Prague est à l’image de ses multiples visages : impossible à cerner au premier coup d’œil. A ceux qui prennent le temps de la découvrir, cette « Paris de l’est » dévoile son art, ses personnages, son folklore. Récit des figures qui ont marqué nos quatre jours de voyage.
Photo: Doreen Enssle
En arrivant à Prague, la majorité des faciès que nous apercevons sont ceux de nos semblables : les touristes. Les Italiens, les Espagnols, les Anglais, et nous, les Suissesses, arpentons la vieille ville d’un bâtiment historique à l’autre. Les commerces vendent du véritable Bohemian Crystal, des alcools divers, des chapkas. La ville que l’on découvre n’est jamais celle imaginée.
Au détour d’une rue, un imposant visage argenté attire notre attention. C’est celui de Franz Kafka, le désormais célèbre écrivain praguois. La statue impersonnelle est à l’effigie du personnage, quasi-anonyme en son temps. Le mécanisme s’active : les plaques d’acier superposées se mettent à tourner. Le profil se décompose, retient l’attention des passants, puis redevient figure humaine. A l’origine de cette étonnante création : l’artiste tchèque David ?erný. L’œuvre, prénommée Metalmorphosis, n’est pas sans rappeler une des nouvelles les plus célèbre de Kafka ; La Métamorphose.
Trois jours plus tard, un jeune et dynamique guide nous en apprend un peu plus sur ce grand nom de la littérature. L’auteur est employé par une compagnie d’assurance, travail qu’il déteste. La nuit, il écrit frénétiquement. Les textes qu’il ne juge pas satisfaisants, il les brûle. Kafka n’a été découvert que très tard par les praguois, bien après sa mort en 1924. Notre accompagnateur plaisante à ce sujet. Devant la statue en bronze du quartier juif, il nous questionne : « Vous ne trouvez pas qu’il à la tête de Monsieur-tout-le-monde ? C’est normal ! Ceux qui l’on sculpté n’avaient pas la moindre idée à quoi il ressemblait. »
Une autre vision marquante de la capitale tchèque : les Babies. Installés à côté du musée Kampa, il est impossible de les rater lorsque on traverse le parc du même nom. Là encore, c’est l’œuvre de David ?erný. Dans la pénombre, ces gigantesques bambins rampants sont d’autant plus effrayants. En lieu et place d’un visage, ce qui ressemble à des cicatrices. Leurs têtes bulbeuses ont été marquées au fer rouge. Nous pensons immédiatement à un code-barres. S’agit-il d’une critique du capitalisme ? Questionné sur l’aspect provocant, parfois politique de ses créations par Radio Praha, ?erný répond : « Personnellement, je n’aimerais pas faire de l’art politique. Je préfère produire des choses plus ‘élevées’, vous savez, de la connerie locale. » Le mystère reste donc intact. A chacun de se faire sa propre opinion.
Le 9 février, jour de mardi gras, nous découvrons une dernière facette de Prague, plus folklorique. Des têtes de chien, de chèvre, de diable en papier mâché, tous entraperçus lors du cortège final de Masopust, le carnaval local. Le spectacle de feu qui suit, nous en gardons un vif souvenir. Comme les nombreux enfants, nous sommes totalement émerveillés par la performance. On enflamme deux figurines en métal : une fille et un garçon. Après l’entrée en scène d’un affreux monstre, puis d’un cheval, c’est finalement l’amour qui triomphe.
Que nous reste-t-il de ces quatre jours en République Tchèque ? Des nouveaux visages en tête, mais toujours le sentiment de ne pas entièrement avoir compris ces figures étranges. Le voyage sert aussi à ça ; s’étonner de l’inconnu. Lors de votre prochain périple, vous savez ce qu’il vous reste à faire : ouvrez l’œil, laissez-vous surprendre.
D.E.