Le scandale qui secoue l’athlétisme en ce moment s’inscrit dans une longue série d’affaires de dopage dans le monde du sport. Ce fléau n’est en rien nouveau, mais c’est bien son ampleur et l’implication de l’État qui surprend. Comprendre les grands scandales passés permet de mieux se rendre compte de la complexification du phénomène. Retour sur les plus grandes affaires de dopage.
Photo : Getty Images
Ben Johnson. Aux Jeux de Séoul, en 1988, le sprinteur canadien établit un nouveau record du monde du 100m (9 »79) dans une course d’un niveau encore jamais atteint. Or, on apprendra qu’il a été contrôlé positif. Son record se retrouve alors annulé.
L’affaire Festina. En plein Tour de France 1998, l’ensemble de l’équipe cycliste Festina est exclue de la course, après la découverte de produits dopants et stupéfiants lors d’un contrôle douanier.
L’affaire Armstrong. En août 2012, l’agence américaine antidopage révèle le système de dopage mis en place par l’ancien cycliste. Lance Armstrong est déchu de la plus grande partie de ses victoires, notamment ses sept Tour de France.
Ex-RDA. En 2007, près de 10’000 sportifs sont reconnus victimes d’un dopage instauré au niveau étatique, par l’ancienne Allemagne de l’Est. Un dopage forcé encore inédit.
La plupart des scandales de dopage sont l’affaire d’un petit groupe de personnes (médecins, athlètes eux-mêmes, entraîneurs…). Mais le dopage organisé en Russie révélé par ARD diffère singulièrement des scandales passés. En effet, l’agence russe d’antidopage masquait les cas positifs chez des athlètes professionnels, voire détruisait des preuves évidentes. Une participation de l’état russe a aussi été prouvée par l’AMA, l’Agence mondiale antidopage, qui démontre la participation de tous les échelons, dans son rapport. Mais à l’heure où les instances de lutte antidopage sont toujours plus efficaces, quels intérêts aurait la Russie à mettre en place un système d’état ? Pour Nicolas Bancel, professeur à l’Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne (ISSUL), la politique identitaire et nationaliste menée par le président Poutine en est la principale explication. Cette politique se rapproche, en certains points, de la recherche de la grandeur du passé soviétique. « Le sport est un moyen parmi d’autres de renforcer la position de la Russie en interne et à l’international, et d’alimenter le nationalisme » explique Nicolas Bancel.
L’implication de la fédération faîtière de l’athlétisme (l’IAAF) reste encore à prouver. Mais pour le professeur français, il est fort probable qu’elle avait connaissance du dossier. Selon lui, l’idée d’instances sportives mondiales indépendantes de toute organisation politique nationale ou internationale a des atouts. Cependant, c’est leur gouvernance qui pose problème. Manque de transparence. Peu d’autorégulation aussi. « Certaines organisations en prennent conscience, d’autres poursuivent dans cette voie qui, dans le cas de l’IAAF, se révèle clairement destructrice. » poursuit le professeur Bancel. Mais pour lui, la suspicion du laboratoire d’analyse du dopage de Lausanne, responsable des analyses d’échantillons, par exemple pour les épreuves olympiques, n’a pas lieu d’être. « Je ne vois pas l’intérêt et j’attends de voir si les procédures ont été – ou non- respectées. »
Malgré cela, les moyens de pays puissants comme la Russie semblent suffisamment en mesure d’influencer des instances qui se veulent neutres, telle l’IAAF. Une différence d’échelle qui expliquerait parfois l’inefficacité de la lutte antidopage ? Nicolas Bancel reconnaît que dans cette lutte, il faut « la collaboration pleine et entière des institutions internationales et nationales ». Or, quand celles-ci décident de ne pas respecter les règles du jeu, les moyens d’interventions des agences antidopage se restreignent. Selon lui, il existe d’autres pistes pour combattre le dopage. Il faudrait, dans un idéal, agir en amont avec les athlètes. D’une part, faire de la prévention et d’autre part, comprendre ce qui encourage les athlètes à tricher. À Lausanne, l’ISSUL réalise par exemple des enquêtes sociologiques avec des fédérations internationales (à l’instar de l’UCI). D’après le professeur Bancel, ces études permettront de mieux appréhender les facteurs encadrant les sportifs. Comprendre est une étape, cependant elle ne suffit pas à éradiquer le fléau du dopage. Même le professeur Bancel reconnaît les obstacles politiques et économiques à la lutte antidopage. Quand on sait les sommes versées par les sponsors, par les fédérations nationales ou pour les droits TV (7,25 milliards de francs pour les droits de diffusion du championnat anglais de football), difficile d’imaginer un monde sans dopage.
M. Ro