Il y a des hommes qui redonnent vie aux déserts. Pierre Rabhi en a fait son métier. Mais il écrit aussi une certaine philosophie dans un récit d’une belle justesse : Parole de Terre. Comme pour mieux écouter les questions des anonymes que nous croisons ici et là au bord des routes.
Photographie: Alexandre Wälti
Le bus avançait sur l’avenue principale. Il s’arrêta momentanément près d’une vieille bâtisse en bord de route. La porte était grande ouverte. Un vieil homme était assis sur une chaise roulante près de l’escalier et fixait la route. Il portait de grosses bretelles en cuir par-dessus une chemise carrelée et légèrement froissée à hauteur de torse. Comme un agriculteur devenu sédentaire contre son gré, victime d’un certain système de l’abondance. Il surveillent à présent l’autre bétail, le béton et son manque de terres.
Quelques jours plus tard, un autre homme regardait dans le vide au bord d’un chemin de campagne. Soudain, il prit une poignée de terre dans la main, la montra à deux passants, près de sa ferme et laissa s’en échapper de la poussière. C’était un paysan fier mais il semblait pourtant désespéré. Ses yeux n’exprimaient pas une joie pure, mais plutôt du désarroi. Comme s’il allait perdre ses champs dans un avenir proche. Comme si quelques cravates l’avaient obligé un jour à utiliser un poison pour sa terre. Il avait certainement une question dans le visage.
Est-il juste d’avoir plus que nos greniers de deux ans de prévoyance ne peuvent contenir ? La surabondance n’est-elle pas contraire à la raison et n’exposons-nous pas la terre à dilapider son lait comme une nourrice folle ?
Pierre Rabhi met en mot cette interrogation dans un récit : Parole de Terre. Point de meilleur titre possible pour souligner une évidence : notre destin est lié à celui de la terre. Personne ne dira le contraire puisque nous dépendons d’elle comme elle dépend de nous. C’est un équilibre. Nous l’oublions parfois trop vite au temps de la globalisation et du tout, tout de suite et en surabondance. Il est toujours agréable de se pencher sur des hommes qui questionnent ce lien. Dans notre cas, un écrivain-agronome dont la plume laisse une part importante à la culture de l’oralité.
Nous devons impérativement prendre soin de la « terre nourricière, de la terre mère, à laquelle nous devons la vie et la survie » comme le souligne encore Pierre Rabhi en préambule de son roman. Celui-ci voit s’entrecroiser trois destins dans un village au milieu de zones désertiques jadis verdoyantes : un scientifique en voyage, le sage Tyemoro et le révolté Ouséini. Ces trois personnages discutent avec honnêteté comme lors d’une palabre sous l’arbre où se décide le futur du village. Le style est paisible. Il emprunte à la nature le rythme du jour et de la nuit. Les mots sont remplis d’affection pour la terre.
Le récit de Pierre Rabhi est une grande contemplation de l’Histoire d’un pays sans nom, anonyme, inconnu, pourtant si proche et vrai. Au début, il y a la survie qui pousse la population à planter des graines pour subvenir uniquement aux besoins du village. Et puis les jeunes villageois découvrent la ville tandis que le lecteur voit la vie s’en aller de la terre des ancêtres. Des hommes arrivent. Ils promettent de meilleures récoltes et dictent une certaine loi. Tyemoro raconte. Il soupire parfois. Il espère aussi que les habitants reviennent malgré les sécheresses. Il conte l’histoire de sa culture.
Pierre Rabhi parvient à nous poser les bonnes questions. Il n’est jamais trop militant pour une cause, mais il défend plutôt une certaine vision de la vie que cet agronome met tout entier dans Parole de terre. Un récit de voyage peut-être. Une philosophie ? Un choix ? Un combat ? Que diraient le vieillard seul dans sa bâtisse et le paysan mélancolique ? Que répondriez-vous ?