La surpopulation carcérale au coeur des débats et des indignations en Suisse. Suite aux rixes survenues au sein de la prison de Champ-Dollon, les tensions sont palpables et font resurgir les tabous d’un monde invisible, derrière les barreaux.
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Les problématiques du milieu carcéral sont multiples, complexes mais également peu visibles; non-respect des droits de l’Homme, surpopulation, conflits entre détenus, conditions de détention déplorables et abus de pouvoir par les mâtons.. Autant de thématiques qui fâchent et suscitent des réactions houleuses.
Certains courageux se risquent à vouloir franchir des portes, souvent fermées, et se retrouvent face à des non-dits. “Ce qui se passe en prison, reste en prison”, adage le plus fréquemment utilisé à titre de justification.
Et puis il y a ceux qui témoignent, rares bouteilles à la mer balancées avec rage ou dépit avant un suicide ou une nouvelle condamnation. Olivier M. était de ceux-là. A 31 ans il s’est jeté d’un pont alors qu’il était en semi-liberté après 12 ans de détention pour le meurtre de sa petite amie. Il a laissé derrière lui des enregistrements audio, comme derniers mots d’un condamné, révélant la pression psychologique et les méthodes peu conventionnelles des gardiens.
A croire que les détenus de Champ-Dollon (Genève) se sont passés le mot : plusieurs rixes et blessés en une semaine, de quoi alerter politiques et médias. Premier constat, la surpopulation. Pour 376 places, la prison accueille près de 850 détenus, faute de places ailleurs. Soit plus du double de sa capacité d’accueil. Les esprits s’échauffent, les journaux en parlent, mais toujours avec une certaine retenue et peu de précisions. Comme si la distance entre la liberté et les barreaux était trop importante, quasiment infranchissable.
A la Chaux-de-Fonds 25 cellules fermeront prochainement à cause de travaux de rénovation. Les détenus seront alors transférés ailleurs; de quoi inquiéter les autorités locales à la perspective de problèmes de promiscuité.
Les autorités, que font-elles? Entre volonté de rassurer et inaptitudes à oeuvrer, faute de personnel, de place et des condamnations en hausse. Des ébauches de solution sont timidement soulevées: condamner moins pour des délits mineurs et ainsi éviter l’incarcération à des individus jugés “peu dangereux”; sévir les peines afin d’inciter au respect des lois ou encore promouvoir la semi-liberté et les bracelets électroniques pour libérer quelques mètres en prison.
En Suisse, beaucoup estiment que la justice est déjà trop laxiste. En France, la réinsertion précoce de détenus effraie et insurge… Dans cet océan de paradoxes, il est bien difficile de trouver une alternative permettant d’une part le respect des individus en tant que personnes (qu’elles soient coupables ou victimes) et de limiter la délinquance, la violence et les délits d’autre part.
Et ce qui n’est pas dit?
Il faut que les débordements soient nombreux, notables et fassent partie d’évènements majeurs pour que les médias s’y intéressent. Ce qui se passe au-delà des murs bétonnés est bien dissimulé aux yeux de tous.
Il n’est que très rarement question des débordements du personnel pénitencier, gardiens plus couramment appelés “mâtons”. Ces travailleurs de l’ombre qui ont pour mission de faire régner l’ordre, selon des méthodes plus ou moins musclées. Abus de pouvoir, violence gratuite, chantage, humiliations, jusqu’où peut aller celui qui ferme des serrures à double-tour pour le bien de la société? ArcInfo publiait le 26 février 2014 un rapport du Tribunal fédéral: “Le Tribunal fédéral a partiellement donné raison à un détenu de la prison genevoise de Champ-Dollon. Il considère que les conditions de détention ne sont pas conformes aux droits de l’homme.”
Et lorsqu’un détenu veut porter plainte il lui faut faire preuve d’une patience souvent plus longue que sa peine; il devient alors procédurier, face à une administration liguée aux côtés de l’établissement. Un article du Monde reprend le rapport annuel du contrôleur général des lieux de privation des libertés, Jean-Marie Delarue, qui souligne le cercle vicieux dans lequel sont drainés ceux qui veulent faire valoir leurs droits: “Le procédurier devient alors le détenu le plus dérangeant, bien avant la figure du détenu indiscipliné ou violent : c’est celui qu’il faut faire taire absolument parce qu’on ne veut pas qu’on sache, à l’extérieur, que quelque chose ne va pas dans l’enceinte de la prison.” (Article du 11.03.2014 sur LeMonde.fr)
Libertés bafouées et conditions de vie inhumaines en milieu carcéral ; l’ère du XXIème siècle n’est pas synonyme de l’avènement des droits fondamentaux universels.
Sous huit-clos, les portes se ferment toujours, manipulées par des administrations impassibles et soucieuses de ne pas laisser filtrer les accusations qui dérangent.
Et dehors, les yeux se ferment, les avis divergent, les médias accusent et les politiques promettent. Il est bien plus simple de laisser les problèmes là où ils se trouvent, tant que les condamnés purgent leur peine et paient pour leurs “crimes”.
Même les yeux ouverts, impossible de voir au travers des murs.
NoAn
En plus:
– http://chtaubira.tumblr.com/post/39747566332/a-propos-de-la-surpopulation-carcerale?gclid=CLq8i6-Cnb0CFZShtAodrWcAeg
– http://www.lemonde.fr/societe/article/2014/03/11/jean-marie-delarue-le-detenu-procedurier-c-est-celui-qu-il-faut-faire-taire-absolument_4380812_3224.html?xtmc=surpopulation_prison&xtcr=2