Comment le marché de l’art fait-il face à la crise ? Est-il par ailleurs concerné par la crise internationale ? Depuis une dizaine d’années, les spéculations fleurissent dans le secteur artistique, perçu comme une valeur refuge mais également signe de richesse. « Ça fait bien » d’aimer l’art, peut-être moins de revendre avec une plus-value une œuvre fraîchement acquise. Repérage. Photo : Web.
Le rapport 2014 d’Artprice et Art Market Monitor of Artron (AMMA) indiquant une hausse de 300% du chiffre d’affaires sur le marché de l’art, Peter Atwater, président de Financial Insyghts, dit vrai : l’art est un marché actuel. La mondialisation de l’art ne date pas d’aujourd’hui ; elle débute après la Seconde Guerre mondiale. C’est cependant dans les années 80 que les prix connaissent une croissance significative : plus les prix augmentaient, plus les acheteurs étaient amenés à spéculer. Certains, tel Barry Ritholtz (chroniqueur sur l’art au Bloomberg) à BILAN, se persuadent que ce secteur, devenu fortement économique, ne présente en 2015 aucun risque de souffrir de la crise, étant dominé par une élite globale prête à payer des sommes astronomiques. Cependant, et selon l’Art Media Agency (AMA), le contexte économique morose de la première guerre du Golfe a porté à conséquence sur le domaine de l’art. Les acheteurs se retirant du marché, les prix de vente diminuaient alors qu’augmentait le nombre d’invendus. Exemple de l’automne 1990 où 50% des œuvres d’art contemporain n’ont pas trouvé d’acheteur.
Il convient de ce fait de modérer l’image du marché de l’art comme celle d’une bulle imperméable à la crise internationale. Guillaume Cerutti, CEO de Sotheby’s France, parle de « marché libre ». En effet, ce secteur est différemment affecté car composé uniquement d’individus et collectionneurs particuliers ainsi que d’objets individuels ou particuliers. En situation de crise, les grandes œuvres ne sont pas concernées, explique-t-il, mais au contraire d’avantage recherchées et demandées par les grands amateurs, d’où cet impact différencié, selon les objets, de la crise sur le marché de l’art. Aujourd’hui indépendant de l’économie, contrairement aux années 90, il est un secteur d’investissement potentiel et très/trop souvent spéculatif.
L’ « art flipping » : est-ce l’art qui a pris de la valeur ? Ou l’argent qui s’est approprié l’art ?
Il semble que le marché de l’art ait plus à craindre des acheteurs-spéculateurs que de la crise elle-même. Les investissements dans l’art ont en effet explosé du fait de l’accroissement des consommateurs (passés 500’000 dans l’après-guerre à 70 millions en 2015). De plus, les consommateurs sont présents sur tous les continents. La Chine domine actuellement ce marché devant les Etats-Unis. Capital, le site français d’informations économiques, justifie une telle explosion par l’économie muséale. Entre 2000 et 2014, plus de musées ont été ouverts que durant le 19ème et 20ème siècle. Les institutions muséales, publiques ou collections privées, contribuent au marché par l’achat d’une grande quantité d’œuvres et fait nouveau, à but lucratif. En 2015, le secteur artistique attire d’autant plus que l’opacité le concernant est révolue, sans pour autant éviter l’escroquerie, car à l’heure actuelle, et selon Thierry Erhmann, le prix d’une œuvre d’art se calcule presque comme une action à la Bourse.
La figure du « mégacollectionneur » de Raymonde Moulin dans son ouvrage Le Marché de l’Art (2003) influence largement le marché de l’art, à l’image des galeries. « A la fois culturel et acteur économique », le mégacollectionneur « joue alternativement tous les rôles, celui du marchand (il achète et, éventuellement, revend), de commissaire d’exposition, de mécène (donations et fondations) ». Face à tant d’intérêt et comme aucune règle de fixation des prix n’est établie, les galeries, présentant les artistes de leur choix et partageant avec eux le produit de la vente, mettent en place, pour certaines, des garanties ou closes. Elles engagent un acheteur souhaitant se séparer d’une oeuvre acquise auprès d’une galerie alpha à la revendre uniquement à ce même organisme. Ceci permet de contrer le phénomène de l’ « art flipping » consistant à investir, à plusieurs acheteurs parfois, dans une œuvre donnée avec l’intention de revendre rapidement avec une plus-value. Une démarche propre au capitalisme marchant.
Même si le responsable d’art contemporain chez Christie’s, Francis Outred, est de l’avis que l’artiste créé des œuvres pour les donner au monde, qu’elles entrent ensuite dans un circuit dont l’art est la source, on aime à croire que des esthètes existent encore. Thomas Olbricht, collectionneur d’art berlinois, en fait partie. C’est peut-être le système qui décide comme dans beaucoup d’autres domaines, mais pour lui ou encore cette autre galeriste berlinoise Vera Munro, s’intéresser aux belles choses demande du temps et non de prétendus amateurs d’art.
C.