Analyse

Le journalisme d’investigation en voie de disparition

En Suisse comme partout en Europe, les grands journaux deviennent de  moins en moins agressifs par rapport au milieu politique et économique. Aujourd’hui, le journaliste travaille plus par agenda en recopiant des propos dans différentes réunions, conférences ou à partir des agences de presse. L’information est servie sur un plateau. Les véritables journalistes d’investigation deviennent de plus en plus rares.

Dans les années 60-70, la société change de visage, libère les mœurs et refuse les rapports hiérarchiques traditionnels. Le journalisme d’investigation connaissait sa période dorée en dévoilant d’innombrables scandales politiques. Il s’opposait au journalisme traditionnel qui respectait plus les institutions. Les années 1980 se démarquent par la concurrence face à la télévision qui oblige la presse écrite à faire des restructurations. Les journaux disposent désormais de moins d’argent pour financer de longues enquêtes. De plus, à partir des années 90, les classes aisées se protègent par des lois. L’investigation disparaît au fur et à mesure.

Aujourd’hui, les perquisitions et les mises en examen de journalistes trop curieux sont encore à l’ordre du jour. Le journaliste qui dénonce des affaires de corruption ou de dissensions politiques internes, risque sa carrière et parfois même sa vie. Il se résigne et finit par adopter une attitude plus conformiste.
Un autre aspect qui porte préjudice à l’investigation, c’est la manipulation par les sources. L’affaire du Watergate en est un bon exemple. Si les deux journalistes américains, Bernstein et Woodward, ont réussit à faire tomber Nixon, c’est parce qu’il y avait des intérêts de l’opposition. Celle-ci a fourni les informations et les accès nécessaires au dévoilement du scandale. Ces journalistes ont servi d’instruments politiques.

Indépendance du journaliste vis-à-vis des médias
Jean Nicolas, rédacteur en chef du magazine «L’investigateur», a une longue carrière de journaliste d’investigation derrière lui. Il est connu pour avoir dévoilé des faits inconnus du public dans l’affaire «Dutroux», ainsi que dans celle qui opposait Alfred Sirven à «Elf-Aquitaine». D’après lui, la principale condition pour être un bon investigateur est l’indépendance vis-à-vis des médias trop proches des milieux économiques et politiques. Un réseau libre de relations et d’informateurs est essentiel. Jean Nicolas insiste sur le fait que la concentration de la presse «libre» dans des mains toujours moins nombreuses est un grand problème du journalisme actuel. La mondialisation est en train de priver le journalisme alternatif ou contestataire d’espace de vie. La pensée unique prend le dessus.
En Suisse, beaucoup d’experts revendiquent plus de criticisme face à la politique. Le journalisme d‘investigation cède la place au journalisme de communication. Nous ne cessons de répéter ce qu’on nous dit sans nous interroger sur le bien-fondé. Le «doute méthodique» n’est plus à la base de tout traitement de l’information.

Situation critique dans la presse romande
«Pour mener de longues enquêtes, il faut disposer des fonds nécessaires. La situation économique de certains quotidiens romands ne le permet pas.», affirme Jean-Luc Wenger du quotidien neuchâtelois «L’Express». Comme la plupart des journalistes contemporains, il applique certaines méthodes d’investigation, mais très timidement. La plupart des quotidiens helvétiques n’ont pas les moyens de salarier un journaliste qui travaille une longue période sur un même sujet. Il y a tout de même des exceptions, surtout en Suisse alémanique.
Les éditions dominicales des grands quotidiens helvétiques de langue allemande dénoncent de nombreux scandales dans le monde politique et économique. Ces journaux réussissent à vendre plus de deux cent mille exemplaires par numéro, ce qui leur permet un meilleur financement des travaux d’investigation. Roger de Diesbach est réputé pour la dénonciation de nombreux scandales politiques lorsqu’il écrivait pour le journal «La Liberté» de Fribourg. Jürg Frischknecht a droit aux mêmes éloges grâce à son enquête menée dans le monde des toxicomanes de Zurich. Ces journalistes ont pu compter sur un très fort appui de leurs maisons d’édition.
D’un côté, le journalisme d’investigation est limité par des contraintes économiques, de l’autre côté, les institutions ont su se protéger au fil des années face à toute éventuelle fuite d’informations piquantes. La domination du journalisme conformiste qui recopie des dépêches d’agence sans aucun «doute méthodique», est plus forte que jamais. Il suffit de penser aux journalistes embarqués pendant la guerre de l’Irak. Ceux-ci ont été choisis arbitrairement, étouffant tout droit à la liberté d’information. En plus, tout renseignement était soigneusement filtré dans les camps où ils étaient retranchés au sein des troupes américaines.
La télévision possède les moyens de faire progresser le journalisme d’investigation. En Suisse romande, c’est elle qui produit le plus grand nombre d’enquêtes. Une nouvelle génération de journalistes désire un regain de l’esprit non-conformiste en montrant moins de déférence envers les institutions et l’establishment. La manière de traiter l’information doit être remise en question par amour de la vérité.

SdS

Édito

Recherche et investigation deux synonymes qui ne vont pas de pair.

Viviana von Allmen

Notre pays se bat dans la course effrénée de «la recherche scientifique». Mais qu’en est-il de l’investigation sur des faits qui touchent la politique, les injustices sociales, les inégalités, les procès corrompus, le piratage ….des sujets qui atteignent la morale en général ?
La philosophie du «ne t’en mêle pas» est de nos jours répandue à une échelle planétaire. La politique de neutralité des hommes du pouvoir n’a pas de confins. Founier dans les affaires louches ne répond  simplement qu’au concept du politiquement incorrect. Creuser dans les entrailles de dossiers fait partie d’un état d’esprit archaïque d’investigation. Celle-ci, ne se pratique plus, soi disant par manque des moyens économiques. Même les citoyens représentants du 4ème pouvoir se laissent emporter par cet état d’esprit.
Où sont passes les piliers déontologiques des hommes de presse : répandre la vérité à n’importe quel prix ? 
Les professionnels de la communication, en général, se limitent au fait sommaire d’informer sur l’actualité et étanchent leur soif de curiosité que par le biais du sensationnalisme.
De plus en plus, on répète, on copie sans s’interroger. Et pourtant il y a une réflexion à mener sur la course à l’info qui empêche tout recul. Défendons ce qu’on appelle le «doute méthodique» qui consiste à approfondir, éviter le conformisme, se demander ce que signifie vraiment une information,. Par ailleurs, je constate que le journalisme de communication remplace celui d’investigation, y compris en politique. Il est dopé par les conseillers en communication et par d’autres services de presse, qui pullulent dans les entreprises comme dans les institutions.
Les jeunes (les journalistes «énervés» qui veulent tout changer) s’épuisent dans des parcours de carrières.
Entre le journalisme tiède et le journalisme énervé, il y a une place à prendre.
Reste l’incontournable public, les lecteurs, les auditeurs. Que veulent-ils ? Qu’est-ce qui est vendeur et pourquoi ? Et vous, vous êtes plutôt journalisme ou info-hacking ?