Ces dernières années, nous avons pu constater un essor de la cuisine, chacun peut, s’il le veut, créer de bons menus, devenir un petit chef, comme par exemple dans le programme de M6 un dîner presque parfait, où le concept est de gagner grâce à l’originalité et le bon goût de ses plats. Fini le temps où l’on se contentait de servir des mets simples. Mousselines crémeuses, verrines ou encore confits, la cuisine tend à élever son niveau tout en étant plus accessible à tout un chacun et donc en n’étant plus forcément réservée aux grands cuisiniers. Mais peut-on dire qu’elle est élevée au rang d’art?
Selon Wikipédia, « l’art est une activité humaine, le produit de cette activité ou l’idée que l’on s’en fait, consistant à arranger entre eux divers éléments en s’adressant délibérément aux sens, aux émotions et à l’intellect ». De ce point de vue, la cuisine est donc un art puisqu’elle touche beaucoup plus que le simple sens du goût. L’odorat, le visuel voir le touché, plusieurs sens sont mis à contribution. Et ça ne s’arrête pas là: on touche également aux émotions. Souvenirs d’un plat d’enfance, beauté d’un dressage et évidemment, la convivialité qui entoure un bon repas.
Ces différents aspects sont mis en avant dans d’autres émissions télévisées, comme Top Chef, où les candidats sont non seulement jugés sur le goût de leur plat, mais également son dressage et ce qu’il évoque, les émotions qu’il peut susciter. On cherche d’ailleurs à donner « du coeur » aux plats. Nous pouvons donc parler, dans ce genre de cas, d’art culinaire. Tout comme pour la peinture ou la sculpture, certaines personnes sont prêtes à payer des sommes astronomiques pour avoir le meilleur. C’est également un art éphémère, puisqu’une fois dégusté, nous n’en gardons plus aucunes traces, à part un délicieux souvenir.
Mais nous parlons ici de bonne cuisine, de gastronomie. Lorsque la cuisine se fait pratique, économique, comme la cuisine de cantine, préparée dans des casseroles immenses, avec pour seul but de nourrir et non de ravir les papilles, est-ce toujours un art? Nous tendrions à dire non. Mais n’est-ce pas le grand Andy Warhol qui a élevé au rang d’art la grande consommation et la production de masse? Et le gribouillage d’un enfant remet-elle en cause le statut artistique de la peinture? C’est évidemment une façon de voir quelque peu extrême, mais la cuisine faite dans le simple but de nourrir ne va pas remettre en cause le statut de la gastronomie et de l’art culinaire, tout comme une vidéo amateur ne va pas faire descendre de son piédestal le cinéma, considéré comme le 7ème art.
Les chefs cuisiniers, de nouveaux artistes? Pour le savoir, L’article.ch a interviewé Eric Fotel, chef de son restaurant La Grenade, à Aubonne:
L’article.ch: La cuisine a tendance à se démocratiser, nous en entendons de plus en plus parler, mais en tant que restaurateur, l’estimez-vous comme un art? Si oui, pourquoi?
Eric Fotel: Pour moi, ce n’est pas un art. D’abord, c’est une passion. Elle vient depuis tout petit. On faisait à manger avec les parents, on préparait tout ensemble. C’est venu de là. Ça devient un art quand ça arrive chez les « grands », comme des Rochat, Girardet, Ducas, Bocuse, etc. C’est comme pour le sport, un Messi par exemple, c’est un artiste. Après, ça reste des exceptions.
L.ch. : Donc, tout le monde ne peut pas être un artiste?
E.F. : À partir du moment où on transforme, c’est une forme d’art. Mais non, pas tout le monde ne peut prétendre être un artiste. La cuisine, c’est un métier. Les émissions télévisées sont un bon moyen de faire parler de la cuisine, de créer des vocations. Par contre, elles donnent une fausse idée de ce qu’est vraiment la cuisine. Courir sur le Trocadero pour créer un plat, ça n’existe jamais en réalité.
L.ch. : Comment ressentez vous cette engouement pour la cuisine? Est-ce positif ou négatif ? Est-ce que l’approche des clients a changé?
E.F. : C’est bien, ça fait découvrir le métier. Découvrir les gens qui gravitent autour du métier. Les producteurs et autre… On ne les voyait pas forcément avant, on ne se rendait pas compte, mais grâce aux médias, on les découvre quelque peu, et c’est une bonne chose. Internet aide aussi. Il permet de chercher des idées, de l’inspiration. On tape pigeon, par exemple, et on trouve plein de recettes, donc je ne les suis pas forcément, mais ça permet de s’inspirer.
Par contre, les gens s’intéressent peut-être trop à la cuisine et font beaucoup à manger chez eux, donc vont moins au restaurant, ce qui ne fait pas trop mes affaires (rires). Ils ont beaucoup à disposition. Il faut trouver des trucs en plus, des innovations ou chercher des meilleurs prix. On peut utiliser internet (proresto.ch, lafourchette.ch, etc.), c’est payant, mais utile. Après, il faut être réactif. Se tenir à jour et être prêt. Ça peut être à double tranchant. C’est un métier ou il faut bouger. Ne pas rester inactif. Changer la carte, la décoration, les tables. Il faudrait trouver le « truc », la « combine » qui change.
Sinon, j’ai constaté que les gens sont plus pointus au niveau des questions, il faut être plus concret, plus pertinents dans nos réponses. Ils s’y connaissent mieux. Ils ont aussi plus l’habitude d’aller au restaurant. La clientèle est donc plus exigeante qu’auparavant.
L.ch. : Vous considérez-vous comme un artiste lorsque vous cuisinez?
E.F. : Je ne me considère pas comme un artiste. Je fais de la cuisine. J’essaie de faire plaisir au gens, mais ce n’est pas forcément de l’art. Les grands sont des artistes, comme je l’ai dit précédemment.
L.ch. : Comme l’affirment vos tableaux dans le restaurant (ndlr: « De tous les arts, l’art culinaire est celui qui nourrit le mieux son homme » Pierre Dac; « Le bel art de la gastronomie est un art chaleureux. Il dépasse la barrière du langage, fait des amis parmi les gens civilisés et réchauffe le coeur » Samuel Chamberlain), la convivialité fait partie intégrante de la bonne cuisine. Est-ce aussi une nouvelle forme d’art?
E.F. : Je pense qu’il est important de sortir de sa cuisine, que le patron aille voir les clients, ils apprécient beaucoup. Le contact est génial. Si il y a un problème, ça permet de tempérer, si on ne le fait pas, il peut souvent y avoir de mauvaises remarques sur internet. Ça peut détruire un restaurant.
La convivialité fait partie de la cuisine, l’accueil est important. Il faut l’être de A à Z. C’est pour cela que je sors. La décoration, le personnel, l’ambiance, tout cela fait partie de l’impression qu’on aura après, de la convivialité. Elle fait partie du métier!
L.ch. : Que conseillez-vous à ceux qui veulent s’essayer à cette nouvelle forme d’art?
E.F. : Il ne faut pas le faire juste parce que c’est une mode, un « art ». Il faut de la passion. Il y a pas mal d’inconvénients à ce métier. Le stress, les horaires pas toujours faciles, etc. Il faut aimer. Plus que de l’art, c’est un métier. C’est très large. La cuisine permet d’amener ses connaissances. D’exporter son art.
L.ch. : Voulez-vous rajouter quelque chose?
E.F. : La cuisine a beaucoup évolué depuis trente ans, il y a de meilleures avantages, surtout pour les jeunes qui veulent se lancer. Il faut savoir que nous ne sommes pas tous des alcooliques (rires). C’était notre réputation. Finalement, c’est le plus beau métier du monde. Nous sommes de gros râleurs, mais on finit toujours par dire cela. Nous travaillons de beaux produits, on se fait plaisir à soi et surtout, on fait plaisir aux gens!
Ainsi, la cuisine n’est pas forcément un art à la portée de tous, si l’on en croit Eric Fotel. Mais art ou non, elle réjouit les sens et rend les gens heureux. Ce qui est évidemment essentiel. Et c’est peut-être en cela que nous pouvons la considérer comme une oeuvre, artistique? Le débat est ouvert.
Propos recueillis pas ChaM