L’exposition qui touche

 

L’exposition « Prière de toucher – le tactile dans l’art » se tient actuellement et jusqu’au 16 mai 2016 au musée Tinguely à Bâle. Après l’odorat, le musée a décidé de s’attaquer au toucher et à son importance fondamentale dans l’art. Troublant et amusant, ce voyage dans l’un des cinq sens pose aussi beaucoup de questions. Rencontre avec l’assistante du commissaire, Lisa Ahlers. Photos: Romain Salomon et Emma Rebeaud

Un titre évocateur

Le parcours sensoriel du musée Tinguely a débuté len 2015, avec le premier volet de la série sur les cinq sens : « Belle haleine-l’odeur de l’art ». Les recherches nécessaires à ce cycle sont menées depuis plusieurs années par l’équipe du musée. Son directeur, Roland Wetzel, est le commissaire en charge de l’exposition. Le titre invite à enfreindre LA règle des musées : l’interdiction de toucher aux œuvres. Pourtant, le visiteur se rend rapidement compte que cette fameuse interdiction est t inscrite devant la plupart des compositions. Lisa Ahlers, assistante de conservation à Bâle, est claire sur ce point : « « Prière de toucher » fait avant tout référence à une œuvre clé dans l’exposition, créée en 1947 par Marcel Duchamp. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, notre but n’était pas de désacraliser l’art par le toucher, le terme est trop religieux. Nous voulions montrer les différents moments-clé du toucher dans l’histoire de l’art, avec justement des artistes comme Duchamp. »

Malgré ce titre sans équivoque, les autres sens sont également mis en avant. L’ouïe et la vue, principalement, accompagnent le toucher tout au long de l’exposition. « La présence des autres sens est inévitable mais aussi voulue. Regarder les sens séparément apporte peu. Le toucher et la vue sont notamment très liés. Dans un musée, on doit compenser le toucher par la vue. », affirme Lisa Ahlers.

Un parcours intéressant et didactique

Hormis les œuvres à regarder, des expériences tactiles sont proposées durant la visite. Un parcours surprenant permet au visiteur, muni d’un casque audio, de gants et d’un bandeau sur les yeux, de toucher des reproductions en plâtre de statues antiques. Il s’agit de quatre statues représentant des hommes nus. L’assistante du commissaire explique le but recherché : « Le parcours se déroule dans la seule pièce qui n’a pas de plafond et qui est donc visible depuis la galerie principale. Ainsi, les autres visiteurs assistent-ils à cette scène tout à fait inhabituelle dans un musée. Ce n’est pas conforme aux règles d’un tel endroit, on cherche à provoquer les gens. ». Mais ce n’est pas tout: « Par le toucher, on obtient des informations qui ne nous sont pas disponible avec la vue. De plus, les œuvres présentées étaient destinées à l’espace publique et les contemporains pouvaient les toucher. Le rapport que nous avons avec ce genre de statues est nouveau. ».

On observe chez les visiteurs une certaine gêne à manipuler ces pièces. Pour Lisa Ahlers, c’est bien plus de la prudence que de la gêne : « On ne veut pas être responsable de casse. Le bandeau nous prive également d’un sens essentiel, ce qui peut désorienter. Et oui, les gens restent tout de même habitués à l’interdiction de toucher habituellement présente dans ce genre d’endroit. ».

Dans le reste de l’exposition, les visiteurs semblent plus enclins à tester les expériences sensorielles proposées, à l’image de la « Balloon Room », une salle remplie d’énormes ballons blancs. Ou encore avec l’œuvre de Louis-Philippe Demers « Blind Robot », un bras articulé qui se promène sur le visage.

Les artistes

De nombreux artistes sont présentés dans le cadre de « Prière de toucher ». Le critère principal de sélection était la représentation des différentes sensations cutanées. Lisa Ahlers précise : « Nous ne voulions pas uniquement des œuvres qui représentent le tactile, ce qu’on touche avec nos mains, mais aussi des sensations cutanées comme le chaud et le froid. Un bon exemple est le travail de Jan van Muster avec « Warmte » (un fil chaud traversant une pièce noire, NDLR) ». La perception de l’espace était aussi un critère de choix, tout comme l’importance d’une œuvre dans l’histoire du toucher dans l’art.

 En voyant certains tableaux ou photos, le spectateur peut ressentir leur côté provocant et piquant. Était-ce justement l’une des conditions et un parti pris artistique ? Pour l’assistante de Roland Wetzel, ce n’est pas le cas. « Notre volonté n’est pas de choquer, mais c’est inévitable lorsqu’on parle du toucher et des représentations corporelles. L’investissement du corps dans l’art depuis les années 70 peut amener ce côté provoquant et parfois sexuel. Ça serait une omission totale si ce genre d’œuvre n’étaient pas présentées. ».

Certains artistes, comme Augustin Rebetez, se sont inspirés de l’environnement de l’exposition : le musée Tinguely. Ce lien avec le lieu transparaît dans « Univers », une sorte de grande cabane en bois remplie de mécanisme, rappelant le travail de Jean Tinguely. Michael Landy, fortement inspiré par le  »sytle Tinguely », n’a pas été choisi par hasard, son travail est en lien avec l’artiste fribourgeois.

Une exposition intéressante et amusante à voir jusqu’au 16 mai, au musée Tinguely, à Bâle.

Emma Rebeaud

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