Avec le documentaire « Thorberg », Dieter Fahrer nous entraîne dans l’univers sombre du pénitencier bernois Thorberg, souvent comparé à la prison californienne d’Alcatraz. 180 hommes, de 40 nationalités différentes, condamnés pour des délits graves. Lui-même interné lorsqu’il était jeune, suite à son refus d’effectuer son service militaire, le réalisateur a côtoyé ces espaces clos où le manque de liberté pèse… Avec « Thorberg », sans jamais ressentir la peur, il a voulu faire découvrir un univers grandement méconnu.
Dieter Fahrer nous livre donc un documentaire fort qui est le résultat de plus de 3 ans passés à arpenter les couloirs et cellules carcérales. Il a établi une relation de confiance avec 7 incarcérés, dont la philosophie et le sort diffèrent grandement. Le résultat ? Une immersion dans leurs occupations tels que les jeux vidéos, les parties de cartes mais aussi dans les rituels de la prison, le travail auquel ils sont astreints ainsi que l’ennui et le désespoir qui les attend au coin de la chambre.
« La haine était ma raison d’être »
Si certains passages peuvent en premier lieu faire bondir le spectateur dans son siège (« Je ne savais pas que c’était dangereux », « Je voulais tirer en l’air mais la balle est arrivée dans sa hanche », « Je trouvais l’idée du tueur à gage exaltante »), l’enchaînement des témoignages lui fait ensuite découvrir le regard de l’interné sur sa vie en prison et sur la punition qu’il endure. Le spectateur devient témoin de la lutte au quotidien d’hommes qui souhaitent juste ne pas devenir fou, ne pas se suicider. Car les années passées sans liberté pèsent… Janis, letton, incarcéré pour une durée de 15 ans nous livre ses réflexions. « Certaines choses de ma vie me choquent moi-même. Peut-être que j’ai dû passer par la criminalité et toutes ces choses pour comprendre que la vie c’est pas ça, il y a toujours les rêves pour avancer ». Un autre affirme : « si ta vie se transforme en tragédie, observe-là comme spectateur ». Si pour certains la prison a été synonyme de quête intérieure, chez d’autres l’isolement a attisé l’agressivité. « J’ai tendance à péter les plombs, je n’aime pas me voir comme cela ». Les autorités pensent les calmer en leur donnant des médicaments, mais l’équilibre est très précaire. « La haine était ma raison d’être. Dans l’isolement, il faut se battre pour ne pas tout haïr ». Une lutte constante… Luca, jeune suisse, incarcéré pour 14 ans explique qu’il s’occupe de choses simples. Il se fixe de mini-défis comme le tri des déchets (non obligatoire dans la prison) ou des économies d’eau. « Comme si je repartais à zéro ».
Est-ce toutefois vraiment le cas ? Peuvent-ils reconstruire quelque-chose après avoir commis de tels actes ? L’homme peut-il devenir meilleur ? L’incarcération est-elle une forme d’enseignement ou est-ce simplement le moyen d’assurer la sécurité du pays ? Timothy craque : « Lorsque je veux être bon, le diable me rattrape, je fais une connerie ». Sommes-nous vraiment tous égaux au départ ?
Toutes ces questions que le documentaire soulève sans donner d’autre réponse que l’avis de quelques prisonniers, laissent au spectateur la liberté de ses propres opinions.
« J’ai bousillé ma vie en fait »
Le documentaire laisse entrevoir que bien souvent il est impossible de repartir à zéro. Le spectateur découvre aussi les perspectives d’avenir peu prometteuses des délinquants. Beaucoup sont expulsés à peine sortis de prison. Quant à la réinsertion, nombreux sont ceux qui n’y croient pas. «On parle de réinsertion mais on ne fait rien pour. Il n’y pas de structures pour éviter les récidives », « On limite les possibilités aux gens et après on veut qu’ils s’améliorent, mais comment s’ils n’y ont pas accès.. »
Tous les jours, après les trois heures pendant lesquelles leur cellule est ouverte, c’est la même porte qui se referme sur des destins incertains, des destins brisés.
Un documentaire qui, sans complications, donne simplement la parole à ces prisonniers…
S.H.