes qui vont arriver cette saison donc la place sera chère.

«Un jour, je vais venir sur la vitesse, c’est sûr !»

L.ch : Au niveau des disciplines, on imagine que tu vas recommencer par ta discipline forte, le slalom ?

J. M. : J’ai effectivement  encore beaucoup de choses à me prouver, que ce soit en slalom ou en géant. Mais si j’évite les blessures, je pourrai certainement commencer à faire des gros résultats. Quand j’étais jeune, j’ai toujours été plus à l’aise dans les disciplines de vitesse, donc un jour je vais venir sur la vitesse, ça c’est sûr ! Mais pour l’instant, je dois d’abord faire mes preuves en technique avant de me lancer en vitesse.

L.ch : Olivier Brand, consultant pour le ski à la TSR, avait dit à ton sujet qu’avec ton tempérament fougueux, il fallait que tu arrives à te poser comme l’avait fait Marcel Hirscher. Qu’est-ce que cela t’inspire ?

J. M. : Il a tout à fait raison. Avant, si je voulais quelque chose, il fallait que ça vienne immédiatement. Si je n’avais pas les résultats, j’étais énervé. Avec cette blessure, j’ai appris à relativiser, à être patient. Si ça ne vient pas immédiatement, il faut rester calme, travailler et rester concentré. Ca m’aide beaucoup. Le problème, c’est que dès que tu recommences le ski, tu est directement à fond. Lorsque j’ai repris l’entraînement après ma première blessure, j’ai rapidement recommencé à être impatient, et à m’énerver pour rien…

L.ch : C’est tout le paradoxe du slalom, on a l’impression qu’il faut savoir attaquer, se livrer et d’un autre côté, il faut savoir rester calme et concentré…

J. M. : Il faut savoir distinguer la manche en elle-même et les moments entre les manches. Pendant la manche, il faut tout donner et être à fond. Par contre à côté, il faut savoir rester calme, posé et concentré. Moi j’ai un peu tendance à être tout le temps actif… (rires)

L.ch : On parlait de Marcel Hirscher qui est actuellement la référence en slalom. Est-ce que tu t’inspires de son ski?

J. M. : Quand tu regardes ce qu’il fait sur les skis, c’est sûr que le but ultime serait d’arriver à skier comme lui. Mais je pense qu’il doit «simplement» avoir un don. Il arrive à faire tourner le ski comme personne. Techniquement, c’est sûr qu’on peut s’en inspirer, mais l’essentiel est de trouver son propre chemin, son style bien à soi.

R.C.

Ski

Échos grisons des finales de la Coupe du Monde

 

Du 11 au 17 mars, la paisible station de Lenzerheide nichée dans les montagnes grisonnes s’est muée en capitale du ski alpin, fourmillante d’activité et d’animation à l’occasion des finales de la Coupe du Monde. Les meilleurs skieurs et skieuses de la planète se sont mesurés dans les quatre disciplines (descente, Super-G, géant et slalom). Même si le programme s’est retrouvé amputé d’une partie de ses courses à cause de la météo, Larticle.ch a dégotté cinq temps forts de cette semaine qui clôturait la saison de ski alpin.

Le temps… faible

Dame Météo ne figure décidément pas parmi les fidèles sponsors de l’évènement dans la station grisonne. Il y a deux ans à Lenzerheide déjà, les Super-G homme et femme ainsi que le Géant homme des finales avaient dû être annulés à cause du brouillard. En cette semaine pré-printanière, le brouillard a encore une fois dispersé ses embarrassantes nappes brumeuses le long de la piste «Silvano Beltrametti». Ce coup du sort a contraint les organisateurs à annuler les descentes et Super-G homme et femme après une avalanche interminable de reports. Chez les skieurs, on a pris ces annulations avec philosophies. «On pratique notre sport en montagne, on sait qu’on ne peut pas contrôler le temps. Vous, les journalistes, vous vous tracassez plus du temps que nous, les skieurs. Pour nous, c’est normal, on a grandi avec cette incertitude», a commenté Aksel Lund Svindal, pourtant la grande victime de l’impitoyable Météo (voire ci-dessous).

Duel au sommet avorté

La lutte pour le grand globe du classement général messieurs promettait un final en apothéose entre deux skieurs qui ont régné en maître dans leurs disciplines de prédilection. D’un côté Aksel Lund Svindal (30 ans), grand dominateur des épreuves de vitesse (descente et Super-G). De l’autre, Marcel Hirscher (24 ans) qui a écrasé la concurrence en slalom. Deux skieurs que tout oppose. La stabilité et l’assurance du Norvégien face à l’explosivité et la vitesse de pied de l’Autrichien. L’expérience face à la fougue. Le physique de déménageur du Scandinave (1.95m, 95 kg) opposé au gabarit presque fluet du Salzbourgeois (1.73m, 73kg) qui rend 22 centimètres et 22 kilos au molosse norvégien. Au coude à coude avant ces finales, le duel promettait beaucoup… Il a accouché d’une souris. La faute à une météo capricieuse qui a rayé les disciplines de vitesse de la carte.  L’annulation de la descente et du Super-G a mis fin aux espoirs de victoires au général de Svindal. «On dit souvent qu’il faut s’aligner au minimum dans trois disciplines pour gagner le général, mais Hirscher a marqué tant de points en slalom et en géant qu’il mérite entièrement son titre», a malgré tout applaudi le Norvégien, beau joueur. En fin de semaine, les résultats d’Hirscher (2e du géant, 2e du slalom) ont certainement quelque peu atténué les regrets de Svindal.

Maze slalome entre records, malchance, victoire et déceptions

On attendait monts et merveilles de la grande dominatrice de la saison lors de ces finales. Assurée de remporter le classement général depuis belle lurette, Tina Maze avait l’occasion de rafler la totalité des globes, un exploit inédit dans l’histoire de la Coupe du Monde. Son opération razzia  a tourné au cauchemar. Suite à l’annulation de la descente, la Slovène de 29 ans a manqué le globe de la spécialité pour un misérable petit point, alors qu’il lui aurait suffi de franchir la ligne d’arrivée pour terminer en tête du classement. Le globe de descente revient donc à Lindsey Vonn, toute heureuse de recevoir ce trophée alors qu’elle s’était déchiré les ligaments du genou début février. «Peu importe de gagner ou de perdre, le plus difficile aujourd’hui, c’était de ne rien pouvoir faire et d’attendre au sommet de la piste», a confié Tina Maze en conférence de presse. Samedi, c’est le globe de slalom qui lui a filé sous le nez après une deuxième manche curieusement ratée (voir ci-dessous). Le lendemain, elle a réagi en véritable championne en triomphant du redoutable géant final sur une piste piégeuse. «J’avais gagné la première course de la saison. Aujourd’hui, je gagne la dernière. C’est la plus belle façon de terminer la saison», s’est réjouie la charmante slovène, sourire aux lèvres. Ce succès en géant couronne une saison de tous les superlatifs qui l’a vu survoler la concurrence. Avec 2413 points au général, elle est la première skieuse à dépasser (et de quelle manière!)les 2000 points.  Maze repart donc de Lenzerheide avec trois globes dans ses valises… et la fugace arrière-pensée qu’elles auraient pu peser plus lourd.

Du rire aux larmes pour quelques centièmes de seconde

La scène est saisissante dans l’aire d’arrivée de Lenzerheide. Au premier plan, Mikaela Schiffrin est agenouillée dans la neige, en pleurs, submergée par l’émotion. Elle vient de remporter le premier globe de sa jeune et prometteuse carrière. Un peu plus loin, appuyée contre une barrière publicitaire, Tina Maze est elle aussi secouée de sanglots. C’est sa façon d’évacuer toute la pression et la déception qui l’habitent. Le dénouement du dernier slalom de l’hiver a livré son lot d’émotions et de rebondissements. Après la première manche, on pensait que Tina Maze avait fait le plus dur en reléguant sa rivale pour le classement final de la spécialité à plus d’une seconde. Mais l’intrépide Shiffrin n’avait pas dit son dernier mot. «Au moment de m’élancer pour ma deuxième manche, je flippais complètement», a admis la jeune américaine qui a fêté ses 18 ans dans le courant de la semaine. Le prodige de Colorado a réussi une deuxième manche de feu, mettant ainsi la pression sur Maze obligée de la devancer pour remporter le globe.  L’avance de la Slovène a fondu comme neige au soleil à mesure que le chrono s’égrenait. Elle a finalement coupé la ligne d’arrivée avec 35 centièmes de retard. Difficile de dire si c’est Shiffrin qui a gagné la course ou Maze qui l’a perdue. Quoi qu’il en soit, ce slalom féminin aura été la course la plus passionnante de la semaine. Elle a couronné une skieuse qui sera assurément une des futurs stars du cirque blanc ces prochaines années.

Gut et Holdener sauvent les garçons

Et les Suisses dans tout ça ? A vrai dire, l’évènement le plus attendu de la semaine côté helvétique était la conférence de presse du samedi qui devait déboucher sur la redistribution de certains postes clés dans l’organigramme de Swiss Ski. Derrière leur bureau, les dirigeants suisse n’ont pas fait mieux que leurs protégés sur la piste. «Il y a eu beaucoup de discussions, mais nous avons besoin d’encore un peu de temps pour décider», a annoncé Urs Lehmann, président de Swiss Ski, à propos du fameux poste d’entraîneur en chef des hommes. Il faut dire que la saison des Helvètes s’est apparentée à un véritable fiasco, du moins chez les hommes. Les femmes ont quelque peu sauvé les apparences, notamment grâce à deux jeunes skieuses qui se sont distinguées sur la piste «Silvano Beltrametti». La première est déjà largement connue du grand public. A Lenzerheide, Lara Gut s’est illustrée grâce à une belle 3e place en géant. «Cette année j’ai franchi un pallier. Je suis plus complète que l’année passée» a affirmé la Tessinoise de 21 ans.  La deuxième s’est révélée cette saison en slalom. A 19 ans, Wendy Holdener a confirmé son talent en s’emparant d’une prometteuse 5e place lors du slalom de samedi. «Mon but est toujours de prendre un maximum de plaisir quand je skie, et ça paye», s’est exclamée la pétillante Schwytzoise après sa course. Les deux pépites ont été les seules éclaircies d’une sombre saison pour le ski suisse. Compte tenu de leur marge de progression, ces éclaircies devraient rapidement permettre d’éclipser les mauvais résultats de cette année et redonner des couleurs au ski alpin helvétique.

R.C.