Commerce

Je produis. Tu achètes. Tu es.

Nourriture, produits, consommation, articles. Quelques termes liés à ce que nous mangeons. Et nous en déplaise, les gros supermarchés cherchent bien à nous définir et classer dans leurs labels. Alors, êtes-vous plutôt « Fine Food » ou « Prix Garantie » ?

A l’heure des gros festins de fins d’année, force est de reconnaître que nous passons de nombreuses heures dans les supermarchés. Un seul et même magasin réunit une clientèle hétéroclite qu’il veut la plus fidèle possible. Toucher un maximum de consommateurs : tel est le but qui  légitime le fait que c’est bel et bien un monde qui peut séparer deux gammes. Les articles en rayon sont similaires mais en même temps tellement différents. Aujourd’hui, il est difficile de remettre cela en question, tant nous avons accepté les lois de la consommation. Certains veulent dépenser moins, d’autres demandent une qualité nettement supérieure. Chacun choisit ce qui l’intéresse et tout le monde est content. Mais face à des produits aux emballages si explicites, comment ne pas se demander ce qu’ils reflètent du consommateur ?

Un petit tour sur Internet s’avère très révélateur. Comparez sur le site de la Coop la page « Fine Food » à la page « Prix Garantie ». Cela commence avec les couleurs qui identifient les deux gammes : noir et argent pour la première, blanc et rose criard pour la deuxième. Les graphismes des deux pages sont opposés : sobre et épuré d’un côté, chargé de l’autre . La page « Fine Food » bénéficie de beaucoup de texte : on y explique la « philosophie » de la gamme. Les produits sont de très haute qualité, venant du monde entier (ils sont d’ailleurs toujours intitulés en langue originale), sans pour autant être de luxe. Le slogan de ce label : « Pour des moments privilégiés. Coop Fine Food. Oubliez le quotidien. Offrez-vous de purs moments de plaisir chargés d’émotion et de sensualité. » Beau programme : on nous promet de l’exception, de l’émotion et de la sensualité. C’est à se demander si nous ne pourrions pas remplacer « moments privilégiés » par « personnes »…Et que nous propose-t-on dans le monde rose de « Prix Garantie » : pas de « philosophie » mais une quantité d’informations communiquées par deux moyens : des phrases courtes et exclamatives, quelque peu insistantes : « Prix Garantie. Garantie qualité. Garantie prix. Garanti. » et une liste de questions-réponses. Nous sommes dans les faits et rien de plus. A noter qu’ici tous les articles sont nommés en français. Un dernier détail comparatif pouvant prêter à sourire mais qui n’est certainement pas vide de sens. Les articles présentés sur la page « Fine Food » sont catégorisés en « entrées », « plats principaux », « desserts & fromages », etc. Sur la page « Prix Garantie » les articles sont catégorisés en « fruits », « viandes », et « produits laitiers ».

Après la visite de ces pages, comment ne pas avoir la sensation amère que la forte différenciation des clientèles est proche de la discrimination ? Face au client « Fine Food » qui doit être, si l’on en croit les messages implicites du site, une personne aisée, distinguée et cultivée, comment le client « Prix Garantie » peut-il se sentir? Comme une personne pauvre, quelque peu grossière et préoccupée uniquement par des besoins primitifs ? Reste à se demander si tout le monde ressort réellement gagnant de son supermarché…
D.S.

Analyse

Dignité humaine et sans-abris, mais quelle compatibilité ?

Au retour de l’hiver, comme chaque année depuis au moins un quart de siècle, les sans abris (re)deviennent un sujet d’actualité.

88 jours, 23 heures et 41 minutes cette année ! c’est la durée de l’hiver jusqu’au début du printemps. 88 jours pendant lesquels le sans-abri va vivre dans des conditions de désolation, bien souvent abandonné par sa famille ou ses amis. Vous vous en étonnez ? et bien je vous l’assure cela existe et se passe bien chez nous, suisses protégés de toute désolation.
Actuellement la place du sans-abri au sein de la société a évolué. À la fin du XIXe siècle, le vagabond était considéré comme la base de toute criminalité, la réponse était essentiellement pénale. Mais la situation des sans-abri contemporains est tout à fait différente puisque aujourd’hui, il s’agit surtout de les accueillir et de leur proposer des solutions en termes d’insertion. Une évolution de l’orientation des politiques publiques en matière de sans abrisme s’est développée. Passant d’une logique traditionnelle qui était celle de la répression à une orientation “assistantielle“ des politiques publiques, aujourd’hui les sans-abri sont plus considérés comme des citoyens à assister que comme des asociaux à enfermer. Le sans-abri a sa place en quelque sorte dans la Constitution fédérale de la Confédération suisse de 1999 puisque que l’article 12 stipule bien que “Quiconque est dans une situation de détresse et  n‘est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d’être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine“ car “ la dignité humaine doit être respectée et protégée.“ Article 7 de la Constitution fédérale de 1999.
Mais la difficulté de définir le sans abrisme explique son caractère abstrait. Quel que soit le domaine choisi afin de trouver une définition du sans-abrisme en Suisse (police, institutions d’aide sociale, sleepings…), il en ressort toujours la même chose : un certain flou. En effet, un paradoxe semble s’être installé : d’un côté, il y a les autorités et la législation qui prétendent que le sans-abrisme n’existe pas ou plus en Suisse, en ignorant totalement ce cas de figure dans la loi, et, d’un autre côté, il y a la réalité, c’est-à-dire l’existence de nombreux sans-abri en Suisse. Dès lors, il est difficile de dire ce qu’est un sans-abri, car, théoriquement, cette catégorie n’existe pas.
Au niveau de l’Office fédéral de la statistique, il n’y a même pas de chiffres officiels concernant le sans-abrisme en Suisse, ni de définitions ou de critères sur lesquels se reposer pour quantifier cette partie de la population.
Comment alors prendre conscience, en tant qu’être humain et citoyen, qu’il existe en Suisse des gens qui n’ont pas de toit, abandonnés par le système et faisant partie d’un groupe social exclu alors qu’ils ne sont même pas reconnus par les autorités comme participant à la dynamique d’un problème social !
Dans un pays soi-disant développé, on constate que certaines personnes n’ont pas d’habitat. Pourtant chacun pourrait et devrait être logé convenablement si les villes respectaient les 20% de logement sociaux, ou en appliquant la loi ! Mais aujourd’hui, dans les pays des droits de l’homme, la loi du profit est bien souvent plus forte que la dignité humaine…
Zoé Decker