Films

Un néonazi, un pasteur, des pommes et des vers

ADAM’S APPLES – Peu connu chez nous, le cinéaste danois Anders-Thomas Jensen nous livre un film drôle, cynique et touchant à la fois. A découvrir.

Avec « Adams’s Apples », Anders-Thomas Jensen prouve que le cinéma danois ne se résume pas uniquement aux films de son compatriote Lars Von Trier et à ses fameuses expériences dogmatiques. Pour rappel, l’école Dogma, fondée par quelques cinéastes danois (dont Lars Von Trier) propose de faire du cinéma en refusant tout apport artificiel. Ainsi, les réalisateurs qui souhaitent que leur film reçoive l’appellation Dogma ont l’obligation de respecter certaines contraintes durant le tournage. Par exemple, ils doivent utiliser seulement des décors et une lumière naturels et ne filmer qu’avec une caméra portée à l’épaule. Le résultat, toujours surprenant, est donc un curieux mélange d’amateurisme et de savoir-faire expérimental. Anders-Thomas Jensen, qui s’est essayé aux concepts dogmatiques par le passé, est toutefois revenu à une réalisation plus traditionnelle pour son nouveau long-métrage.

« Adam’s Apples » raconte l’histoire d’Adam, un ex-taulard néonazi qui, à sa sortie de prison, est recueilli par Ivan, un pasteur à la foi inoxydable et à l’optimisme inébranlable. Durant le séjour d’Adam, Ivan va tout tenter pour faire évoluer son pensionnaire et atténuer sa haine. Mais tous les efforts du pasteur se heurteront au nihilisme du néo-nazi. Et pourtant, Ivan n’aura cesse de positiver et de voir le bien là où toute autre personne ne verrait que le mal. Pour aider Adam, il lui proposera de réaliser un gâteau aux pommes avec les fruits de l’arbre de l’église. Et malgré les nombreux problèmes rencontrés durant la réalisation de ce grand projet, le pasteur ne baissera jamais les bras. Contrairement à Adam. Mais ce dernier se rendra rapidement compte que si l’obstination du pasteur rime avec amour de Dieu, elle est aussi associée à une bonne dose de folie. En filmant la rencontre improbable de cet homme d’Eglise borné et de ce fasciste haineux, Jensen confronte deux manières opposées d’appréhender le monde. Le réalisateur danois s’applique à ne prendre parti pour aucune d’entre elles, mais montre avec délectation qu’elles sont l’une comme l’autre proches de la folie lorsqu’elles sont poussées à l’extrême. Les deux protagonistes sont donc un peu dérangés, chacun à leur manière : Ivan dans sa manière en se remettant entièrement à Dieu et en refusant de se confronter à la réalité, Adam en ne croyant en rien et en cultivant sa haine de l’autre. Mais si l’opposition des deux personnages donne lieu à quelques considérations morales intéressantes et jamais gratuites, elle est aussi à l’origine de situations comiques savoureuses. Ainsi, on rit souvent en voyant Adam incapable d’ébranler l’optimisme d’Ivan, malgré une mauvaise volonté poussée à l’extrême. La scène qui voit l’ex-taulard proposer de résoudre le problème des oiseaux qui attaquent le pommier à l’aide d’un pistolet est sans doute l’une des plus drôle.
La réussite d’ « Adam’s Apples » doit aussi énormément à son duo d’acteurs. Dans le rôle d’Adam, Ulrich Thomsen, crâne rasé et mine patibulaire, fait ressortir crescendo l’humanité qui habite son personnage. En face de lui, Mads Mikkelsen, interprétant le pasteur qui s’efforce de positiver quelle que soit la situation, alterne les regards remplis d’innocence de l’éternel optimiste avec ceux plus sombres de l’homme confronté à la réalité avec un talent déconcertant. Si le cinéma danois est aussi bon dans l’ensemble que l’est le film de Jensen, on regrette qu’il ne s’exporte pas mieux.
Didier Nieto

De Anders-Thomas Jensen. Danemark. 1h34. Avec Mads Mikkelsen (Ivan), Ulrich Thomsen (Adam), Ali Kazim (Khalid), Nicolas Bro (Gunnar), Ole Thestrup (Dr. Kolberg),…

Reportage

Après la coupe du Monde

En s’offrant la Coupe du Monde le 9 juillet dernier, l’Italie s’est garantie un été prometteur: fêtes, danses, chants jusqu’au bout de la nuit et des vacances. Du moins est-ce ce à quoi l’on peut s’attendre après avoir été témoins des célébrations françaises de 1998. Les italiens mettent-ils la même vigueur dans l’après Coupe du Monde? Petit compte rendu depuis Rome et Soverato, station balnéaire calabraise.
Deborah Sohlbank

Arrivée à Rome le lundi 17 juillet. La chaleur est écrasante. Déjà la ville commence à se dépeupler pour migrer vers le Sud. Près de la gare, San Lorenzo, quartier estudiantin et populaire à deux pas de « La Sapienza », l’université principale de Rome. Ici, la vie y est encore extrêmement agitée, les examens ne se terminant que fin juillet. Ainsi, si le quartier semble quasi inhabité de jour, le climat étant à la limite du supportable, il se remplit la nuit de milliers de jeunes profitant de ce répit qu’offre la presque fraîcheur nocturne. De nombreuses places et terrasses permettent les rencontres. La situation semble idéale pour se rappeler l’exploit accompli par l’équipe nationale une semaine auparavant. Pas d’emballement pourtant, rien de particulier à signaler. Je ne vois personne vêtu du maillot de l’Italie. Les sujets de conversations varient, mais pas d’emballement particulier lié à la victoire. Pas d’hymne équivalent au « On est les Champions » tant de fois entendu, pour ne pas dire subi. De même que les rues ne sont pas envahies de drapeaux italiens. Seules quelques fenêtres en sont encore parées, sans artifice particulier. Les romains racontent qu’ils ont fêté deux jours sans s’arrêter une seconde. Ensuite, pas besoin de prolongations. « L’estate romana » se charge du reste: cinémas gratuits ou presque en plein air dans toute la ville, festivals, bars, et tout un tas d’animations qui, cinquante après son âge d’or, donnent un sens à l’expression « dolce vita ». Avec ou sans victoire à la Coupe du Monde.

Basta. Malgré le charme des nuits romaines, le besoin de sel marin mélangé au sable, incrustés à la peau et dans les cheveux est devenu indispensable. Soverato est située sur la côte de la mer Ionienne en Calabre qui elle se trouve entre la plante du pied et les orteils de la botte. Comme toute station balnéaire digne de ce nom, les journées s’articulent en trois moments clefs (sans parler des repas): la vie y est particulièrement active quelques heures la matinée (forte représentation de familles nombreuses et leur matériel de plage multicolore), en fin d’après-midi (les familles sont toujours là, plus les jeunes qui se sont réveillés quelques heures auparavant: ils flânent sur la plage, la moitié du visage occupé par des lunettes de soleil magistrales) et la nuit (les familles ont disparu) où les locaux rivalisent de branchitude, de hits estivaux et où la promenade le long de la mer est une invitation à la parade et à la contemplation. « Il lungomare » est propice aux rencontres et retrouvailles pour les calabrais dispersés dans le pays ou à l’étranger toute l’année, de retour sur leur terre pour quelques semaines de détente. On se raconte ce que l’on devient, se demande des nouvelles de la famille et des amis, s’extasie de la pureté de la mer et commente les nouveautés locales et régionales. La victoire du Championnat fait partie des discussions. Les gens parlent de la finale, de Zidane, mais affirment tous que le plus beau match a été celui emporté contre l’Allemagne. Les italiens quelque peu rancuniers et susceptibles (les titres de la presse allemande n’ont guère été appréciés) savourent doublement cette victoire qui les a menés au triomphe. Mais comme à Rome, les rues ne sont pas envahies par les drapeaux et à part quelques rares enfants, les gens ne se balladent pas en maillot « azzurro ». Seuls quelques jeunes en scooters portent des casques tricolores. Les discothèques ne diffusent pas de chansons à la gloire des joueurs et du nouveau statut footballistique du pays. Cette absence de célébrations que j’imaginais omniprésentes et incessantes m’étonne. Ayant vu comment les français portaient leur équipe aux nues, peut-être m’attendais-je à ce que tous  les pays réagissent de la même manière?

Mais si la Coupe du Monde n’est pas au centre de l’attention commune et des conversations, les débats autour du football n’en sont pas moins passionnés. Car l’Italie vit en ce moment ce que la presse se plaît à nommer le « paradoxe du calcio »: parallèlement à la finale victorieuse, un scandale où se confondent corruption d’arbitres, intimidation des joueurs, paris illégaux et falsification des ralentis à l’écran  touche les équipes les plus fameuses du pays. Cette actualité est systématiquement évoquée, racontée, analysée. Les calabrais qui se retrouvent l’été résident le reste du temps principalement entre Rome et le nord du pays. Ainsi, ce sont des « tifosi » de nombreux clubs différents concernés ou non par le scandale qui se confrontent, se chahutent et palabrent à l’infini sur les événements. La ferveur  recherchée mais jamais vraiment trouvée l’évocation de la victoire du Mondial se trouve dans cet épisode de l’histoire du football italien. Pourquoi les tifosi évoquent-ils plus volontiers des faits pas très glorieux salissant la réputation et la crédibilité du football italien plutôt que de  magnifier les prouesses de l’équipe nationale? Comment se fait-il que la Coupe du Monde laisse si peu de traces moins d’un mois après sa clôture?
Deux explications peuvent être suggérées. Tout d’abord, les italiens ne semblent pas avoir un sentiment très fort lié à l’idée de Nation. Ceci ne signifie pas pour autant qu’ils ne sont pas attachés à leur terre, au contraire. Justement, être attaché à sa terre signifie se sentir lié à l’endroit d’où l’on vient. Combien de fois ai-je entendu des italiens m’expliquer:  » En Italie, je me sens napolitain (ou sicilien, vénitien, romain,..), je me sens italien à l’étranger. » L’identité locale est solide: chaque lieux a son dialecte, les spécialités culinaires se démarquent clairement les une des autres, les particularités tant culturelles que géographiques sont bien plus valorisées que des caractéristiques liées à l’Italie en tant que Nation. Ceci est-il dû à la tardive unification de l’Italie? Ainsi l’attachement à un club de foot local côtoyé sans cesse et à travers lesquels  peuvent s’exprimer les rivalités interrégionales est-il particulièrement fort. Si celui est touché, ceci engendre de nombreuses agitations que l’on peut lier à la deuxième explication: les italiens, ils me le disent eux-mêmes, sont d’un caractère ironique, chicaneur et plaisantin. De plus, ils aiment la conversation quand elle est dotée d’un ton dialectique. Quel plaisir donc en tant que supporter de la Roma de retrouver un « juventino », de le malmener, de le voir se débattre dans des veines justifications et se lancer avec lui dans un débat au ton chamailleur qui pourrait ne jamais prendre fin! Ces discordes piquantes semblent bien plus attirantes et stimulantes que de constater et se satisfaire d’une victoire commune!
D.S.