Entre plantes et insectes, un langage parfumé

RECHERCHE Des scientifiques neuchâtelois portent secours à l’agriculture.

Par Nicolas Jayet, Julia Vallino, Ihsan Kurt, et Viviana von Allmen

Une chenille affamée décide de s’en prendre aux feuilles d’un plant de maïs. Menacé, ce dernier appelle à son secours une guêpe en sécrétant un parfum spécifique. Elle pond alors ses oeufs dans la chenille, ses larves la consomment de l’intérieur et délivrent ainsi la plante de son agresseur rampant. Malgré des apparences de conte pour enfants, cette scène incroyable se déroule dans le monde bien réel qu’étudient les scientifiques du Pôle de recherche national (PRN) “Survie des plantes” à Neuchâtel: celui des interactions entre les plantes et leur environnement.

Depuis son bureau de la Faculté des sciences, le Dr Ted Turlings conduit l’un des douze projets du PRN. Voici maintenant vingt ans que cet entomologiste néerlandais concentre son attention sur le microcosme parfumé des végétaux et insectes. Aujourd’hui, secondé par près d’une dizaine de scientifiques confirmés et étudiants, il met en lumière, en laboratoire, le rôle des plantes dans les interactions entre les ravageurs herbivores et leurs propres ennemis naturels. Des échanges concrètement découverts il y a à peine plus d’une décennie, mais dont l’étude pose d’ores et déjà les jalons d’une nouvelle méthode de protection des cultures, agricoles ou viticoles.

Hormis les chenilles, bien d’autres insectes menacent les cultures. Aux Etats-Unis, par exemple, un milliard de dollars sont dépensés chaque année en pesticides pour lutter contre les méfaits de Diabrotica virgifera, un coléoptère aux larves avides de racines de maïs. Apparu à Belgrade au moment de la guerre en Bosnie, le ravageur n’était jusqu’alors pas présent en Europe. Dix ans seulement lui ont suffi pour se disséminer et, aujourd’hui, le Tessin compte déjà au nombre des régions touchées. Face à la menace, l’équipe du PRN neuchâtelois oriente ses recherches vers l’insecte en question et découvre que certaines variétés de maïs se défendent fort bien. En fait, elles émettent sous terre un signal chimique à même d’attirer les nématodes, de minuscules vers eux-mêmes prédateurs des larves de Diabrotica virgifera. L’identification précise des substances significatives dans cette interaction plante-animal, puis celle du gêne végétal qui l’autorise, permettra à terme de renforcer les moyens de lutte biologique. Il s’agira simplement de développer par sélection un maïs qui collabore de manière optimale avec les insectes ennemis de ses propres parasites, puis de le cultiver au bon moment, au bon endroit.

Aussi fascinante soit-elle, l’étude des interactions entre insectes et végétaux ne relève évidemment pas que de la simple curiosité scientifique. Dans le cas de Diabrotica virgifera, la variété de maïs cultivée outre-Atlantique ne dispose pas de la capacité d’appeler des vers à son secours, engendrant ainsi un coût financier et écologique inutile. L’industrie l’a bien compris, elle qui co-finance ponctuellement, via les organismes gouvernementaux, des programmes de recherche comme celui de Ted Turlings. Quant au consommateur, il bénéficie d’une quantité moindre de pesticides dans son assiette.

Les recherches sur l’interaction des insectes et des plantes centrées sur la survie des végétaux cultivés semblent donc promises à un bel avenir. A plus forte raison encore avec le développement des organismes génétiquement modifiés (OGM). Pour être cultivés sans risques, les scientifiques doivent préalablement étudier leur impact sur l’écosystème. Là aussi, Ted Turlings met à disposition son expertise en matière d’insectes. Mais dans un avenir un peu plus lointain, il n’exclut pas de se pencher un jour sur la question des phéromones humaines. Vous savez, ces effluves inconsciemment perçues qui  orientent nos choix amoureux…

Neuchâtel, 13 janvier 2005.

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