Le Temps s’assit sur un banc

Un matin, sans prévenir, il s’assoit sur un banc et tout s’arrête : les horloges, les rires, la vie même. Dans ce monde figé, les humains découvrent d’abord le repos, puis le vide qu’engendre l’absence de mouvement. À travers cette fable poétique, le Temps devient miroir de notre propre course, rappelant qu’attendre, parfois, c’est aussi vivre.

Un matin, sans prévenir, le Temps s’arrêta.

Pas brusquement, non. Plutôt comme un vieil homme fatigué qui, après avoir trop marché, cherche un banc à l’ombre et s’y assoit un moment.
Les horloges continuèrent de tourner par habitude, mais leurs aiguilles ne savaient plus où aller. Les trains s’immobilisèrent entre deux gares. Les enfants restèrent suspendus dans leurs jeux, une balle en l’air, un rire à moitié envolé.
Au début, les humains furent ravis.
Enfin, plus de retard !
Plus d’urgences, plus de délais, plus de comptes à rendre.
Les patrons félicitèrent leurs employés, les employés rangèrent leurs montres, les montres oublièrent de tinter.
On fit la fête, au début.
Les jours semblaient s’étirer comme un grand dimanche sans fin. On déjeuna longuement, on parla lentement, on dormit profondément.
Mais peu à peu, quelque chose se mit à manquer.
Les fleurs cessèrent de s’ouvrir.
Les enfants ne grandissaient plus.
Les pains ne levaient pas, les fruits restaient verts, les cheveux ne blanchissaient plus.
Même les nuages, figés au-dessus des collines, semblaient retenir leur souffle.
Alors, les humains commencèrent à s’inquiéter.
— Que se passe-t-il ?
— Le Temps est fatigué, répondit la vieille du village. Il a trop couru pour vous.
— Et s’il ne revenait pas ? demanda un enfant.
On chercha à comprendre. On pria, on protesta, on programma même des conférences sur « la disparition du flux temporel ».
Mais rien n’y fit : le Temps restait assis, là, sur son banc, regardant le monde immobile avec un petit sourire.
Un jour, un vieil homme s’approcha. Il s’assit à côté de lui.
— Tu ne marches plus ? demanda-t-il.
— J’ai marché pour tous pendant trop longtemps, répondit le Temps.
— Et maintenant ?
— Maintenant, je regarde si vous savez vivre sans moi.
Le vieil homme baissa les yeux.
— Sans toi, plus rien ne pousse.
— C’est vrai, dit le Temps. Mais quand je cours trop vite, plus personne ne regarde pousser.

Ils restèrent longtemps à se taire ensemble ou peut-être un instant seulement, car le Temps n’était plus là pour le dire.
Puis, le vieil homme prit une graine dans sa main, la planta dans la terre dure, et souffla dessus.
Une pousse verte jaillit, minuscule mais vivante.
Le Temps se leva, étira ses jambes, remit son manteau de saisons…
Merci, dit-il. J’avais oublié que l’attente aussi peut être vivante.
Alors il repartit, pas à pas, et le monde se remit à battre.
Les horloges retrouvèrent leur rythme, les enfants reprirent leur rire, les fleurs s’ouvrirent à nouveau.
Et, dans le parc, le banc resta vide, sauf quand quelqu’un, de temps à autre, venait s’y asseoir pour ne rien faire.
Juste un moment.
Le temps de respirer.
P.dN.

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