Gemma Malley « La Déclaration »

L’immortalité, une course à l’impossible, un jeu de cache-cache avec une mort jusqu’ici invaincue. Pourtant, alors que les limites sont sans cesse repoussées, un monde de demain pointe le bout de son nez. Une société où les nouvelles générations peineraient à trouver leur place. Dans « La Déclaration », premier tome de sa trilogie, Gemma Malley nous montre un univers où l’immortalité a peu à peu remplacé le renouveau de la jeunesse, qui en paye le prix.

 Photo : web

Une jeune femme déambule distraitement devant les présentoirs à journaux. L’odeur du plastique et du papier journal chatouille ses narines, promesse de nouvelles croustillantes et exclusives. Un terme passe devant ses yeux et accroche son regard. Les lettres noires forment un mot : « immortalité ». Machinalement, la femme tend la main vers ce journal, l’esprit rempli d’interrogations.

Elle l’ouvre cet article plein de promesses. Elle parcourt rapidement les paragraphes et sent un mélange d’émotions tourbillonner en elle. Ce papier traite des nouveaux progrès scientifiques concernant l’immortalité. Son cœur bat la chamade à l’idée que l’on soit bientôt proche de vaincre la mort. L’esprit humain n’a donc aucune limite ? Dans quelques générations peut-être, les enfants auront la certitude de ne jamais perdre leurs parents, et de connaître leur descendance lointaine. Mais bien vite une boule se forme dans son estomac. Elle sent une peur irrationnelle l’envahir, comme un instinct animal lui soufflant la présence d’un danger. Si une telle chose devenait possible, alors le cycle de la vie cesserait d’exister.

Cette réflexion sur l’immortalité devient de plus en plus d’actualité à mesure que les années passent. À vouloir toucher du doigt le surnaturel, toutes les hypothèses deviennent possibles. Que se passera-t-il donc lorsque le pas sera franchi ? C’est dans cette question que s’est engouffrée l’écrivain Gemma Malley. Elle nous ouvre la porte d’un avenir peu reluisant et dont nous pressentons qu’il pourrait basculer dans notre réalité pour peu que nous prenions les mêmes décisions.

L’histoire se déroule en 2140. Une grande partie de la planète prend le médicament de la « Longévité » qui prolonge éternellement la vie. La « Déclaration » est instaurée, sa signature donne accès à la « Longévité » mais interdit d’avoir des enfants. La seule exception est le principe d’« une vie pour une autre » qui implique que seul un parent mortel peut avoir un enfant. Cette loi stricte n’étant pas respectée par tous, des enfants naissent illégalement. On les appelle les « Surplus » car ils ne devraient pas exister. Dans certains pays ils sont supprimés, mais l’Angleterre décide d’enfermer les Surplus dans des foyers en attendant qu’ils deviennent domestiques pour les « Légaux ». Coupés du monde, astreins à une discipline de fer, ils apprennent « Où-Est-Leur-Place ». Nous découvrons dans le Foyer de Grange Hal la jeune Anna, Surplus exemplaire et convaincue du système. Mais la vie d’Anna change lorsqu’un jeune garçon, Peter, arrive au Foyer en prétendant connaître ses parents. Après avoir trop connu l’ « Extérieur », il refuse de s’adapter au foyer, ce qui agace rapidement Anna. Celle-ci raconte son quotidien dans un carnet qu’elle détient secrètement, et qui n’est rien d’autre que le livre « La Déclaration ».

Ce livre réussit à nous décrire cette réalité de l’intérieur, au travers des mots et des sentiments d’Anna. Elle nous parle de sa vie de Surplus avec une indifférence révoltante et fascinante à la fois. C’est cette écriture qui nous captive, celle qui nous présente l’injustice et la souffrance comme normale et nécessaire. C’est la voix d’une adolescente qui a été endoctrinée depuis son enfance, pensant sincèrement qu’elle n’aurait jamais dû voir le jour et qui compte passer sa vie à réparer le crime de ses parents. C’est aussi avec ses yeux que l’on découvre cette personne de l’Extérieur, Peter, le rebelle, l’esprit libre, qui essaie d’ouvrir les yeux d’Anna comme nous aimerions le faire.

La dureté de cette histoire contraste avec le ton que prend Anna pour nous en parler. Gemma Malley nous propose une histoire vraie, dans le sens où ses personnages parlent sans détour, malgré leur jeune âge. Qu’ils aient décidés de se battre pour ou contre le système, ils ont leurs convictions, leurs moments de doutes et leurs idéaux. Lire « La Déclaration », c’est regarder par le trou de la serrure ce qu’il peut bien se passer dans le Foyer de Grange Hal, où vont les enfants nés de l’immortalité.

Gemma Malley, La Déclaration, Naïve, Les associés réunis, Paris, 2007

ML

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