Dans le cadre de l’inauguration de son cycle automnale IMAGINE FUTURE, le Cinéclub d’ethnologie a convié, le 16 octobre dernier, les étudiants de l’Université de Neuchâtel à revisiter un classique de la science-fiction des années 60. À travers le court-métrage La Jetée de Chris Marker, les spectateurs sont invités à explorer les mystères d’un monde pour le moins étrange…
Photo : Web
L’Homme est esclave de sa curiosité. Jamais il n’a cessé de se poser des questions et jamais il ne cessera de tenter d’y répondre. Mais que se passe-t-il lorsque qu’il est confronté à une énigme qu’il ne semble pas pouvoir déchiffrer ? Eh bien, c’est très simple, il imagine tout et invente n’importe quoi. Les hypothèses deviennent, peu à peu, les sources d’inspiration qui guident l’humanité dans sa quête de compréhension et d’appréhension du monde.
C’est là que l’art de la science-fiction entre en scène. Ce genre littéraire et cinématographique tente aux moyens d’hypothèses d’imaginer ce que pourraient être le futur, le présent et le passé si certains évènements s’étaient déroulés autrement. Pour assurer la plausibilité de ses scénarios, la science-fiction prend garde de tenir compte de faits tant scientifiques qu’ethnologiques pour élaborer ses histoires. Elle propose différentes lectures du monde ce qui est, inévitablement, une de ses principales sources de popularité. Tout ce qui est inventé peut (dans une certaine mesure) s’avérer possible. En allant chercher au-delà des choses que nous connaissons, la science-fiction interroge le présent. La Jetée de Chris Marker en est un parfait exemple.
Ce court-métrage, humblement qualifié par son auteur de « photo roman », naquis dans le contexte particulièrement tendu des années soixante. Les blocs politiques des Etats-Unis et de l’ex URSS étaient tous deux à la limite d’un affrontement nucléaire. La crise des missiles de Cuba reste historiquement le point culminant de la Guerre Froide. En s’en inspirant, le réalisateur envisage ce qui aurait pu se produire si la 3ème Guerre Mondiale avait réellement éclaté…
Afin de délivrer les survivants d’un chaos insoutenable, des scientifiques mirent au point un appareil permettant de voyager à travers les dimensions du temps. L’humanité étant condamnée, ils prièrent le passé et l’avenir de secourir le présent. « Mais l’avenir étant mieux défendu que le passé », ils durent envoyer un homme aux confins des frontières temporelles afin qu’il trouve un moyen d’assurer la prospérité de la race humaine. L’accent est rapidement mis sur la précaution avec laquelle l’esprit et la mémoire peuvent être manipulés. Le processus de remémoration est semblable à une visite dans un musée. On a beau essayer vaillamment de suivre un chemin ordonné et chronologique, tous les efforts sont inutiles, on finira inévitablement par s’égarer. La pensée, elle, est pareille à un flux irrégulier. Elle est constamment entrecoupée et insolemment incontrôlable. Dans le cadre de l’expérience scientifique, son souvenir d’enfance sera le seul moyen pour le cobaye de ne pas sombrer dans une folie profonde. Sa mémoire sera son unique attache à la réalité d’un monde sans date.
L’atypisme de sa structure tout comme le particularisme de son contenu permet à ce court métrage d’être ouvert aux interprétations. Ce film français est, en réalité, et cela à l’exception d’un seul plan filmé, un diaporama de photos (en noir et blanc) continuellement commenté par un narrateur. « Cette manière d’aborder la cinématographie est tout à fait surprenante », confesse même un spectateur. Le rythme et l’intonation de la voix de Chris Marker lient le spectateur aux illustrations qui défilent devant lui. Le narrateur accompagne ses photos en créant autour d’elles une atmosphère lente et inquiétante. L’image en elle-même pousse à un travail de déduction puisqu’elle ne montre qu’un instant figé. « Le cinéma est, avant tout, de l’image en mouvement», chaque spectateur est donc à l’affut de sa propre interprétation des évènements puisqu’aucune explication ne lui est donnée. Il pourrait par exemple transposer les conflits politiques qui nourrissaient la Guerre Froide et les considérer de manière plus actuelle. Si l’on examine inopinément le cas de l’Ukraine, les blocs Ouest et Est persistent agressivement à confronter leurs idéaux. C’est sûrement sous cet angle là que la rediffusion de ce court-métrage est la plus pertinente. Ce dernier offre l’aperçu d’une leçon qui s’estompe trop vite dans les mémoires.
Jen’