Mode de vie

Le Röstigraben au militaire

05h30, diane, tout le monde debout !!! Certains s’en souviendront, à l’armée on ne dort que trop peu. Cette contrainte mise à part, d’autres expériences se sont avérées enrichissantes, dont le choc des cultures au sein de la troupe. En règle générale, dès la majorité acquise, les recrues partent accomplir leur service militaire avant d’entrer dans la vie active ; elles n’ont pour la plupart pas encore été confrontées à l’autre partie du pays, c’est-à-dire à la réalité d’une frontière linguistique à proprement parler. Notre chère Patrie compte quatre langues nationales ; évidemment, rares sont les quadrilingues, ceci souligne un des plus grands problèmes au militaire : la communication.

Dès le premier jour déjà, l’on remarque que pour diverses raisons pratiques, l’on ne mélange pas les différentes sections ; les cadres braillent : « les Romands d’un côté, les Suisse-Allemands de l’autre ». Une différence est déjà marquée, les jeunes recrues sentent alors très rapidement qu’ils auront à prouver que leur « portion » de Suisse est plus efficace que l’autre et vice versa. D’ailleurs les jeunes caporaux ou sergents, mais aussi les cadres supérieurs, n’auront de cesse de le leurs rappeler, car si les effectifs le permettent, ils auront la chance d’avoir des recrues partageant leur langue. Selon le Premier Lieutenant Paccolat, cadre supérieur expérimenté et commandant de compagnie, les manières de travailler des « gradés » divergent aussi selon leur provenance : « Les cadres Romands octroient une pause si le travail a été fait pour qu’il y ait aussi des phases récréatives, alors que les cadres Suisse-Allemands inventent souvent une mission basique tels que faire des pompes ou encore un drill pour meubler le temps par des affaires militaires ! » Certains clichés réapparaissent dans les moments où il s’agit de mettre la main à la patte, il constate que le Romand, de par son caractère plus méditerranéen, aurait tendance à ne pas faire son travail tant qu’on ne lui donne pas une explication concrète du pourquoi de la tâche, alors que le germanophone exécute les ordres sans rechigner. Mais il souligne que dans la plupart des cas, la section est à l’image de son chef. Cela alimente la concurrence et mets le feu aux poudres, et tout comme en sport, l’on assiste à une dynamique de groupe qui entraîne un dépassement de soi. Les forces et les faiblesses de chacun s’équilibrent, on ne peut donc affirmer que la partie francophone ou alémanique supplante l’autre.
L’atmosphère entre les deux camps (les Tessinois se fondent souvent avec les Romands), se détend vers la fin de l’Ecole de recrues. La camaraderie s’étend alors à tous les niveaux, tout le monde a travaillé pour un objectif commun, servir son pays et a souffert pour devenir soldat.

Malheureusement, il arrive qu’une personne soit isolée dans une compagnie ou une section, composée uniquement de personnes qui ne parlent pas sa langue, « l’armée lui donne alors la possibilité de changer d’affectation et c’est accordé d’office » assure le Plt Paccolat, ceci permet d’éviter une solitude pouvant durer jusqu’à 21 semaines. Mais n’oublions pas que certains courageux tentent tout de même l’expérience et rentrent dotés d’une deuxième langue nationale comme bagage à la maison.

Les affaires se corsent lors des cours de répétitions. Trois semaines par année, où Romands et Suisse-Allemands cohabitent et réalisent les exercices ensemble. N’ayant pas l’habitude de se côtoyer pour la plupart, la tâche devient alors de plus en plus compliquée. Les données d’ordres exprimées dans une des langues ne sont pas comprises ou mal interprétées par les uns, les autres s’énervent alors car le travail n’est pas fait ou tout simplement mal fait. Et comme l’armée rime bien souvent avec armes, les dangers ne sont pas des moindres, surtout lors des exercices de tirs. Pour les chanceux, la personne chargée de l’instruction est bilingue, mais de répéter chaque ordre une seconde fois constitue une énorme perte de temps.
Mieux encore, les fax envoyés directement depuis l’Etat-Major qui commande les différentes compagnies, avec toutes les instructions en paraphrases dans une langue « étrangère », abréviations et vocabulaire technique inclus, que nul ne saurait traduire. Car il faut savoir que la plupart des manuels sont en trois langues, que chacun y trouve son bonheur, mais dès qu’il s’agit de communiquer avec « l’étranger » de l’autre côté du Röstigraben, nous sommes contraints à sortir les bouquins spécialisés et consacrer des heures à déchiffrer ce chinois national.

La question qui se pose est la suivante : ne serait-ce pas se simplifier la tâche, que d’uniformiser la langue militaire ? Le Plt Paccolat pense que l’on se dirige dans ce sens, « certaines instructions pour des armes très modernes sont exclusivement données en anglais, les pilotes en sont les meilleurs exemples ». D’autres grandes entreprises en Suisse ont pu faire face à ce genre de soucis linguistiques grâce à l’anglais. Mais l’identité propre à notre pays, sa culture et donc ses langues, devront probablement subir les lourdes conséquences de cette standardisation.
J.W.

Analyse

L’autre face de la religion

Durant une semaine, Le Temps a puisé dans le journal Le Monde 6 articles qui relatent de sombres épisodes historiques ayant marqué les différentes religions.

Tout au long de la première semaine d’août, le journal genevois Le Temps a consacré sa « Série d’été » à différents épisodes de l’histoire durant lesquels de nombreuses violences ont été menées au nom de la religion. Ces six articles tirés du journal « le Monde » et intitulés « La guerre des dieux » présentent sous un jour tout à fait différent et intéressant ce que l’homme a pu accomplir en justifiant ces actes par la religion.

Le premier épisode est consacré à la bataille de Karbala qui se déroula le 10 octobre 680 et qui provoqua parmi les musulmans la séparation entre sunnites et chiites, dont les répercussions sont visibles aujourd’hui encore. A l’origine de ce schisme se trouve le double assassinat d’Ali, cousin et gendre du prophète Mahomet, et du fils de ce premier, Hussein.  La descendance mâle du prophète est en effet persécutée par la dynastie régnante à Damas, celle des Omeyyades. Après un combat inégal, Hussein et ses proches sont tués. De cet événement va naître la pitié et la fascination chiite pour le martyre. Celle-ci trouve déjà ses racines dans les années de califats d’Ali, de 656 à 661, qui finit par perdre le soutien d’une partie de l’armée avant d’être assassiné en 661. La vision chiite diffère de celle des sunnites du fait que ces premiers considèrent Ali comme le successeur désigné de Mahomet, ce que contestent les sunnites. C’est la raison pour laquelle les chiites considèrent Ali comme l’Imam le plus vénéré. Les avis diffèrent quant au moment où sa lignée se termine mais les chiites continuent de traiter avec le plus grand respect leurs Imams au point de leur dédier un véritable culte et de reposer sur eux toute leur croyance et leur espérance, alors que les sunnites ne portent leur vénération qu’à Allah lui-même.

Les deux articles suivants se penchent quant à eux sur la question des croisades. Ils rappellent avec quelle violence les croisés ont pillé Jérusalem lors de la prise de la ville, le 15 juillet 1099. Dans le but d’éliminer toute présence païenne des terres sacrées, les croisés perpètrent de nombreux crimes, massacrant des musulmans jusque dans les mosquées, s’emparant des trésors de Jérusalem et profanant des sanctuaires. L’horreur qui s’accable sur la ville est en grande partie la cause de la séparation encore bien actuelle entre l’Occident et l’islam. La barbarie des croisés face à une religion qu’il ne connaisse pas et pour laquelle ils n’ont aucune considération va engendrer un fort sentiment de mépris du côté musulman, point de vue que l’Occident tend à ignorer.

Le 13 avril 1204, lors de la quatrième croisade, les armées s’attaquent à Constantinople, resplendissante cité grecque. Une fois la ville sous leur emprise, les soldats reçoivent la permission de piller la ville trois jours durant. Face à l’opulence de la ville, la sauvagerie des vainqueurs est d’autant plus grande. Chaque bâtiment est dépouillé de ses trésors, de nombreux manuscrits sont détruits, des églises sont mises à sac et de nombreux chrétiens d’Orient sont tués. Plusieurs années de déchirement au sein du pouvoir suivront la prise de Constantinople avant que les Grecs ne reprennent la ville 60 ans plus tard, leur mémoire encore emplie des horreurs commises par les croisés.

Un autre épisode sanglant de l’histoire chrétienne est l’expulsion des juifs d’Espagne en 1942. L’Espagne jubile. Elle a reconquis les territoires occupés par les Maures, elle découvre l’Amérique et s’enorgueillit de purifier sa population en expulsant et en tuant  des milliers de Juifs, accusés de souiller la société espagnole. Seuls ceux qui acceptent d’être baptisés ont la permission de rester. Cependant, ceux-là même n’ont pas fini d’être inquiétés puisque commence la chasse aux faux convertis qui aboutira à l’obligation de prouver la pureté de son sang pour chaque citoyen.  A une autre échelle mais de manière tout aussi sanglante, le massacre de la Saint-Barthélemy représente une fois encore l’obsession de la souillure. Durant trois jours, les huguenots, calvinistes français, furent massacrés, accusés d’avoir mis au point un soi-disant complot contre le roi en abusant de la naïveté des fidèles.

La partition de l’Inde et du Pakistan en 1947 constitue le sujet du dernier article de la série. La séparation politique en deux pays pousse deux religions, l’hindouisme et l’islam, deux populations habituées à se côtoyer, mais pas pour autant à se mélanger, au massacre réciproque. Des millions de musulmans quittent l’Inde pour le Pakistan et réciproquement les hindous rejoignent l’Inde. Les minorités sont massacrées pour leur seule différence religieuse.

Ces faits historiques sont autant d’exemples qui suscitent une réflexion quant à l’écart qui ne semble jamais se réduire entre les valeurs religieuses de chaque communauté et l’utilisation qu’en a fait l’homme au cours des siècles.
S.B.