
À défaut de gouverner, certains préfèrent régner en première page. Entre les autocrates qui rêvent d’éternité, et nos élus locaux devenus experts en selfies et petites phrases, la politique ressemble de plus en plus à un concours de mise en scène. Reste à savoir si les citoyens veulent des dirigeants… ou des stars de télé-réalité.
Les signaux d’alerte s’accumulent. Selon le rapport annuel 2022 de l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (International IDEA), basé à Stockholm, la démocratie recule pour la sixième année consécutive. Depuis 1975, jamais le monde n’avait connu une telle période de régression démocratique. Dans plus de la moitié des pays observés, les droits fondamentaux s’érodent : libertés d’expression et d’association, indépendance de la justice, rôle des corps intermédiaires. Même l’Europe, longtemps considérée comme un bastion, n’échappe pas totalement à cette tendance.
Les nouvelles armes contre la démocratie
Les dérives autocratiques ne se limitent plus aux coups d’État ou aux élections truquées. Elles s’expriment aujourd’hui sous des formes plus insidieuses :
L’affaiblissement progressif des institutions par la mainmise d’élites économiques ou politiques, qui capturent l’État pour servir leurs propres intérêts ; la désinformation massive, amplifiée par les réseaux sociaux, qui brouille la frontière entre vérité et mensonge et rend le débat démocratique stérile ; les attaques contre la presse et les contre-pouvoirs, accusés d’être des « ennemis du peuple »; l’instrumentalisation des peurs – identitaires, migratoires ou économiques – pour justifier des restrictions de droits fondamentaux au nom d’un prétendu « retour au peuple ».
À ces tendances s’ajoutent les technologies, devenues un champ de bataille invisible, piratage électoral, manipulation de l’opinion par des armées de faux comptes, surveillance de masse. Les démocraties, ouvertes par nature, sont vulnérables à ces offensives.
Les crises successives – financières, climatiques, sociales, sanitaires – ont fragilisé les sociétés. Elles ont nourri la perte de confiance dans les élites, l’impression d’une méritocratie brisée et le sentiment que la démocratie ne tient plus ses promesses. Quand l’avenir paraît bouché, la tentation de l’autoritarisme gagne du terrain. L’histoire nous l’enseigne que ce sont souvent dans les périodes de doute et de frustration que surgissent les « hommes providentiels ».
Sommes-nous témoins d’une « mise en scène hollywoodienne » de la politique mondiale ?
La scène publique se transforme en show permanent, où les dirigeants rivalisent de coups d’éclat, d’images choc et de postures martiales. Les conférences de presse deviennent des plateaux de télévision, les réseaux sociaux dictent le rythme du discours politique, et l’art de la mise en scène l’emporte sur le travail de fond. L’électeur se transforme en spectateur.
Et la Suisse dans tout ça ?
Notre pays paraît encore à l’écart de ces dérives. Pas de président tout-puissant ni de chef charismatique adulé : la démocratie directe, avec ses votations régulières, ses compromis laborieux et sa collégialité, joue le rôle de garde-fou. Pourtant, la tentation du spectacle n’épargne pas totalement la Suisse. Les campagnes électorales se professionnalisent, les slogans percutants remplacent parfois l’argumentation, et la politique s’évalue à coups de « likes » ou de petites phrases.
La question est donc posée : Comment préserver une démocratie vivante et exigeante dans un monde où le bruit, l’image et la vitesse dominent ?
La démocratie survivra si nous la traitons comme une œuvre collective, et non comme une série Netflix dont on attend passivement le prochain épisode. Elle demande vigilance, participation, esprit critique et courage citoyen. Elle ne vit que par celles et ceux qui la font vivre. Autrement dit : nous.
C.G.