Migrants à Côme et dispositif de Dublin dans l’impasse

A Côme (Italie), environ 600 migrants sont toujours bloqués après avoir été refoulés à la frontière tessinoise. Un camp de fortune parmi d’autres. Au cœur du problème : un système de coopération européenne inefficace. Le dispositif de Dublin, régissant le droit d’asile, est aujourd’hui dépassé par la réalité des flux migratoires.

Photo : L’illustré / Didier Ruef

D’après les derniers chiffres des ONG sur place, 600 migrants patientent désormais dans un parc de la ville de Côme (Italie). Nombreux sont ceux à avoir été refoulés à la frontière suisse de Chiasso (TI), à cinq kilomètres de là. Au Tessin, rien que la troisième semaine d’août, 1386?personnes ont ainsi été contrôlées par les gardes-frontière et 947 refoulées. Les migrants, principalement Erythréens et Ethiopiens, cherchent pour la plupart à atteindre l’Allemagne ou le nord de l’Europe.

Face à cette volonté de passage, la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a réaffirmé la nécessité d’adopter une position ferme. « La Suisse ne veut devenir un pays de transit », a-t-elle répété lors de sa rencontre d’été avec les médias à Berne le 11 août. En bonne élève, la Suisse applique les recommandations d’une Allemagne qui accueille déjà 1 million de réfugiés. « L’Allemagne a demandé spécifiquement à la Suisse de ne pas devenir un corridor de libre transit, comme l’a fait l’Autriche », a expliqué la conseillère nationale Cesla Amarelle (PS/VD) dans une interview accordée au journal 24 heures le 10 août.

Un pays, une procédure d’asile

Pour les migrants bloqués à Côme il reste le choix de demander l’asile en Suisse ou en Italie. Parmi ceux qui se présentent à la frontière suisse, « 65% (…) sont déjà enregistrés en Italie », a affirmé l’élue socialiste au quotidien vaudois. En vertu de l’accord de Dublin, ces derniers ne pourront pas entamer une procédure d’asile en Suisse car une fois la demande déposée en Italie, c’est dans cet Etat Dublin qu’elle sera examinée. Et pour ceux qui envisageraient d’obtenir l’asile en Suisse ? Dans un document de février 2016 intitulé « Schengen/Dublin », le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) rappelle que « Dublin détermine la responsabilité, mais n’uniformise pas les procédures d’asile nationales ». Et côté suisse, la pratique en matière d’asile s’est durcie. Les migrants sont donc plus réticents à déposer une demande et cherchent toujours à atteindre l’Allemagne. Certains y ont de la famille. Beaucoup aimeraient obtenir le statut de réfugié dans un pays qui, l’année passée encore, les accueillait à bras ouverts.

Dublin dépassé

Le système Dublin, appliqué dans tous les Etats de l’UE ainsi que dans quatre Etats associés (Suisse, Norvège, Islande, Liechtenstein), aurait dû faciliter le traitement des demandes d’asile grâce à une meilleure collaboration entre pays signataires. Seulement voilà, aujourd’hui le constat est sans appel : Dublin est bel et bien dépassé. Signé fin 2004, les deux accords Schengen/Dublin ont été acceptés l’année suivante par le peuple suisse. Depuis le début de son application en 2008, Dublin a déjà subi deux adaptations, la dernière ? Dublin III ? date de 2013. Lors de la mise en place du règlement, la situation migratoire était toute autre. « Dublin n’a pas été mis sur pied pour faire face à des demandes d’asile en si grand nombre ni pour permettre un équilibrage des charges entre les pays d’accueil », note le Département fédéral des affaires étrangères.

Clé de répartition comme solution

Selon Simonetta Sommaruga, cheffe du Département fédéral de justice et police (DFJP), l’Europe manque de standards communs. En septembre 2015, elle évoquait déjà la solution d’une clé de répartition des réfugiés dans les colonnes du 24 heures. Un tel mécanisme permettrait de désengorger des Etats Dublin qui n’auraient temporairement plus la capacité d’accueillir tous les personnes déplacées sur leur sol. Aujourd’hui, la conseillère fédérale ne se fait plus d’illusions. « Cette solution, qui est la meilleure pour l’Europe, a peu de chances de passer auprès de tous. J’espère au moins que l’Europe propose très vite une amélioration. », a-t-elle déclaré le 11 août lors de son discours à Berne.

Relocalisation depuis la Grèce et l’Italie

Faute de système permanent, un programme européen de relocalisation a été institué en septembre 2015. Ce dernier vise à répartir 160’000 migrants depuis la Grèce et l’Italie d’ici septembre 2017. La Confédération s’est aussi engagée à en accueillir 1’500. En mai, une phase de test a permis de transférer 30 migrants à partir des hotspots italiens. Le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) a confirmé que 200 migrants en provenance d’Italie seront relocalisés en Suisse, dont une centaine d’ici fin 2016. Une aide insuffisante selon Denise Graf, coordinatrice réfugié pour la section suisse d’Amnesty international. « L’Italie et la Grèce sont laissées seules pour gérer la situation. Les autres pays européens offrent des places au compte-goutte », a-t-elle déclaré le 24 août à la radio RTS La Première. D’autant plus que les procédures de relocalisation sont souvent très longues. Nombreux sont les migrants qui continuent vers le nord…pour se heurter à la frontière suisse.

Ping-pong humanitaire

A quand une redéfinition, voire un remplacement, du système Dublin ? A Bruxelles, l’introduction d’un mécanisme de répartition des migrants a été proposé fin 2015. On sait seulement que « les discussions relatives à cette proposition vont se poursuivre en 2016 » (DFAE). En attendant une décision concrète, l’Italie et la Suisse se renvoie la balle (ou plutôt les personnes déplacées). Point positif : de chaque côté de la frontière, l’État commence à prendre ses responsabilités en créant des abris temporaires. Au Tessin, un centre de 150 places a ouvert dimanche. Situé à Rancate, il accueille pour une nuit les migrants qui ne souhaitent pas demander l’asile en Suisse, et doivent donc être renvoyés vers l’Italie. A Côme, une structure similaire devrait voir le jour à la mi-septembre. La cinquantaine d’abris préfabriqués pourra héberger jusqu’à 300 personnes.

D.E.

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