Dans un monde hyperconnecté où la moindre seconde doit être utilisée à bon escient, les médias se livrent une véritable guerre communicationnelle afin d’être le premier à dégainer son article, quitte à parfois lésiner sur sa qualité. Alors, la presse s’adapte-t-elle simplement à son temps ou creuse-t-elle sa propre tombe ? Photo : Watch_Dogs
Le travail du journaliste ne peut être séparé d’une certaine notion de temporalité, qui se veut être de plus en plus courte. En effet, la probabilité de vente d’un numéro mettant en une un quelconque « scoop » est beaucoup plus grande si ce numéro est le premier à dévoiler l’affaire. Une information déjà connue n’apporte rien et sera donc boudée des lecteurs, d’où l’importance de la rapidité dans la diffusion d’informations.
Ne pas confondre vitesse et précipitation
Toutefois, cette rapidité engendre un certain nombre de problèmes. Tout d’abord la qualité en pâtit, tant la qualité rédactionnelle – ce qui est désagréable – que la qualité factuelle – ce qui est inadmissible pour un journaliste. Comment produire un texte de la même qualité lorsqu’il est écrit seul en 5 minutes ou avec sa rédaction en une journée ? C’est impossible.
Le même constat s’applique à la vérification des faits : moins de temps pour publier, donc moins de temps pour s’assurer de la véracité de ses propos. Heureusement, ces erreurs sont plutôt rares, mais elles existent bien comme en témoigne l’annonce erronée de la mort de Martin Bouygues en février.
Mais la vitesse d’écriture n’est pas le seul bémol de cette nouvelle forme d’information. À force de recevoir une vingtaine d’alertes par jour, l’intérêt du lecteur pour celles-ci baisse. Ainsi, après avoir lu consciencieusement les dix-neuf premières sans y trouver rien d’intéressant, il zappe la vingtième, alors que celle-ci aurait d’ordinaire retenu son attention. En bref, trop d’information tue l’information.
Tous responsables
Cependant, est-ce bien le procès de l’actualité immédiate qui est fait ci-dessus ? Ces arguments sont défendables, seulement ils ont eux aussi leurs limites…
Il ne faut pas confondre la pertinence de l’actualité immédiate et la pertinence de l’information véhiculée par l’actualité immédiate. Cette manière de communiquer n’est pas un problème en soi : son utilisation doit simplement être contrôlée, par les journalistes d’abord, mais par les lecteurs également. Bien sûr, les premiers à pouvoir influer sur la qualité de l’information diffusée sont les journalistes eux-mêmes. Un dilemme se pose à eux lors de chaque nouvelle potentiellement publiable sur internet ou application mobile : privilégier la vitesse ou la qualité ? La réponse se trouve sûrement entre les deux et il se doit de proposer un contenu décent, tant au niveau du fond que de la forme, mais pas seulement : le faire dans les plus brefs délais fais également partie de sa fonction.
Les lecteurs sont depuis peu également responsables, à un degré différent. Trop d’information tue l’information, certes, mais il incombe aussi au lecteur de limiter l’information indésirable, notamment grâce aux moyens qui lui sont fourni. Quels sont-ils? Aujourd’hui, la presse est hyperspécialisée : alors qu’un patron activera les notifications de l’application de son journal économique favori, le fan de football invitera une application sportive à lui envoyer des alertes. De plus, nombre de journaux permettent de paramétrer leurs notifications, offrant la possibilité aux lecteurs de faire le tri. Ainsi, l’actualité immédiate n’est pas opposée à la transmission saine de l’information.
Complémentarité : la clé ?
Toutefois, le point le plus essentiel de la responsabilité du lecteur est autre. Après avoir constaté la « faiblesse » de l’actualité immédiate, il a deux possibilités : la blâmer ou la replacer dans son contexte. En effet, l’information instantanée n’a pas le même but que l’actualité traditionnelle – principalement représentée par les journaux, qu’ils soient quotidiens, hebdomadaires ou mensuels – et ne joue pas sur le même tableau. Les comparer n’a donc aucune utilité, sinon de montrer leur complémentarité. Alors que la première survole les évènements quotidiens, la seconde permet d’approfondir les sujets pertinents pour le lecteur. Ce dernier doit, en somme, savoir ce qu’il veut. Une information rapide et gratuite d’une qualité et d’une fiabilité plus faible ou une information qui n’est pas instantanée, mais qui peut se permettre d’être plus qualitative et fiable… ou les deux ! Car c’est là l’objectif de la presse : non pas la confrontation de deux types de communication, mais bien leur mariage. De plus, on assiste aujourd’hui à une révolution technologique. Chaque journal, chaîne ou radio possède son site et son application mobile, permettant une information adaptée à chaque situation, que l’on soit chez soi ou ailleurs. C’est cette complémentarité, exaltée par le multi-support, qui forge le caractère essentiel de l’actualité immédiate.
L’actualité immédiate comme seule source d’information n’est donc certainement pas souhaitable, mais associée à une forme de communication plus traditionnelle, elle peut s’avérer être un atout considérable. Notre société change, et avec elle le journalisme. Ainsi, dans un monde hyperconnecté, où la moindre seconde doit être utilisée à bon escient, la pertinence de l’actualité immédiate n’est plus à démontrer.
Massimo Greco (MaG)