Sexisme dans la BD : dénoncer mais surtout informer

 

En ce premier février s’achève le Festival International de la Bande Dessinée (FIBD) d’Angoulême. Une édition qui a récompensé l’auteur américain Richard McGuire du Fauve d’or et le dessinateur belge Hermann, du Grand Prix d’Angoulème. Mais cette 43ème édition du festival aura surtout été marquée par une polémique : une sélection 100% masculine pour la sélection du Grand Prix. Un collectif de créatrices dénonce le sexisme dans le milieu.

 

 

Le Festival international de la bande dessinée a publié mardi 5 janvier la première sélection des nominés au Grand Prix d’Angoulême. Sur les trente noms dévoilés, pas une seule femme ne figure sur la liste. Le « collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme », créé quelques mois auparavant, a réagi très vite ; en effet, on a affaire à une véritable prise de conscience dans le monde de la BD. Ce collectif réunit 147 auteures (scénaristes, dessinatrices, coloristes,…) dont le but est de dénoncer le machisme présent dans leur milieu et de promouvoir une littérature plus égalitaire.

 

Le collectif et la charte

Le milieu du 9e art étant encore majoritairement masculin, les bédéistes et lecteurs ont vite été confrontés à un nouveau genre de bande-dessinée : la BD pour filles. Les auteures membres du collectif refusent cette appellation et nient l’existence d’un genre réservé uniquement aux filles. Leur message : ce n’est pas parce que l’auteure est une femme que sa BD ne peut intéresser un homme. Elles font aussi part de leurs expériences personnelles sur leur site bdegalite.org, dévoilé le 9 septembre dernier.

L’idée de former un collectif n’est pas nouvelle. La journaliste Lisa Mandel avait contacté plusieurs auteurs afin de recueillir leur témoignage face aux questions sexistes qui leurs sont posées, de type « qu’est-ce que ça fait d’être une femme dans la BD ? »

Mais ce qui a vraiment lancé la machine, c’est le projet d’exposition centré uniquement sur la BD dédiée aux filles proposé par le Centre Belge de la Bande Dessinée. Après avoir été approchées, une centaine d’auteures se mobilisent et rédigent une charte qui dénonce ce sexisme manifeste. Cette charte, disponible sur leur site, met en garde contre les dangers des différenciations et hiérarchisations stéréotypées qui permettent le sexisme médiatique et l’utilisation de la BD pour fille comme élément marketing.

Après publication de la liste des nominés par le festival, le collectif a réagi en publiant un communiqué sur leur site : «On nie notre existence dans ce médium. C’est même une régression, quand on arrive à zéro, c’est un manque de reconnaissance absolu. Les femmes sont certes moins nombreuses dans ce domaine mais il y en a de plus en plus. Le plafond de verre est là : on nous dit ok les filles, on tolère que vous fassiez de la BD mais il ne faut pas monter trop haut. »

Plusieurs grands noms de la liste (Riad Sattouf, Daniel Clowes, Joann Sfar,…) ont d’ailleurs décidé de s’en retirer par l’intermédiaire de leur éditeur ou sur les réseaux sociaux, pour dénoncer ce manque d’égalité. Une action qui a donné de la visibilité à la question et qui a poussé le Festival à compléter la liste des nominés par quelques noms féminins.

 

Parmi les membres du collectif, des auteures françaises, mais aussi belges et suisses, nous avons rencontré Léandre Ackermann, bédéiste jurassienne.

 

L’Article.ch : Tout d’abord, pouvez-nous nous dire quelques mots sur votre parcours scolaire et professionnel ?

Léandre Ackermann : J’ai fait le lycée en options arts visuels puis j’ai obtenu un Bachelor of Fine Arts (spécialisation BD) à l’Ecole Professionnelle des Arts Contemporains à Saxon. J’ai ensuite entamé mon premier grand projet de bande dessinée avec Olivier Delasalle au scénario, « L’Odyssée du microscopique », qui a été publié cette année aux éditions de la Boîte à Bulles. Entre temps, j’ai obtenu une bourse de voyage de la Commission Culturelle Interjurassienne qui m’a permis de partir trois mois en Israël et de réaliser ensuite une exposition pour le Musée Jurassien d’Arts et d’Histoire. Depuis deux ans, je travaille aussi à temps partiel comme aide-bibliothécaire.

 

L’Article.ch : Dans quelles circonstances avez-vous pris connaissance de l’existence du collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme ?

L.A. : Par Internet, au moment de la publication de la Charte.

 

L’Article.ch : Pour quelles raisons joindre le collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme ?

L.A. : Si on voit du sexisme un peu partout, j’ai pensé que c’était raisonnable de nous y attaquer dans et par le domaine que nous connaissons le mieux.

 

L’Article.ch : Voudriez-vous nous faire part d’une expérience personnelle qui vous a poussé à réagir contre le sexisme ?

L.A. : Je n’ai pas le souvenir d’avoir personnellement subit le sexisme dans le monde de la BD (mais ailleurs, oui). Par contre j’ai dessiné une anecdote qui m’a permis de comprendre à quel point le problème pouvait être invisible, aux yeux des organisateurs d’un nouveau festival. (voir l’anecdote à la fin de l’article)

 

L’Article.ch : Finalement, que pensez-vous de la polémique concernant le Festival de BD d’Angoulême ?

L.A. : J’ai bien évidemment été déçue de voir la liste des nommés au Grand Prix. Le collectif a réagi en appelant au boycott, puis des auteurs nommés se sont retirés de la liste. Ces derniers ont souvent été mis très en valeur dans les articles sur le sujet, parfois bien devant le collectif… alors même que nous pointons du doigt l’invisibilisation des femmes ! Jusqu’à maintenant, c’est le point que je trouve le plus marquant dans cette affaire.

 

Clélia P.

 

Cacahuete

Dessin réalisé par Léandre Ackermann.

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