Portrait

Sa nouvelle vie, le papier

Gregor Graf, 69, ans habite Bienne depuis 40 ans. Grand-père, retraité depuis quatre ans, il insiste sur le fait que ce n’est pas un statut qui lui convient. Ex collaborateur d’une entreprise de la région seelandaise, il consacre son temps à l’alchimie de la fabrication du papier. Interview :
Propos recueilli par Viviana von Allmen

D’où vient votre passion pour la reliure?
C’est une vielle histoire. Tout petit je peignais. J’ai toujours aimé bricoler. Il y a vingt ans, j’ai suivi un cours de fabrication artisanale de papier, à Berne. Cette méthode m’a tellement fasciné que je suis resté amoureux du métier. Par la suite j’ai pris des cours de perfectionnement.

Qu’est ce qui vous passionne dans la reliure ?
D’une part, la création avec les mains d’ouvrage que nous pouvons lire ou dans lesquels nous pouvons écrire, mais aussi la procédure pour y arriver. Spécifiquement dans la reliure, il faut accomplir un travail de précision qui implique une grande concentration. Pour créer mes cahiers et mes livres je suis devenu complètement polyvalent . Je fabrique le papier, alors c’est là que commence une relation indescriptible : le papier me fascine je le trouve sensuel. Pour avoir un choix, j’ai appris à fabriquer du papier à l’aide de diverses matières. Celles-ci peuvent être des jeans, du blé, du gazon, des carottes et d’autres fibres naturelles.

Y a-t il une relation entre la chimie et la reliure ?
Non, contrairement à la reliure, la chimie exige une pensé analytique. Or dans le métier de relieur le plus importante est la perception de la matière et la fantaisie.

A l’heure d’internent qui peut encore s’intéresser à la reliure ?
Le marché est petit, exclusif et élitaire. Pour se faire un nom, ce qui n’est pas mon cas, il faut être un maestro. Pour ma part, je rencontre un grand nombre de gens, en majorité des femmes, qui s’intéressent au livre réalisé d’une manière artisanale. J’aurais l’opportunité de travailler à plein temps mais ça me suffit ainsi.

Comment créez-vous une reliure?
Dans le cas d’une création tout commence par le choix du papier que je veux employer. Ce qui demande beaucoup de réflexion. Je fais du papier en diverses matières et ainsi avoir un assortiment. Je coupe le papier au format voulu, après vient le choix du matériau pour la couverture que je coupe, plie et colle. Ensuite l’ensemble va sous presse, c’est alors que je dois prendre la décision de coudre ou de coller, avant que l’ouvrage n’aille de nouveau sous presse. La partie finale sera de décorer ou de donner une forme unique et particulière au livre. C’est alors que le modeste créateur que je suis ressent une fierté indescriptible devant son œuvre.

Photos: Viviana von Allmen

Cahier rond

Portraît

Raymond Stauffer directeur de Tornos SA à Moutier.

Deux entreprises, une vie

Diplômé de l’école d’ingénieur du Locle, Raymond Stauffer a consacré toute sa carrière à développer de nouvelles technologies, mais a aussi dirigé deux entreprises de l’arc jurassien. Aujourd’hui, à la tête de Tornos S.A., ce patron pour le moins original se proclame «coach» de son team.
Viviana von Allmen

En 1975, le jeune ingénieur recherche un petit boulot avant de rentrer à l’école de recrues. Ismeca SA à La Chaux de Fonds cherchait un employé temporaire pour les archives. Il saisit cette opportunité.
À l’époque, il était le vingtième employé de l’entreprise. Pendant ces trois semaines, l’entreprise obtient une commande pour une machine rentre et la Direction, lui propose de faire partie du team de design. «J’ai préféré faire ça plutôt qu’aller à l’armée.» avoue l’ingénieur.
«L’odyssée  de cette construction m’a laissé un goût de curiosité. L’entreprise grandissait et nous avec elle.»
Grâce à une grande commande des Etats Unis, Ismeca s’est organisé de manière industrielle. Raymond Stauffer se souvient que dans les années 80 Motorola leur a apporté beaucoup de travail.  Dans les années 1988 et 89 le jeune manager part avec toute sa famille aux Etats Unis pour fonder Ismeca Production. Ce meneur de jeu s’impose tous les entretiens d’embauche selon la coutume des vieux patrons «Je ne comprenais pas bien tout le monde mais, ceci m’a bien initié au slang américain.» rigole le manager.
Il s’intègre vite à la vie californienne mais prend beaucoup plus de temps à faire comprendre le savoir-faire européen. «En Suisse quand on a  trois voyelles et cinq consonnes on étoffe l’alphabet, par contre, en Amérique du Nord on doit avoir les 26 lettres pour envisager de démarrer la construction de l’alphabet.» explique l’ingénieur
Les méthodes de travail américaines s’articulent autour de la spécialisation pour tout et n’importe quoi, ceci ralenti les phases initiales dans tout projet.  Habitué à travailler à la façon helvétique l’ingénieur trouve rapidement une autre mentalité pour affronter les problèmes du quotidien. Il se met tout de suite dans le bain et implante des stratégies pour consolider l’autonomie du travail helvétique et les teams workers américains. En un temps minimal, il développe une synergie de travail entre les deux mentalités. Rentré au pays, il reste pendant 9 ans à la tête de la maison mère tout en effectuant à plusieurs reprises des voyages aux usines maliennes.
Au début de l’année 2002, il prend une année sabbatique sans beaucoup de succès puisqu’il est  contacté par Maître Frôte pour entrer au conseil d’administration de Tornos SA.
C’est au milieu de cette même année que Raymond Stauffer  prend les rênes de la mythique fabrique de tours à Moutier. Dès son premier jour, Il se réjouit  de passer par les ateliers pour créer le contact avec les employés. «J’assume mon mandat comme un coach qui veille à l’équilibre de son équipe.» exprime le dirigeant
En même temps il met en oeuvre son credo pour un bon déroulement du travail: 1 Orientation client : (restaurer la «culture client», 2 Orientation chiffres : (instaurer une culture de valorisation des résultats)et 3 Orientation «team» : (travailler en équipe)
Et sa formule marche. Aujourd’hui l’entreprise est dans les chiffres noirs et génère des bénéfices. «Nos efforts se poursuivront dans cette direction.» affirme le dirigeant
V.vA

Quatre questions à Raymond Stauffer

Avez-vous votre propre entreprise ?
Mon entreprise, c’est celle pour laquelle je porte la casquette. Cette philosophie est toujours la formule gagnante pour développer un bon fonctionnement au travail. Si je ne cultivais pas cette identification, le travail serait un joug, juste une tâche à accomplir, alors que fondamentalement, il doit procurer du plaisir. Cette appartenance me permet de me lever le matin avec entrain et d’aborder positivement la journée.

Y a t-il une formule pour redresser une entreprise ?
Il n’existe pas une formule universelle mais il faut se fixer des butes raisonnables, atteignables dans des délais réalistes et de travailler avec la conviction d’y arriver. Il faut surtout s’investir avec tout son potentiel dans l’étude de faisabilité des réalisations en rapport avec les produits de l’entreprise et son positionnement sur les marchés. Il faut aussi signaler que dans le cas de Tornos, nous avons pu compter sur la compréhension et la patience, des actionnaires dans les moments difficiles à gérer.

Que pensez-vous des rémunérations des managers des multinationales ?
Ces gains démesurés sont ridicules. Le fait de gagner ce qu’on ne peut pas dépenser dans deux, voire trois vies met en conflit la relation entre l’effort du travail et la compensation de celui-ci. Aujourd’hui nous sommes confrontés à une réalité qui dépasse un raisonnement équilibré. Quels paramètres préconisent qu’un dirigeant doit gagner 5, 20 voir 50 millions pour ses prestations? Dans une autre optique il faut relever que leurs salaires ne sont pas tous en liquide, il y a des participations et aussi des sommes assignées à des échéances dans le temps, selon certains buts.

Combien de temps durera cette reprise de l’industrie ?
Comme dans tous les processus, le secteur des biens d’investissements est soumis à des cycles. En ce qui concerne cette année, le premier semestre a été toujours crescendo et nous nous attendons à une récession dans la deuxième partie de 2005. J’ai toutefois de bons espoirs que la tendance d’amélioration se poursuivra au moins jusqu’à 2008.
V.vA

Photo Viviana von Allmen

Raymond Stauffer serein face à l'avenir