Reportage

Où est le hic du chômage ?

La précarité du métier de journaliste ne laisse indifférent à aucun de ses acteurs. Après avoir quitté son ancien poste de travail Richard Gafner constate la difficulté de la réinsertion dans le monde des médias. Il nous concède un interview à ce sujet.

Propos recueillis par Viviana von Allmen

– M. Gafner, que pensez-vous de la situation du chômage en Suisse ?
– Avec un taux qui a passé sous la barre des 4% en mars dernier (sauf erreur), la Suisse reste dans une situation relativement privilégiée, sur ce plan-là, par rapport à ses voisins. Ce qui me préoccupe davantage pour notre profession, c’est que la Suisse commence à ressentir sérieusement, et pour longtemps, les méfaits de quinze ans de croissance apathique. Le petit marché de la presse romande, via la morosité des annonceurs, n’a pas fini d’en souffrir. Les rapprochements divers entre titres, les fusions et les disparitions vont se poursuivre.

– Pourquoi continuer à former des journalistes, aussi dans les universités, si le chômage dans cette branche va crescendo ?
– Pour répondre précisément, il faudrait connaître la proportion de journalistes au chômage. Concernant la formation universitaire, il me semble qu’on peut s’intéresser aux médias sans vouloir forcément en faire son métier. A l’époque où je suivais les cours de journalisme à l’Université de Neuchâtel, j’ai connu pas mal d’étudiants dans ce cas-là. Pour moi, l’existence de cette filière académique ne se discute pas. Quant à la formation sur le terrain, on peut comprendre qu’une rédaction préfère engager un stagiaire plutôt qu’un journaliste chevronné au chômage, dont le salaire coûterait deux ou trois mille francs de plus par mois, selon les tarifs RP. Les temps sont aujourd’hui aux économies, surtout dans la presse écrite, qui reste, malgré tout, un marché très concurrentiel, avec beaucoup de titres dans un petit pays.

– Y a-t-il des mesures spécifiques pour les journalistes au chômage ?
– Non, rien de sérieux à ma connaissance.

– Alors que suggérez-vous ?
– Le marché de la profession pourrait se dérouler avec plus de transparence. Les offres d’emploi, y compris sur Internet, sont rares. Naturellement, les rédactions privilégient les solutions internes, ou le débauchage, quand un poste est à repourvoir.

– Pensez-vous que les médias, en général, font des économies sur le dos de leurs journalistes ?
– C’est un peu juste comme analyse. Il y a des contraintes conjoncturelles auxquelles les éditeurs n’échappent pas, ainsi que pour tout patron d’entreprise. Quand un média se porte mal, c’est toute la chaîne de production de l’information qui souffre, pas seulement les journalistes. Et si la survie d’un titre dépend de mesures d’économies, quelles qu’elles soient, peut-on légitimement les condamner ?

– Y a-t-il de la part des syndicats de journalistes un véritable engagement pour la défense des postes de travail ?
– Non, mais ce n’est que mon opinion personnelle.

– En quoi les journalistes pourraient-ils aider à endiguer les licenciements de collègues ?
– L’influence d’une société de rédacteurs peut ne pas être inutile. Mais je n’y crois guère. C’est à voir selon le média, sa structure, ses rapports de forces internes, etc. Cela dit, le journalisme est un milieu très
individualiste, où l’ambition personnelle passe avant toute forme de solidarité.

– Pensez-vous que les médias audiovisuels ont pris le dessus sur la presse écrite ?
– On sait qu’à côté de la TV et de la radio, la presse écrite a toujours eu sa place de complémentarité, avec ses propres atouts. Celui par exemple de pouvoir développer l’actualité plus en détails, avec plus de recul. Quant à Internet, je ne le crois pas plus dangereux pour la presse écrite que la TV ou la radio. Il leur manquera toujours, entre autres choses, l’attrait convivial et intime dans le simple fait de tourner des pages, de palper et de sentir du papier imprimé… Il me semble que le consommateur de nouvelles tiendra toujours à cette espèce de rapport physique au journal.

Interview

Le journalisme, une passion qui fait vivre

La récente annonce du conseil administratif de la SRG SSR Idée Suisse de supprimer une septantaine de postes au sein de Swissinfo et Swisstxt  s’ajoute à  la longue liste des restructurations et licenciements collectifs qui touchent la Suisse. L’évolution de la conjoncture a  significativement fait baisser les revenus publicitaires. Les conséquences pour les journalistes sont rudes, comme en témoigneraient certainement les rédacteurs de l’Hebdo, TV8, Edelweiss, Dimanche.ch, NZZ et Tagesanzeiger.

Régis Borruat, chargé d’enseignement à l’Institut de Journalisme et Communication à l’Université de Neuchâtel et titulaire du cours « Structure et Economie de la Presse et des Medias » nous a accordé une interview sur la précarité dans le journalisme en Suisse.
Propos recueillis par Steve Remesch


D’où viennent toutes ces restructurations sur le marché de la presse et des medias ?
Régis Borruat (R.B.) : La fin de l’âge d’or de la publicité, à la fin des années 1980 a conduit à une concentration des marchés et à une diminution des moyens publicitaires propres à chaque entreprise parce que le marché de la publicité n’est pas extensible à l’infini. La crise est d’autant plus grande depuis 2001 avec des pertes de plus de 15% du chiffre d’affaires publicitaire ce qui contraint les entreprises de presse à  rationaliser. Sur le marché de l’audiovisuel, cette tendance est nouvelle. Jusqu’il y a quelques années le développement de la concurrence était encouragé, avec l’apparition de radios et télévisions locales et le lancement de nouveaux produits audiovisuels sur le marché. Depuis 2001 le secteur subit un processus inverse de rationalisation et de concentration des moyens.

Y existe-t-il vraiment une précarité dans le métier de journaliste en Suisse ?
R. B. : Je ne crois pas vraiment à une précarité financière, mais des risques existent dans la mesure où les éditeurs ne trouveront pas de compromis avec les syndicats. Mais je pense que les journalistes sont bien syndiqués et capables de se défendre correctement. 

La précarité du statut du journaliste ?
Il est clair que le statut du journaliste peut être menacé par des exigences de plus en plus fortes de la part des éditeurs. Donc on peut parler de précarité par rapport à une indépendance de la profession vis-à-vis de contraintes commerciales et économiques. C’est certainement dans ce domaine que la profession connaît les plus grands dangers. Je dirais alors plutôt précarité de statut par rapport à une indépendance à revendiquer et toujours à défendre.

Comment voyez-vous le futur du journalisme en Suisse ?
R.B. : La concurrence entre journalistes est croissance constante. Il y a de plus en plus de candidats au métier, mais le nombre de postes n’augmente pas – au contraire. Cette évolution sera sans doute bénéfique au métier, car elle entraînera une augmentation de l’exigence  de qualité. J’espère en tout cas que le journalisme va envers des critères de qualité et non envers de objectifs commerciaux ou marchands, bien que cette évolution a été constatée depuis plusieures années un peu partout dans le monde. En général, il faut dire que le journalisme est un secteur de plus en plus difficile à investir. Beaucoup de candidats pour peu d’élus, d’où la nécessité d’une formation de qualité.

Avec toutes ces restructurations et licenciements collectifs, le journalisme est-il toujours un métier à recommander ?
R.B. : Bien sûr, dans la mesure où celle ou celui qui veut se lancer dans la profession est passionné. Vous pouvez interroger d’anciens journalistes ou des journalistes actuels, tous vont vous parler de la passion du métier. C’est un métier où vous ne travaillez pas de 8h00 à 17h00. Vous y travaillez 24 heures sur 24 sans compter les heures supplémentaires.  Si l’actualité le veut, vous travaillez souvent jusqu’à 23h00 ou à minuit. Donc c’est un engagement particulier par rapport à un métier traditionnel. D’un côté il y a la passion, de l’autre la mission. Informer est une mission noble. Je ne crois pas que les jeunes se désintéressent du métier parce qu’il y a toujours un mythe qui se cache derrière. Tant qu’il y aura la passion, il y aura des journalistes ! Il suffit de voir les effectifs des instituts de journalisme et de communication en Suisse qui ont explosé ces dernières années. Selon une étude faite il y a deux ou trois ans, l’inscription d’étudiants dans ces instituts a augmenté de 900% en une dizaine d’années.