Tourisme vs parité du Franc suisse et de l’Euro

Selon M. Andreas Banholzer, Directeur de l’Office du tourisme du Canton de Vaud, les entreprises de l’industrie touristique peuvent espérer atténuer l’impact de la crise, en misant davantage encore sur la qualité – suisse – et en procédant à une mise à niveau de leur produit.

Deux mois après la décision de la BNS de laisser flotter la monnaie suisse un secteur important du commerce suisse va devoir s’adapter face à un ‘élévation des prix de près de 15% un des acteurs de ce secteur M. Andreas Banholzer, de l’Office du tourisme du Canton de Vaud, nous a fait part de ses commentaires face à cette situatiion.

Propos recueillis par : Viviana von Allmen

L’article.ch : Existe-t-il déjà une étude sur l’impact de la parité CHF / Euro sur le tourisme vaudois ?
Andreas Banholzer : Une étude sur cette situation et ses impacts à court et moyen terme a été réalisée par notre service Analyses. Cette étude apporte une première série de conclusions sur les impacts touristiques de la parité CHF / Euro à l’échelle nationale et régionale, et notamment sur le territoire vaudois.
Des analyses de Suisse Tourisme montrent par ailleurs qu’il existe un coefficient monétaire dans la zone euro de 0.5 à 1.0. Concrètement, si le franc se renchérit de 1%, le tourisme suisse doit s’attendre à un recul des nuitées de 0.5 à 1%, selon les différents marchés européens. Si le franc suisse reste à parité avec l’Euro, la perte de nuitées pour le canton de Vaud en 2015 se chiffrerait selon notre estimation entre 100 et 120 mille nuitées. Cette perte reviendrait à réaliser un total annuel de nuitées entre 2’535’000 et 2’555’000. En terme de chiffre d’affaires, une baisse de 120’000 nuitées dans le canton de Vaud serait équivalente à une perte pouvant aller de 18 à 24 millions de francs.

L.ch : Quels touristes et de quels pays pourraient remplacer les touristes européens ?
A.B. : Nous n’allons pas abandonner complètement la zone euro dans notre promotion. Globalement, l’acquisition de nouveaux clients au fort pouvoir d’achat en provenance de la zone euro, est susceptible d’atténuer les effets négatifs du cours du change. Certaines lignes aériennes récemment ouvertes nous permettent par ailleurs de démarcher avec Suisse Tourisme de nouveaux clients dans certaines villes cibles plus lointaines en Lettonie, Finlande, Suède, Turquie, Croatie, Slovénie ou encore en Serbie.
Nous poursuivrons bien sûr nos efforts sur le marché intérieur, qui représente pas moins de 42% de nos nuitées en 2014. Le comportement de voyage des Suisses jouera un rôle déterminant dans l’intensité de la crise et nous allons intensifier notre promotion sur le marché suisse, en collaboration avec Suisse Tourisme.
Sur les marchés lointains, les Etats-Unis, l’Inde et l’Asie du Sud-Est offrent un grand potentiel de développement. Nous avons vu en 2014 une augmentation record de nos visiteurs en provenance des Etats-Unis par exemple (+12’925 nuitées ; +12.8%).

L.ch : Quels efforts de la part des acteurs touristiques peuvent-ils être faits, pour ne pas perdre énormément de parts de marché ?
A.B. : Le tourisme vaudois comme le tourisme suisse ne peut absolument pas se différencier en termes de prix. Il est maintenant plus que jamais important pour la branche de valoriser avec force et savoir-faire les atouts toujours intacts de la Suisse en tant que destination de vacances et de congrès: elle offre des offres de séjour incomparables, de grande qualité et compte toujours parmi les destinations les plus prisées au monde.
Les prix suisses ne sont pas compétitifs et ne l’étaient déjà pas avant cette nouvelle crise. Par contre, il peut être judicieux d’offrir au client des prestations supplémentaires, comme par exemple des forfaits de ski gratuits ou des nuitées additionnelles gratuites. Maintenir un niveau de prix élevé peut se justifier à condition que la prestation suive. En misant davantage encore sur la qualité – suisse – et en procédant à une mise à niveau de leur produit, les entreprises de l’industrie touristique peuvent espérer atténuer l’impact de la crise. Choisir cette voie signifie toutefois de pouvoir garantir un excellent rapport qualité-prix, une plus-value bien réelle par rapport aux produits de la concurrence et un argumentaire bien communiqué.
De notre côté, nous avons choisi de soutenir financièrement l’offensive prévue par Suisse Tourisme afin d’inciter nos compatriotes à passer leurs vacances en Suisse. Nous avons également libéré un budget supplémentaire pour soutenir les destinations vaudoises dans leurs actions de promotion. Nous allons de plus réorienter notre communication européenne vers une population au pouvoir d’achat plus élevé.

L.ch : Quel impact a déjà été constaté ?
A.B. : En ce qui concerne la saison hivernale vaudoise, les offices de tourisme des stations hivernales du canton ne constatent pour l’instant pas encore d’annulations massives. Le mois de février a connu un bon taux de réservation, mais différents prestataires estimes que les nouvelles réservations pour mars et avril sont un peu moins nombreuses que d’habitude dans certaines destinations, sans toutefois constater de chute très marquée. Nous estimons que les conséquences se feront surtout sentir pour la saison estivale.

L.ch : Les acteurs du tourisme, vont-ils présenter un programme d’aide et d’adaptation à la Confédération ?
A.B. : Face à cette nouvelle situation, Suisse Tourisme a demandé à la confédération une augmentation du crédit-cadre pour les années 2016 à 2019. En effet, la première demande de financement, qui s’élevait à 240 millions, correspondait à un catalogue stratégique établi avec un taux de change fixe de l’euro à CHF 1.20. Trente millions supplémentaires ont donc été demandés à la confédération afin de faire face à cette nouvelle donne.
La Fédération Suisse de Tourisme préconise toute une série de mesures politiques afin de faire face à cette situation. Elle demande notamment un soutien à la promotion économique pour la période 2016-2019 à travers par exemple une augmentation du crédit d’engagement pour Innotour ou le prolongement du crédit supplémentaire accordé à la Société Suisse de Crédit Hôtelier. Elle propose également un ancrage du taux spécial de la TVA pour l’hébergement (3.8%) qui avait été introduit provisoirement en 1996 afin de soutenir le secteur et qui a fait ses preuves depuis.
D’autres mesures ont été mises en avant comme le renforcement des formations continues et programmes d’intégration, l’amélioration les conditions cadres des domaines skiables, l’élargissement du droit au chômage partiel pour les contrats à durée déterminée.
La Fédération Suisse de Tourisme a proposé un total de 13 mesures qui devraient permettre au secteur du tourisme de surmonter ce nouveau défi avec succès, et de mieux faire face aux challenges à venir.

L.ch : Les crédits du tourisme peuvent-ils être renégociés avec les banques ?
A.B. : Les crédits du tourisme sont négociés directement entre les prestataires touristiques et les banques, nous ne sommes donc pas en mesure de nous prononcer sur cette question.

L.ch : Si les mesures d’accompagnement échouent, que faut-il redouter par rapport aux emplois ?
A.B. : Si aucune mesure n’est prise, le KOF (Centre de recherches conjoncturelles de l’EPF Zurich) prévoit un recul de l’emploi converti en équivalent plein-temps de 0,3% en 2015 et de 1,8% en 2016. Quant au nombre de chômeurs inscrits, il s’accroîtrait de 0,2% en 2015 et de 0,7% en 2016. Alors que BAKBASEL attend un taux de chômage de 3,5% en 2015, le KOF l’estime à 4,4% en 2015 et à 4,9 % en 2016.

L.ch : L’engagement de personnel des pays de l’est européen, à moindre coût, est-il envisageable ?
A.B. : Pour tempérer la vigueur du franc, certains hôteliers envisagent de réexaminer la structure de leurs coûts, d’optimiser leur logistique et de gagner en efficacité tout au long de la chaîne de valeur. Nous ne pouvons pas nous prononcer sur les décisions que les différents prestataires envisagent, néanmoins, il faut garder en mémoire que la qualité du service représente une part importante de la valeur ajoutée du tourisme helvétique. Il est donc capital pour les prestataires de ne pas négliger leur capital humain afin de pouvoir justifier des prix qui, comparativement, resteront plus élevée que dans d’autres pays.
Le secteur de l’hôtellerie est par ailleurs protégé par une convention collective de travail qui définit les salaires minimaux. L’économie potentielle sur les salaires reste donc limitée. Nous ne pouvons pas nous différencier sur les coûts, misons donc plutôt sur la formation du personnel et la qualité du service, image de marque de notre pays.

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