La femme tsigane

«Latcho drom!» qui signifie «Bonne route» est une expression récurrente dans les sociétés itinérantes. L’adjectif «latcho» est d’origine indienne, alors que le mot «drom» est adopté des pays de langue grecque. L’origine double de ces mots démontre que la population tsigane ne correspond à aucune entité géopolitique du monde actuel. La multiplicité de leurs noms, Roms, Manouches, Tsiganes, Zingaros, Romanichels, Gipsy, Yéniches, Sintis, en est une preuve. Autrement dit, elle met en évidence leurs différentes origines, leurs diversités et leurs richesses.

Ces «étrangers» au teint sombre et aux mœurs particulières, sont souvent victimes de persécutions, discriminés et marginalisés. Leur culture si différente et la crainte qu’ils inspirent, nourrissent les plus grands préjugés. Ainsi, leur cohabitation avec les sociétés sédentaires est souvent difficile. Ces derniers les désignent, généralement, comme «peuple primitif» opposé sous
toutes ses formes au «monde civilisé». Pour toutes ces raison, les tsiganes sont dans notre imaginaire «ces frères incompris», maudits, éternels exclus, qui comme l’artiste, affranchi du regard de la société se voue à ses propres idéaux.
Cependant, ces tribus présentent de nombreuses qualités: leur identité culturelle, leur ouverture au monde et leur créativité qui allie la rupture des conventions et la tradition. En outre, leur musique, leur danse, leur poésie facilitent souvent l’approche des autres peuples. C’est pourquoi, le XIXème siècle, constitue l’âge d’or du mythe des bohémiens. De nombreux artistes tels que, Baudelaire, Victor Hugo, Cervantès, Lamartine, Liszt se sont passionnés pour ces peuples rebelles aux lois de la société. «La vie de bohème» deviendra pour ces artistes un modèle auquel ils aspirent. La contestation anti-bourgeoise, la vie de voyageurs, le symbole du désordre, l’incarnation de la liberté totale sont au cœur de cette légende. En effet, on lie l’image du
Tsigane à celle de l’errance, de l’évasion et à des personnages comme: Preciosa, Esméralda ou Carmen (pour citer les plus connues) qui deviennent des figures mythiques. Capricieuses, libres, séductrices, fascinantes, mystérieuses elles incarnent le charme de la vie de bohème et portent souvent une perspective «folklorisante».

La femme
«L’importance de la «mère» est telle dans une tribu gitane que tout tourne autour d’elle ». Dès lors, «Le ventre de la mère» est une expression qui revient souvent lors d’une conversation avec un tsigane. Mais en matière de sexualité, des anciens rites se sont perdus et l’acte sexuel n’a souvent pour but que la procréation. Toute contact sexuel portant sur le plaisir engendre la
« honte » et entraîne une gestuelle amoureuse pauvre chez les nomades. De plus, les premières menstruations sont également source de «honte et d’impureté». Ainsi, chez la mère tsigane, un des rôles importants est de laver le linge hors de la portée du regard de tout homme et de le suspendre en toute discrétion. Certaines Tsiganes en viennent même à dire: «Dieu nous punit de désirer les hommes, alors il nous donne des enfants». On pense que ce comportement peut
avoir des répercussions sur le psychisme provoquant des fausses-couches ou empêchant la femme de tomber enceinte. Cette frustration affective peut expliquer une partie de «l’attitude provocante de la gitane».
«Chez nous, la femme c’est comme la terre. La terre est notre mère, la femme aussi. Le secret
de la vie part du sol et personne n’en peut voir l’intérieur. Chez la femme, le secret s’arrête à la ceinture – tout ce qui est au-dessus vit dans la lumière». C’est pour cette raison que la Tsigane couvre toujours ses jambes d’une longue jupe. Mais, dans les campements, les soirs près du feu, cette femme peut dévoiler ses jambes en dansant, selon l’estime qu’elle porte à l’homme la
regardant.
Pour les tsiganes, l’enfant relève et fortifie la tribu.  Ainsi, le pire qui puisse arriver à une femme est de ne pas avoir d’enfant ou d’être stérile. Chez les tsiganes, il existe un démon femelle, Lilyi: une sorcière qui serait inféconde et que les femmes fuient, car elle est la manifestation des
forces du Mal, et la désolation. Plusieurs Tsiganes, ne supportant pas le poids de la «faute» de perdre un enfant, mettent alors fin à leur vie.

En donnant le souffle de la vie la femme tsigane fait évoluer son statut. Elles naissent :, Tchaï, filles, deviennent Djouvel, jeunes filles, puis Romni, femmes et Lélin, enceintes ; pour aboutir à Daï, le titre de la mère qui peut finalement «se sentir réalisée en tant que femme tsigane».
Le premier enfant est souvent attendu avec honte, par conséquent, la femme se bande le ventre pour cacher le plus longtemps possible sa grossesse, car de sévères tabous d’impuretés se rapportent à la naissance. Dans la pratique des rites païens ancestraux, l’un des buts premiers consiste à éviter les fausses couches. Ainsi, la femme enceinte tente de ne pas trop penser à son enfant pour ne pas le «déranger». On lui conseille de faire un nœud aux habits portés et d’éviter de séjourner là où une autre femme aurait fait une fausse couche. Par ailleurs, le nom du futur bébé ne sera jamais prononcé, le nommer c’est l’inciter à venir à la vie prématurément.
Une fois né, l’enfant est sous la responsabilité totale de sa mère. Sa première nuit est très importante. La mère doit veiller sur l’enfant, le serrer contre elle et lui parler sans interruption. Selon les Tsiganes, la femme se doit de lui donner «son souffle de vie» car «bienheureux
est l’homme qui se souvient du parfum de sa mère car il se souvient alors du
souffle même de la vie. La vie se manifeste par le souffle et chaque souffle
transporte avec lui les parfums de la vie.»

Les textes cités entre guillemets sont repris de : DERLON Pierre, Traditions Occultes des Gitans, Les Énigmes De L’Univers, Robert
Laffont, Paris, 1975, 268 p.
Andrea Bras Lopo

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