Début décembre, la presse grecque et européenne dévoile que le ministre de l’Economie grecque, Giorgos Stathakis, n’a pas déclaré une somme de 1.8 millions d’euros et 38 biens immobiliers, dans tout le pays. Le ministre se défend et déclare qu’il a eu un simple « oubli ». Où passe alors la crédibilité d’un ministre, et par extension, d’un parti qui veut en finir avec les anciennes méthodes de la classe politique grecque ?
Transparence demandée
Alors que la Grèce a accepté de nouvelles mesures d’austérité qui lui permettent de recevoir une nouvelle aide financière de l’Union Européenne, le parti de gauche radicale au pouvoir, SYRIZA, fait face à une nouvelle affaire qui ébranle ses bases. En effet, son propre ministre de l’Economie, Giorgos Stathakis, lors de sa déclaration de patrimoine en 2012, n’a pas déclaré une somme de 1.8 millions d’euros, en plus de 38 biens immobiliers. Le ministre déclare que cette somme appartiendrait à sa mère et les biens immobiliers à sa femme.
Depuis 2013, la transparence en matière de fortune et de revenus est obligatoire pour l’ensemble des membres du Parlement et du gouvernement grec. Tous ont dû remplir une déclaration personnelle ad hoc, en plus de la déclaration fiscale. Mais les contrôles effectués ont relevé des dizaines de cas où ladite déclaration ne correspondait pas à la réalité, et ce pour l’ensemble des groupes politiques, de l’extrême droite à l’extrême gauche.
Qui est de gauche et riche devra être particulièrement prudent par rapport à la manière dont sa fortune est placée, à l’usage qui en est fait, ainsi et surtout qu’à sa déclaration fiscale. La gauche est particulièrement sensible au principe d’une contribution fiscale élevée relativement au montant du revenu et de la fortune. Les personnes qui s’en réclament, mais aussi tout individu faisant partie d’une instance parlementaire ou gouvernementale doivent donc faire preuve de la plus grande transparence concernant leurs biens et salaires personnels. Un « oubli » d’une telle importance semble donc une énormité difficilement justifiable. Elle dénote pour le moins d’un manque de cohérence entre l’idéologie qu’on professe et sa pratique personnelle.
Tradition historique ?
Depuis la création de l’Euro, il n’est pas interdit de posséder un ou plusieurs comptes à l’étranger, que ce soit en Suisse, au Luxembourg ou ailleurs. Depuis l’imposition du contrôle des capitaux, il n’est toutefois plus possible d’alimenter ces comptes à raison de plus de 500 Euros par mois, notamment pour financer des études à l’étranger. Avant, on pouvait exporter autant d’argent qu’on voulait. Le problème n’est pas tant la possession d’un compte à l’étranger, mais la provenance de cet argent (s’il s’agit par exemple d’argent « noir », provenant de corruption ou d’activités illégales, ou « gris », provenant d’activités non déclarées au fisc…) En principe, tout compte à l’étranger devrait être déclaré au fisc, ainsi que la provenance de la somme … Les comptes à l’étranger sont assez fréquents chez les Grecs aisés, et peu sont en fait déclarés… Il y a d’autre part eu certaines graves «inélégances » de la part de personnalités de Syriza, notamment celle de Nadia Valavani, alors qu’elle était vice-ministre des Finances. Elle a exporté la somme de 100.000 Euros sur le compte de sa maman à Londres… en juin 2015, soit une quinzaine de jours avant les mesures de contrôle de capitaux…
La tradition en vigueur en Grèce et qui concerne en particulier la classe politique, « veut » que celle-ci se considère et soit de fait au-dessus des lois auxquelles doit obéir le commun des mortels. Et ce indépendamment de la couleur politique. Il existe une sorte de solidarité, qui veut qu’un député ou un ministre ne soient jamais poursuivis, ou alors que ces poursuites n’aboutissent pas. On peut dire que c’est en partie un phénomène « méditerranéen », mais en Grèce il tient aussi à des raisons historiques. Depuis la chute du régime des colonels en 1974 et le rétablissement de la démocratie, la classe politique, qui avait été très poursuivie, notamment pour des affaires de corruption sous la dictature, s’est en quelque sorte « blindée » derrière des lois d’immunité très difficile de lever ou de contourner, et ce, même sur le plan pénal. Un exemple plutôt anecdotique : un des cauchemars des chauffeurs athéniens est d’avoir un accident avec la voiture d’un député ou d’un ministre et que celle-ci soit dans son tort : impossible d’être dédommagé, d’autant moins que les élites négligent d’assurer leurs véhicules…Il y a gros a parier que l’oubli de M. Stathakis, tout comme pour ce qui concerne ses nombreux collègues ne connaisse pas de suites penales…
Conviction politique et responsabilité personnelle
Dans la mentalité dominante en Grèce, les notions de responsabilité, de conséquence et de cohérence personnelle sont infiniment plus souples et élastiques que dans les pays occidentaux. Un député communiste ou même socialiste qui s’enrichirait en boursicotant ou même dans les affaires au vu et au su de tout le monde ne pourrait que très difficilement le faire en Suisse ou en Allemagne, et devrait tout de même se justifier devant son parti et se poser des questions sur le plan personnel… En Grèce c’est plutôt banal. Les convictions politiques peuvent être affirmées parfois avec fanatisme, il n’en résulte aucune conséquence sur le plan du comportement personnel. Quelqu’un qui se poserait une question de cohérence personnelle serait considéré comme un idiot. Cette élasticité morale est l’un des traits (on pourrait même parler de « travers ») de la mentalité méditerranéenne et grecque en particulier. Elle n’est pas condamnable en soi et évite certes parfois la psychorigidité, mais si on dépasse certaines limites, elle entraîne d’autres conséquences néfastes.
TheBlue