Le dopage : un phénomène sociétal

Le mois dernier, à  l’occasion de son 15ème anniversaire, le CIES (Centre International d’Étude du Sport) a organisé un colloque sur le dopage visant  à étudier minutieusement et sous une approche pluridisciplinaire ce fléau qui martyrise le sport depuis plus de cinquante ans. Pour ne pas avoir une approche biaisée du dopage, il faut considérer le phénomène dans sa généralité, car il touche des domaines très variés. C’est pour cette raison que le CIES a pris soin d’inviter une large palette d’invités provenant de professions et d’horizons très divers. Ceux-ci ont ainsi exposé leur point de vue durant cette conférence qui s’est déroulée à Neuchâtel, à l’aula de la Faculté de
droit.

« Le dopage est un véritable phénomène de société qui ne touche pas que le sport ! ». C’est ainsi que Bertrand Reeb, président du CIES, a ouvert la conférence. De nos jours, la perpétuelle recherche de l’excellence est effectivement accrue par les pressions grandissantes de la société, auxquelles l’homme doit faire face. Le principe du dopage peut donc être observé dans
différents domaines et touche quasiment toutes les catégories de personnes.
C’est effectivement ce que confirme Patrick Mignon, sociologue et membre de l’INSEP[1] de Paris : « Le dopage ne touche pas qu’une partie ou un groupe de personnes. Il s’agit d’un phénomène généralisé. Ceux qui pensent pas de sport, pas de compétition, pas de dopage ont une vision complètement simpliste du phénomène. » A titre d’exemple, de nombreux étudiants ont recours à des produits améliorant la concentration en période d’examens.
Martial Saugy,
directeur émérite du Laboratoire suisse d’analyse du dopage à Lausanne, préfère , lui, se référer au fameux Code mondial antidopage, la bible des traqueurs de tricheurs, qui contient notamment une liste exhaustive des produits interdits en compétition. Selon lui, le passeport biologique constitue, pour le moment, la façon la plus efficace de « pincer » les tricheurs. Cette « carte de visite sportive » permet de fixer les taux limites d’hémoglobine grâce à un suivi régulier de l’athlète. Ainsi, on peut évaluer précisément les limites individuelles des sportifs.

Toutefois, Fabien Ohl, professeur en sciences du sport à l’université de Lausanne, émet quelques réserves sur les listes des produits interdits : «  L’identification du dopage varie selon les sports et
selon les intentions d’usage. Des enquêtes démontrent que sa définition pose problème chez de nombreux sportifs. Certains pensent que le « red bull », c’est du dopage, d’autres que le cannabis ne l’est pas ! ». À ce propos, le psychologue Dorian Martinez affirme que 80% des sportifs contrôlés positifs s’avèrent être surpris par le résultat (ignorance, erreur de prescription, etc.) . Même si ce chiffre est à prendre avec des pincettes, étant donné que la bonne foi est rarement le propre des tricheurs, il traduit un besoin urgent de prévention et d’information. Grâce à une expérience menée sur la ligne de téléphone d’« Écoute dopage »[2], le psychologue français dégage certaines tendances significatives : les appelants proviennent de tous les sports, il y a même eu des appels de joueurs de pétanque ! Les trois quarts des appelants sont des hommes. Les sportifs de haut niveau s’inquiètent pour les contrôles anti-dopage, tandis que les amateurs s’inquiètent pour leur santé.

À 11h30, le « conférencier-vedette » de la journée, Jean-François Lamour, fait son apparition sur le podium pour parler des politiques publiques en Europe en ce qui concerne le dopage. L’ex-ministre français de la Jeunesse et des Sports met au premier plan le grand rôle que doivent jouer les institutions et les agences de lutte contre le dopage : « Le gros problème à ce jour est qu’il
n’y a pas de coordination entre les États, les pays du Conseil de l’Europe ou de l’Union Européenne. Pour lutter efficacement contre le dopage, il faut absolument insérer son pays dans le concert international. Cela passe nécessairement par une harmonisation des lois de l’Agence Mondiale Antidopage (AMA) et du Code mondial antidopage, ainsi qu’une coordination des efforts des États, du Comité International Olympique et des Fédérations Internationales. »Visiblement, son discours n’a pas été entendu par la Fédération Espagnole de Cyclisme qui a tout récemment blanchi le cycliste espagnol Alberto Contador, alors que celui-ci avait été contrôlé positif sur les routes du Tour de France 2010. Cet exemple qui tombe à point nommé (moins de deux semaines après le colloque !) démontre toute l’ampleur de la tâche qu’il reste à accomplir pour combattre ce fléau. Mais agit-on dans la bonne voie ? Les mesures prises pour lutter contre le dopage sont-elles vraiment efficaces ? Selon Denis Oswald, membre de la Commission exécutive du CIO et professeur à l’Université de Neuchâtel, la réponse est non. Il explique que seul un sportif sur 100 est contrôlé positif par l’AMA, ce qui veut dire qu’il faut compter environ 105’000 francs pour dénicher un cas positif ! « Il faut cibler les pays, les sports, les athlètes car on sait où se trouve les nids de dopage. Il est primordial de dépenser plus efficacement l’argent mis à disposition. », s’exclame Denis Oswald.

La société actuelle, de plus en plus exigeante, pousse chacun d’entre-nous à nous dépasser, à repousser continuellement nos limites. Ce surpassement n’entre certainement pas dans le processus naturel du développement humain. Cela nous amène à la question que se pose Francesco Panese, professeur à l’Université de Lausanne : Qu’est-ce qui est naturel ? Qu’est-ce qui est artificiel ?
Le dopage pourrait encore se développer et mener à des dérives telles que le dopage génétique ou la « médecine améliorative ». Ce genre de techniques touche directement à la nature humaine et donc porte atteinte à la dignité humaine, à l’éthique.Le culte de la performance pourrait bien tuer le sport à long terme. C’est pourquoi il est important d’enrayer au plus vite ce mécanisme
vicieux. « L’affaire Contador » démontre malheureusement que le cyclisme pédale à contre-sens dans cette lutte …
Raphaël Crettol

[1] Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance
[2] N° de téléphone permettant de poser des questions concernant le dopage à des
experts comme Mr Martinez

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