Ghostwriting : le marché de la triche

Après le plagiat, les Universités suisses doivent faire face à un autre phénomène qui ne date pourtant pas d’hier… le ghostwriting. Le principe ? Mandater une tierce personne pour écrire des travaux académiques à sa place contre une rémunération. L’Article.ch a enquêté sur cette pratique qui suscite des débats au sein même du milieu universitaire. (Photo : web)

Début 2016, l’émission « Rundschau » de la Télévision alémanique SRF diffuse un reportage qui ébranle le monde académique. On y apprend que plusieurs centaines d’étudiants en Suisse auraient payé pour qu’on rédige leurs travaux académiques. A l’origine du scandale, Thomas Nemet, directeur de la société Acad Write spécialisée dans le conseil rédactionnel. Il confie au Rundschau : « En 2015, nous avons écrit des travaux pour plus de 200 étudiants en Suisse. ». Il prétend par ailleurs que ces travaux effectués par des ghostwriters, littéralement « écrivains fantômes » ne sont quasiment jamais repérés : « Dans la plupart des Universités, les profs ne sont pas capables de reconnaître un étudiant à son style d’écriture».

Dès lors, n’y aurait-il pas un problème moral ou éthique ? Aucun pour le chef d’entreprise qui affirme dans un journal belge : « On ne peut pas nous tenir responsables de ce que nos clients font avec notre travail […] un vendeur d’armes n’est pas responsable de l’usage qui en est faite […] si quelqu’un se fait tuer par une de ces armes, personne n’ira accuser son inventeur. Le coupable, c’est celui qui a tiré. Pourquoi un sociologue devrait répondre de quelque chose alors qu’il a écrit et réalisé un travail de recherche tout à fait respectable ? ».

Un marché lucratif

Un commerce alléchant de ghostwriting fleurit sur le net. En effet, avec un nombre toujours plus croissant d’étudiants en hautes écoles, des dizaines d’entreprises se sont spécialisées dans ce service. Pour les étudiants qui franchissent le pas, des considérations entrent en jeu : qui tiendra la plume à votre place ? Quelle note peut-on espérer obtenir ? A quel prix ? Et pour quelle confidentialité ?

Un « écrivain fantôme » qui accepte de se livrer sur cette pratique sous couvert d’anonymat explique : « Notre entreprise française n’engage que des spécialistes au bénéfice d’un diplôme académique comme un Master ou un Doctorat. Pas de craintes à avoir sur les compétences rédactionnelles de l’écrivain ! Le travail est par ailleurs soumis à d’autres spécialistes qui valident le travail final […] une fois terminé, le travail est envoyé par email et on détruit tous les échanges et les documents de nos serveurs qui pourraient nous relier. Les échanges sont toujours anonymes. Par conséquent, on ne connaît jamais l’identité de l’étudiant avec lequel on sous-traite. On facture principalement à la page, il faut compter environ 1000 euros pour un travail de 50 pages.».

Risque de fuite ? Ou encore risque de chantage ? Des zones d’incertitudes persistent face à la sécurité affichée par ces sociétés à l’heure où les pirates informatiques repoussent les limites de l’inviolable.

Plagiat et fraude

Interrogées, ces entreprises de ghostwriting ne considèrent pas leur pratique comme du plagiat. Ainsi, selon notre ghostwriter : « Le plagiat ne s’applique pas car l’étudiant reçoit un travail spécifique, unique et original. Il ne s’approprie à aucun moment les propos d’un autre puisqu’on lui cède intégralement les droits d’auteurs.».

Néanmoins, Michelle Bergadaà, Professeure à l’Université de Genève et experte en plagiat, tient à rappeler aux étudiants que le ghostwriting relève bien du plagiat : « C’est faire passer pour sien le travail fait par autrui. On s’attribue un écrit qui n’est pas le sien pour obtenir des diplômes. C’est donc une fraude !».

Elle déplore la situation qui ne date pourtant pas d’hier : « Les motivations qui poussent les étudiants à recourir à ce phénomène sont le manque de temps et pour certains l’incapacité de répondre aux attentes du système en terme de qualité requise». Elle pointe du doigt un système académique où : « [les] étudiants sont scotchés à la note » au détriment du savoir. Rédiger un mémoire d’une soixantaine de pages peut dès lors paraître désuet pour certains lorsqu’on connait les attentes du monde professionnel. Pour lutter contre ce phénomène, Michelle Bergadaà développe depuis quelques années avec ses étudiants de l’Université de Genève « de vrais projets qui les préparent à la vie en entreprise.».

La chasse au ghostwriting

Face à ce marché de la triche, les étudiants fraudeurs pourraient ne plus rester impunis bien longtemps. En effet, la startup OrphAnalytics, basée à Martigny, a mis au point un logiciel pour détecter le ghostwriting. Actuellement en phase de test sur des travaux d’élèves issus de la Haute-école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO), le programme qui s’inspire de la génomique, compare le style d’écriture d’un texte avec des écrits antérieurs de l’auteur. L’algorithme permet donc de détecter si une ou plusieurs personnes sont derrière un texte.

Claude-Alain Roten, inventeur du logiciel, explique : « Des milliers d’informations différentes sont captées pour établir un profil d’usage de ces patterns par segments de textes analysés. […] Cette approche a d’abord été validée en génomique avant de l’être en linguistique. Le logiciel est validé sur des corpus littéraires. Le 24 février nous avons communiqué les résultats de l’analyse de la série Millénium. Nous l’avons testé sur des essais politiques (Sarkozy, Bayrou). » (ndlr la RTS consacre un dossier sur le logiciel et sur le phénomène du ghostwriting).

Si Claude-Alain Roten dénote une grande différence dans le traitement du phénomène entre les universités romandes et alémaniques, il déclare par ailleurs : « Comme la plupart des institutions académiques, l’Université de Neuchâtel ne maîtrise pas les problèmes de ghostwriting. Les professeurs […] voient leur crédibilité diminuée. Tous les étudiants […] voient leur titre académique décrédibilisé. Le plus grave : il suffit qu’un responsable de plateforme de ghostwriting ne garde que trois éléments d’information: le nom du candidat, le nom du ghostwriter et le titre du mémoire présenté. Dix ou vingt ans plus tard, une agence de renseignement ou un groupe mafieux ayant à disposition cette information peut manipuler en fonction de ses intérêts un ancien étudiant utilisateur de ghostwriting devenu cadre dirigeant d’une entreprise ou d’une institution politique».

Et comment savoir si le logiciel est fiable et qu’il n’accuse personne à tort ? « Actuellement, il n’y a pas d’autre alternative automatique disponible pour une institution […]. Vu la masse d’informations utilisée par notre solution, je serais extrêmement surpris qu’une parade puisse être mise en route […] un étudiant qui trouverait un moyen de contourner notre approche mériterait une distinction académique ! Mais les évaluateurs peuvent toujours intervenir à l’oral, demander des explications, voire demander des compléments».

Et l’Université de Neuchâtel dans tout ça ?

Alors que les Universités de Berne et de St-Gall ont porté plainte contre Acad Write, fournisseur de travaux académiques, qu’en est-il à l’Université de Neuchâtel ?

Fabien Greub, porte-parole de l’institution, indique qu’ « aucun cas de ghostwriting n’a été porté à la connaissance du Rectorat ces dernières années, ni traité dans les différentes facultés ». Il signale par ailleurs qu’ « en fonction de la gravité de la fraude, le Rectorat peut être saisi et la gradation des sanctions prévoit le blâme, puis la suspension pour au moins 6 mois, et enfin l’exclusion. En cas d’exclusion […], les étudiants […] doivent laisser passer une période de « purgatoire » avant de pouvoir demander à être de nouveau immatriculés. Chaque université a son « tarif ». A Neuchâtel, une personne exclue […] doit attendre 8 ans avant de pouvoir demander à être à nouveau immatriculée. Bref, un cas de ghostwriting peut coûter très cher… »

Quant au logiciel qui détecte le ghostwriting, il confie : « […] les moyens technologiques ne remplaceront pas les moyens humains, ils viendront les compléter […] nous ne connaissons pas [le logiciel] et ne pouvons pas nous prononcer. D’ailleurs il est encore en phase de test. Avec ce genre de moyens, le grand risque est lié aux faux positifs. Il faut éviter de condamner des innocents sous prétexte de traquer des coupables. ».

Le jugement des étudiants

Face à cette fraude scolaire, L’Article.ch a rencontré les principaux concernés, des étudiants qui nous livrent leur impression sur l’affaire.

Pour John, étudiant à l’Université de Lausanne, l’affaire « a pris une tournure exagérée ! Il y a des chiffres qui circulent, mais ça doit être le fait d’une minorité d’étudiants. Il ne faudrait pas tous nous mettre dans le même sac. Après j’avoue que ça m’énerve de travailler quand il y en a d’autres qui profitent des failles du système. Mais personnellement, je n’ai jamais pensé à recourir à un ghostwriter. Je pense que le logiciel peut être une bonne alternative. Comme les logiciels anti-plagiats, ça peut avoir un effet préventif et surtout dissuasif. Mais les étudiants trouveront toujours un moyen de contourner le système».

Un autre étudiant confie : « Je dois avouer que le ghostwriting m’était passé par l’esprit. J’étais dans une mauvaise période où je devais gérer moi-même mes frais d’entretien, j’avais un job dans la restauration à côté de mes études qui prenait trop de temps. J’allais à peine en cours. Je ne pensais pas être capable d’écrire mon travail de Bachelor… pas par paresse, mais par manque de temps. Aujourd’hui, Il faut sans cesse être plus performant, avoir de bons résultats pour espérer impressionner les recruteurs et il y a la pression des parents ».

Certains estiment encore que rédiger un travail de 60, voire 80 pages « ne reflète pas les besoins du monde professionnel. C’est le travail de terrain qui te forme. Il faudrait favoriser les stages en entreprises ». Ils pointent par ailleurs l’appréciation personnelle et donc subjective d’un professeur face à un travail rendu : « Donne la même dissertation à deux professeurs, et tu obtiendras deux notes différentes ». Et de conclure: « Tout le monde triche de nos jours : les sportifs, les politiciens, etc. ».

 

E.A.

 

Pour en savoir plus : La traque aux ghostwriters pour étudiants – RTS

3 réponses sur « Ghostwriting : le marché de la triche »

  1. Merci encore pour cet article qui a permis de montrer l’ampleur de cette fraude, ainsi que les moyens mise en oeuvre pour la contenir.

    Afin de montrer la solution en test à la HES-SO, voici une séquence vidéo d’un reportage montrant le logiciel en action:

    http://www.rts.ch/play/tv/12h45/video/le-rendez-vous-societe-michelle-bergadaa-et-claude-alain-roten-evoquent-le-plagiat-et-le-ghostwriting-a-luniversite?id=7715425

    Cordialement
    Claude-Alain Roten
    contact@orphanalytics.com

  2. Article très révélateur rédigé par une personne en formation au journalisme à l’Université de Neuchâtel.

    Intéressant de mesurer le contraste entre i) l’intérêt des étudiants fortement impactés par la fraude académique affectant le niveau professoral et ii) la réaction confiante du management de l’institution quant à l’efficacité du traitement de la fraude.

    Nous nous tenons prêt à une démonstration de la technologie que nous utilisons actuellement dans le cadre d’une expertise judiciaire.

    Pour rappel, un cas public de plagiat et de ghostwriting:
    http://www.lecourrier.ch/113640/plagiat_par_negligence_et_conflits_profonds_a_l_uni
    http://www.arcinfo.ch/articles/regions/canton/plagiat-par-negligence-reconnu-a-l-universite-de-neuchatel-287778

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