Eclairage

Mon natel et moi : une histoire intime

Cela fait bientôt plus de dix ans que cette petite machine a investi nos poches. Si à ses débuts, le natel était surtout réservé aux professionnels, son utilisation s’est très vite répandue de sorte qu’aujourd’hui, il est devenu marginal de n’être joignable qu’au moyen d’une simple ligne de téléphone fixe.
Viviana von Allmen

L’ampleur de la rupture technologique et la vitesse de diffusion de ce nouveau moyen de communication dans tout le corps social constituent des faits sans précédents dans l’histoire de l’économie de nos sociétés. Le natel fait désormais partie du paysage social ordinaire, des lieux publics aux lieux privés, des espaces de travail aux espaces de transports. Intimement lié à la trame du quotidien, il est érigé en symbole de la vie urbaine contemporaine : marcher en ville aujourd’hui, c’est de toute évidence marcher avec un téléphone mobile.

Le nombre de discours portés au quotidien sur le téléphone mobile montre qu’il est un sujet à l’ordre du jour. Pour reprendre les termes de l’AFOM , « Le mobile est devenu un véritable phénomène de société ». Cependant, l’apparition du natel ne constitue pas un évènement mythique comme les grandes inventions de la télécommunication au XIXe siècle qui ont transformé radicalement les conditions d’existence. Le natel a donné lieu avant tout à de nouveaux usages de communication : il a ainsi prolongé l’invention du téléphone filaire dont on avait déjà l’habitude, tout en révolutionnant les manières de communiquer et les comportements.

À entendre le GRIPIC , si l’on désire s’interroger concrètement sur ce que constitue aujourd’hui l’évidence du téléphone mobile, il faut d’abord s’interroger sur l’objet lui-même, sur le mobile en tant qu’objet. S’il est admis de considérer que la définition minimale d’un téléphone mobile est d’appeler et d’être appelé et ceci de manière « nomade », il vient de suite à l’esprit que le natel est d’emblée perçu par ses utilisateurs comme un objet multitâche. L’expression « se servir » de son téléphone mobile désigne toute une série d’usages que les gens décrivent souvent spontanément, en évitant parfois soigneusement de parler de la fonction d’appel et de réception d’appels. Au dire des personnes interrogées par l’AFOM, on se sert du téléphone mobile comme d’un « couteau suisse ». Il rend possible une multiplicités d’usages non téléphonés : le natel est aussi un réveil, un agenda, une montre, un appareil photo, une caméra… mais également une sorte d’archive de vie ambulante. Sans parler des nouvelles technologies qui se développent actuellement au Japon, où le natel devient outil caméléon, passant de porte monnaie électronique à ticket de transport, carte de crédit ou encore clef de maison. Selon nos chercheurs du GRIPIC, toujours, « La fonction supplémentaire, qu’elle soit photographique ou qu’elle soit répertoire, est précisément celle qui souvent, signe la relation que l’on entretien avec son téléphone mobile ».

Mobile ? Ces derniers nous proposent également de nous interroger sur l’apparente mobilité de cet appareil. En effet, si le natel est l’objet qui, dans nombre de discours est associé à la mobilité, il est aussi un objet qui a sa propre sédentarité, notamment dans l’univers privé : l’espace de la maison. N’avez-vous pas vous aussi un emplacement pour votre cellulaire, au milieu de la galaxie des autres petits objets du quotidien, comme vos clefs, votre sac ou votre manteau ? Dans bien des cas, le natel est à ce point sédentaire qu’il fait même l’objet de petits rituels domestiques significatifs de sorte que l’allumer au lever signe pour certains le début d’une journée de travail, l’éteindre avant de se mettre au lit signifie pour d’autres la fin de la celle-ci.

Le natel, tous les usagers le savent, c’est aussi un objet que l’on manipule. Dans les lieux publics, au travail ou bien chez soi, qui de nous ne s’est jamais surpris en train de tripoter inconsciemment ce petit appareil ? On l’allume ou plutôt on le remet en action, on ouvre son répertoire, on relit ses sms reçus, on en rédige un, on ouvre la fonction jeu, on regarde l’heure… Selon une étude effectuée pendant près d’un mois dans une gare française, on constaterait qu’une personne sur deux regarde son téléphone et l’utilise pour passer le temps d’attente. D’après l’avis du chercheur Julien Morel , nous aurions un rapport quasi charnel au téléphone : « Que dire en effet de ces caresses fréquentes, préhensions, contemplations qui visent la totalité de l’appareil ? Notons une préférence pour l’écran, surface interactive vivante, qui même manifestement propre, est nettoyée par un balayage du pouce ou de l’index ». Objet que l’on caresse, objet symbole qui nous rappelle que nous sommes reliés avec nos proches. Ces usages non téléphonés  permettent de faire du mobile un indispensable compagnon de route dans les moments d’attente pour occuper le vide. Ces usages sont également autant de nouvelles ressources dont nous disposons pour assumer nos apparences en public, au travail comme au milieu d’une foule anonyme.

Mon natel et moi : une histoire intime. Le téléphone mobile est un objet à ce point présent et intégré dans nos faits et gestes, que les manipulations n’étonnent plus personne, même si elles contribuent de façon non négligeable au théâtre des apparences, où l’enjeu est aussi de voir et d’être vu, de percevoir et d’être perçu. Nous terminerons sur ces conclusions écrites par le GRIPIC, qui à défaut de la faiblesse théorique de cet article sauront éveiller la réflexion de tout un chacun. « En somme, le téléphone mobile est l’instrument du lien à plusieurs titres. Il y a d’une part les liens nombreux que nous tissons autour de l’objet, qui font de lui une sorte de prolongement de nous, et, d’autre part, ceux qu’il nous permet de tisser avec d’autres personnes. On comprend l’intensité de l’investissement quasi fétichiste auquel peut prêter un objet qui permet en tous lieux d’avoir les Autres à portée de main et à portée de voix. Il faut d’ailleurs revenir sur les enjeux symboliques de ce geste : sélectionner un nom dans une liste, appuyer sur une touche et avoir retrouvé le lien par delà les temps divisés de chacun. Car c’est bien de cela qu’il s’agit dans l’objet fétiche -qu’il soit capable de servir activement de substitut à l’absence. »

Édito

Les moyens de communication modernes vont-ils tuer la presse ?

Didier Nieto
Internet, les téléphones portables high-tech et les autres gadgets du même genre – en somme tout ce qu’on considère comme les moyens de communication modernes – ont déjà bien modifié le paysage de notre société ainsi que nos manières de vivre. Certes, ce n’est pas un scoop. Et malgré le fait qu’ils présentent quelques inconvénients (voire même plus diront certains), on n’a pas vraiment à se plaindre de leurs apports. Admettez que c’est quand même pratique de pouvoir joindre (et déranger) ses copains quand ils ne sont pas à la maison ou de se connecter sur le web pour télécharger en toute illégalité un morceau de musique qu’on aime bien. Ces moyens de communication s’avèrent également très utiles quand il s’agit de se tenir au courant de l’actualité : cliquer une ou deux fois sur Google ou alors envoyer un SMS au bon numéro et l’information nous parvient dans la minute. Simple et rapide.
Face à de tels concurrents, la presse écrite – qui fait donc partie des anciens moyens de communication ! – a-t-elle une chance de survivre ? Ou pour exposer le problème différemment : combien de temps les gens vont-ils encore payer pour lire dans le journal une information qu’ils ont déjà vue une quantité de fois à la télé, sur l’écran de leur ordinateur ou sur celui de leur téléphone mobile ? C’est là une question qui préoccupe probablement tous les groupes de presse.
A mon sens cependant, les journaux représentent encore bien plus qu’un simple complément d’information aux autres formes de médias. Leur parution quotidienne, et non instantanée, leur permet en effet de disposer d’un certain laps de temps supplémentaire pour traiter l’actualité, ce que les autres médias n’ont pas forcément. La presse écrite a donc encore un petit avantage sur ses concurrents. Et quoiqu’il en soit, son avenir n’est de toute façon pas aussi sombre qu’on ne le présage, car pour beaucoup, un reportage à la télé, un article sur le Net ou un SMS ne remplacera jamais le plaisir de lire le journal en buvant un bon café.