
L’économie circulaire au quotidien en Suisse romande
Du café au tournevis, de la couture à l’informatique, la Suisse romande invente chaque jour de nouvelles façons de donner une seconde vie aux objets.
Repair Cafés, ressourceries, upcycling ou reconditionnement, l’économie circulaire se tisse ici, à hauteur de gestes simples et d’initiatives concrètes.
Dans un coin de Lausanne, chaque samedi, tournevis, machines à coudre et sourires s’échangent autour d’une même idée: rien ne se jette, tout se répare.
À l’heure où la Suisse s’engage plus fermement pour une économie circulaire, les Romands montrent que la durabilité commence souvent à la maison… ou dans un café.
Le bruit d’un tournevis qui ripe, un éclat de rire, une odeur de café, bienvenue au Repair Café de Lausanne. Sur les tables, un ventilateur des années 80 côtoie un grille-pain cabossé et un vieux lecteur CD récalcitrant. Autour, des bénévoles s’affairent, expliquent, réparent.
« Ici, rien ne finit à la poubelle avant d’avoir eu sa chance », glisse Marc, ingénieur à la retraite devenu chirurgien du petit électroménager.
Ces scènes se répètent un peu partout en Suisse romande : à Neuchâtel, Genève, Fribourg ou Nyon, les cafés de la réparation attirent bricoleurs du dimanche, étudiants économes et retraités curieux. L’économie circulaire s’y vit, se touche, se partage.
De la loi aux gestes du quotidien
Pendant que Berne ajuste sa nouvelle législation pour réduire le gaspillage et prolonger la durée de vie des objets, sur le terrain, les Romands bricolent déjà l’avenir.
À Lausanne, l’association La Manivelle prête outils et objets du quotidien.
À Fribourg, une ressourcerie coopérative transforme les vieux meubles en créations design.
Et dans un sous-sol genevois, une start-up fabrique des pièces détachées sur mesure grâce à l’impression 3D.
« On a perdu l’habitude de réparer », confie Claire, étudiante venue sauver son aspirateur. « Mais quand on voit qu’il suffit d’un tournevis et d’un peu de patience, ça change notre façon d’acheter. »
Dans ces gestes simples se cache peut-être la plus belle définition du progrès : celui qui ne jette plus, mais qui recommence.
Un modèle en boucle
L’économie circulaire vise à réduire la consommation et le gaspillage des ressources en prolongeant la durée de vie des produits. Contrairement au modèle linéaire (« extraire, fabriquer, consommer, jeter »), elle favorise le partage, la réutilisation, la réparation, la rénovation et le recyclage.
Son objectif c’est de créer des boucles de valeur positives, où les déchets deviennent des ressources.
Chaque activité circulaire supplémentaire réduit significativement l’impact environnemental. Seule la consommation d’énergie reste un défi, car les efforts se concentrent encore surtout sur l’économie de matériaux.
La Mode de la fast fashion à la slow création
La mode circulaire s’oppose à la « fast fashion » en repensant le cycle de vie du vêtement pour minimiser les déchets et la pollution.
Conception durable (lin, chanvre, coton bio), vêtements faciles à réparer ou recycler (sans mélanges de fibres, boutons amovibles) : les marques suisses commencent à suivre cette voie.
Mais les bonnes intentions se heurtent encore à la réalité d’un marché dominé par le bas prix. Beaucoup d’entreprises se donnent bonne conscience en parlant d’« accessibilité », tout en perpétuant une logique de surproduction.
Pourtant, le recyclage et l’upcycling ouvrent la voie à d’autres pratiques : transformer les vêtements usagés en nouvelles fibres ou en pièces uniques. Une nécessité, quand on sait que l’industrie textile génère 20 % de la pollution des eaux mondiales et se classe au deuxième rang des secteurs les plus polluants après la pétrochimie.
Informatique : la seconde vie des ordinateurs
L’économie circulaire s’invite aussi dans le monde numérique. L’objectif c’est de passer du modèle « prendre, fabriquer, jeter » à un système où les produits, composants et matériaux sont réutilisés, réparés ou reconditionnés.
À Lausanne, l’entreprise de Georges, pionnier du reconditionnement informatique, redonne vie à des centaines d’ordinateurs chaque année.
Entretien avec Georges, fondateur de l’entreprise spécialisée dans le recyclage et la modernisation d’ordinateurs
L’article.ch : Pourquoi avoir choisi le secteur du recyclage informatique ?
Georges : Il y a 24 ans, j’ai fondé mon entreprise, à deux pas de l’emplacement actuel. À l’époque, je vendais du matériel neuf. Puis un fournisseur m’a proposé de reconditionner des ordinateurs, et j’ai découvert tout un nouveau marché.
L’article.ch : Quelle formation avez-vous suivie ?
Georges : Une formation en informatique de niveau tertiaire.
L’article.ch : Concrètement, combien d’ordinateurs recyclez-vous ou remettez-vous à neuf chaque mois ?
Georges : À peu près,100 appareils.
L’article.ch : Qui sont vos principaux clients ?
Georges : Environ 60 % de particuliers, 30 % de PME et 10 % d’institutions.
L’article.ch : Quel avenir voyez-vous pour l’économie circulaire dans le domaine technologique ?
Georges : Les gens prennent conscience du coût environnemental et financier du neuf. Les prix augmentent, alors on répare davantage. Un bon ordinateur peut être reconditionné et sa durée prolongée jusqu’à cinq ans, à condition d’avoir les mises à jour des logiciels. Quant aux institutions, elles revendent souvent leur matériel tous les deux ans, de quoi alimenter notre filière circulaire.
Des circuits courts à la coopération
Dans l’alimentation aussi, les initiatives foisonnent, la lutte contre le gaspillage avec des projets comme Gmüesgarte, redistribution des invendus, collaboration entre hôtels, restaurants et banques alimentaires.
La Fédération romande des consommateurs (FRC) agit pour prolonger la durée de vie des objets, lutter contre l’obsolescence programmée et réduire les coûts pour les ménages.
Des réseaux comme Circular Economy Switzerland encouragent quant à eux la coopération et le partage d’expériences entre acteurs de terrain.
Les entreprises, elles, affirment accorder de plus en plus d’importance à ces modèles… même si, dans les faits, les investissements restent timides.
De la réparation d’un grille-pain à la refonte d’un modèle économique, la Suisse romande trace sa voie vers une économie circulaire. Encore fragile, mais déjà bien engagée.
V.vA.
