Au cœur de la station des Diablerets, dans les Alpes Vaudoises, de mystérieuses ombres nocturnes travaillent à la réalisation du domaine skiable d’Isenau. Aux manettes de leur monstre d’acier, des hommes dévalent et grimpent des pentes abruptes sous le regard médusé de la forêt et de ses habitants. Larticle.ch s’est invité pour une nuit avec ces travailleurs peu ordinaires.
Photo : Romain Michaud
Les modestes bars et boites des Diablerets sont encore ouverts. Pourtant, la plupart des âmes de la région d’Ormont-Dessus dorment déjà à poings fermés.
Notre voiture s’échappe du village pour se rendre dans les hauteurs de la station où sont entreposées les machines. La nuit est froide et silencieuse, personne ne dit mot pendant le trajet. Nous approchons ces géantes des glaces qui pèsent plus de onze tonnes. L’intérieur ressemble à un petit cockpit d’avion, «Couleur 3» tourne dans les enceintes dernières générations et le chauffage est enclenché. À la vue de ces bêtes bruyantes, deux noctambules aux yeux vitreux, éclairés par les phares, les regardent passer l’air pétrifié. «À Nouvel An, il y a souvent beaucoup de gens sur la piste. Ils ont parfois trop bu, il faut être encore plus vigilant que d’habitude.» Explique Jack* conducteur de la chenillette.
Les dameurs sont vraiment responsables de la sécurité des utilisateurs, ils doivent faire tout leur possible pour rendre les pistes agréables et les adapter à tous les niveaux des clients qui viennent sur le domaine. «On est les premiers sur les lieux, on informe le chef de la sécurité des conditions et des dangers que l’on a rencontrés. Ceux qui ouvrent les pistes, nous laissent parfois des petits mots pour nous dire ce qu’il y a à améliorer.» souligne le natif de la station. Ils dégagent aussi la neige autour des remontées mécaniques et réalisent avec soin les montées, les départs et les arrivées des téléskis pour que les clients puissent être sur des emplacements dégagés et sans danger. Pour faciliter ce travail, certains engins possèdent un treuil d’une longueur d’environ 800 mètres. Ce câble se fixe à des points d’ancrages qui peuvent être des poutres dans le sol, un arbre ou même une autre dameuse. Ce système permet de retenir la machine à la descente et de la tracter à la montée. «Le treuil nous permet de remonter de la neige en haut de la piste, ce qui nous donne la possibilité de la garder dans un meilleur état et sur une plus longue durée.» Poursuis Jack.
Pour être conducteur, il y a des formations et des permis qui se mettent en place, mais la majorité des travailleurs apprennent sur le tas. Ils s’engagent dans les remontées mécaniques et se forment sur place. «J’ai une formation de mécanicien. Ce sont souvent des gens qui sont habitués aux machines, ils viennent par exemple du milieu agricole.» Explique Jack, dameur depuis 10 ans. Ce travail est bien sûr saisonnier et dure environ de la mi-décembre à la mi-avril. L’été, certains sont employés aux remontées mécaniques et à la maintenance, d’autres sont dans le transport ou retournent dans le monde agraire. Conduire une chenillette et être seul dans la montagne c’est un travail particulier. «Il faut vraiment être passionné pour faire ce métier, autrement tu ne le fais que quelques hivers. Ce n’est jamais la même neige, la même température ni la même visibilité, c’est ça qui est passionnant.» avoue l’amoureux d’Ormont-Dessus.
Les démons et les mauvais génies font selon les comptes et légendes des Diablerets des jeux de quilles et de marelles au sommet des montagnes. Terrifiant ainsi les habitants vivant au-dessous, qui reçoivent les pierres lancées par ces créatures diaboliques. Nous n’avons heureusement pas vécu cela, mais un moment magique dans un paysage qui semble figé. Un décor où le temps ne court plus, où les sapins semblent vous toiser du regard et où des milliers de boulettes blanches vous accompagnent sillonnant les traces laissées par la machine, comme un nombre incalculable de courses de bobsleighs simultanées et interminables. Un métier, un monde, le paradis pour certains!
* Prénom d’emprunt
MiRo