Tourisme de masse : vers une révolution citoyenne ?

Face à l’explosion du tourisme de masse, des villes européennes tirent la sonnette d’alarme. Entre saturation des infrastructures, colère des habitants et dérives immobilières, une nouvelle forme de contestation citoyenne émerge. Et si voyager devenait un acte politique ?
Par Pierre du Nom

Né au XIXe siècle avec les premiers voyages organisés par le Britannique Thomas Cook, le tourisme était autrefois un privilège réservé à une élite fortunée. Dès 1910, avec la création de l’Office National du Tourisme, cette pratique s’est démocratisée, amorçant l’essor du tourisme de masse.

Aujourd’hui, qu’il soit de loisirs ou d’affaires, le tourisme est un pilier de l’économie mondiale. En constante évolution, il a connu plus de 60 ans de croissance ininterrompue, atteignant son apogée en 2019. Mais la pandémie de Covid-19 a brutalement interrompu cette dynamique, provoquant une remise en question profonde des habitudes de voyage.

Le retour au local : une opportunité inattendue

Privés de destinations lointaines, les voyageurs ont redécouvert les charmes de leur environnement proche. Une étude de Veille Info Tourisme (octobre 2020) révèle que 40 % des sondés souhaitent continuer à privilégier les escapades locales, jugées plus simples, plus sûres et plus respectueuses de l’environnement. Le désir de nature, déjà présent avant la crise, s’est intensifié : les séjours « au vert » ont bondi de 57 %, portés par un besoin de calme, de reconnexion et de bien-être.

Le revers de la médaille : le sur-tourisme

Mais cette soif de découverte n’est pas sans conséquences. Dans le sud de l’Europe, certaines villes voient leur population doubler, voire tripler en été. Paris, Barcelone, Londres ou Venise subissent un afflux constant de visiteurs, mettant à rude épreuve les infrastructures locales et la qualité de vie des habitants.

Face à ce phénomène, les réactions se multiplient. Manifestations, graffitis anti-touristes, restrictions : les villes européennes s’organisent. Le réseau citoyen SET (« Surtourisme : en Europe, des milliers de personnes ») dénonce les effets pervers du tourisme de masse : flambée des prix immobiliers, gentrification, dégradation environnementale.

À Barcelone, des habitants ont arrosé des touristes à l’aide de pistolets à eau pour exprimer leur ras-le-bol. Sur les murs, des slogans comme « C’était ma maison » ou « Rentre chez toi, bordel » témoignent d’un rejet croissant. La mairie socialiste a réagi en annonçant l’interdiction progressive des locations touristiques type Airbnb d’ici 2028, visant à reconvertir 10 000 logements en résidences principales.

Des mesures encore timides

D’autres villes comme Venise, Cannes ou Amsterdam ont limité l’accès des navires de croisière. Des taxes de séjour ont été instaurées ou renforcées : à Barcelone, elle atteint désormais jusqu’à 15 euros par nuit dans les hôtels haut de gamme, l’une des plus élevées d’Europe. Mais ces mesures restent souvent symboliques : à Venise, les touristes hébergés à l’hôtel échappent à la taxe journalière.

Le gouvernement espagnol a demandé à Airbnb de retirer 66 000 annonces jugées illégales, espérant « mettre fin à la pagaille des hébergements touristiques » et favoriser l’accès au logement.

Repenser le tourisme, repenser la ville

Ces mobilisations ne sont pas de simples réactions locales. Elles traduisent une lutte plus large pour la justice sociale et le droit à la ville. Repenser le tourisme urbain, c’est envisager la ville comme un lieu de vie pour ses habitants, et non comme un décor pour visiteurs. Cela implique de s’attaquer aux inégalités générées par la «touristification».

Alors, demain, faudra-t-il voyager autrement ? Découvrir un site architectural, savourer une spécialité locale ou faire la fête ne sera peut-être plus un acte anodin. Le tourisme de demain devra être plus conscient, plus respectueux, et surtout plus équitable.
P.dN.

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