Le dimanche 26 août dernier, le soleil s’est enfin invité à la dernière journée de l’Auvernier Jazz Festival. À cette occasion, les gagnants de l’Auvernier Jazz Contest : le Milevska Trio, ont ouvert les festivités en proposant une approche plus qu’originale du jazz.
C’est sous un soleil de plus en plus présent que Rossitza Milevska (harpe et chant), Frédérick Lacroix (contrebasse) et Cédric Le Donne (batterie et percussions) ont transporté le public venu passer une dernière journée de plaisir musical. Le trio a su proposer un univers résolument frais et moderne, en reprenant certains classiques du genre. Ils ont également réinterprété des chansons traditionnelles bulgares à la sauce jazzy, en honneur aux racines de la chanteuse.
Mélangeant reprises et compositions personnelles le groupe a donné un concert tout en éclectisme, en offrant un savant mélange musical, formant un tout final très cohérent. Quelques instants suspendus, desquels les spectateurs sont sortis ravis.
Larticle.ch a eu la chance de poser quelques questions aux membres du groupe, qui ont répondu avec le même plaisir qu’ils ont montré sur scène. Rencontre avec trois personnalités, qui ont décidé de faire de la harpe-jazz un atout.
Larticle.ch : Pour commencer, pouvez-vous faire une brève présentation du groupe, comment vous-êtes vous formé et quand vous êtes-vous connus?
Rossitza Milevska : On s’est retrouvé simplement lorsqu’on faisait nos études, en classe de jazz, au conservatoire de Nice. Et c’est un peu le hasard qui nous a réuni, petit à petit il y a eu des affinités puis on s’est dit : ok, on fait un boulot peut-être un peu obligatoire, mais après on peut se faire plaisir avec et faire des recherches et des arrangements… et ça date déjà depuis 2009 tous les trois. On se supporte, on joue, on s’éclate… (rires)
Frédérick Lacroix : On s’est dit, il faut trouver une belle direction dans le jazz, c’est difficile de nos jours de trouver une belle direction qui conserve tout ce qu’on a eu de la tradition tout en avançant. Avec la demoiselle, on s’est dit : la harpe déjà c’est super intéressant de l’incorporer dans la musique jazz et puis ses origines bulgares… c’est pour ça qu’on retrouve beaucoup de rythmes bulgares dans les musiques que nous composons et ça apportait un challenge supplémentaire.
L.ch : À ce propos, c’est peut-être une question récurrente, mais justement la harpe est généralement perçue comme un instrument classique, qu’on imagine plus dans un orchestre… comment vous est venue l’idée de jouer de la harpe dans un registre jazz?
R.M.: Alors, personnellement ça faisait partie de mes intérêts. Hier soir on parlait de ça : lorsque j’étais petite, je me demandais toujours pourquoi il fallait absolument jouer les notes qui étaient écrites. Et voilà, ça m’est resté dans la tête, puis ensuite j’ai commencé à aimer d’autres genre que la musique classique et un jour, je me suis dis : comment faire pour jouer de la harpe-jazz? Je me suis retrouvé devant le fait que personne ne pouvait me conseiller, puisque c’est un vrai monde à part. Malgré cela, j’ai la chance d’être aussi pianiste et j’ai trouvé par hasard la classe de jazz à Nice et c’est grâce aux très bons professeurs de piano qui y travaillent que j’ai pu développer cette aspect de ma musique. J’y suis entrée en piano-jazz et je suis ressortie en harpe-jazz (rires).
F.L.: Il faut ajouter aussi : pourquoi la harpe-jazz? C’est parce qu’elle n’est pas comme tout le monde, c’est une musicienne particulière, dans sa façon d’être, dans sa façon de penser, et c’était impossible qu’elle fasse de la harpe comme tout le monde…
Cédric Le Donne : Moi j’ai été surpris la première fois que je l’ai écouté, puisque comme nous nous sommes rencontrés au conservatoire de jazz, à chaque fois que je la voyais jouer, elle jouait du piano. Un jour, elle me dit : viens, on va répéter chez moi et je pensais qu’elle allait se mettre au piano et j’ai été très surpris en fait…
L.ch : Sur scène, vous jouez certaines compositions personnelles. Comment vous y prenez-vous pour composer des morceaux? Est-ce que la harpe impose des contraintes particulières?
R.M.: Je ne sais pas comment expliquer, en fait la harpe est un instrument que personne n’a eu envie de comprendre… et il y a très peu de compositions classiques et de compositeurs harpistes qui sonnent vraiment bien. Nous, on est parti des standards de jazz et c’était la recherche pour savoir comment faire. Normalement on me disait : c’est pas possible, tu ne pourras pas le faire. Alors évidemment, on ne peut pas jouer comme une guitare ou comme un piano, mais c’est ça la richesse qui fait qu’on peut faire certaines choses que les autres ne peuvent pas faire, par certains aspects, on peut compenser.
C.L.D.: Personnellement pour la composition qu’on a jouer sur scène et même d’autres, je compose beaucoup à la guitare et donc ça se marie généralement très bien lorsqu’elle le reprend à la harpe, puisque c’est entre la guitare et un autre instrument à corde…
R.M.: En fait on ne se limite pas en se disant : ok c’est une harpe donc il faut qu’on fasse comme ça. D’abord on compose des musiques qui nous plaisent ou à retravailler, puis une fois qu’on les aime on les met en place avec la harpe et ça doit marcher!
F.L.: Nous n’avons jamais eu aucunes contraintes techniques… elle (Milevska) est plutôt du genre à se mettre des battons dans les roues toute seule et à se dire, voilà ça ne fonctionne pas, mais revenez demain… (rires)
L.ch : En parlant de composition, vous faites également des reprises de chansons traditionnelles bulgares ou de chansons plus contemporaines. Est-ce qu’à long terme vous aimeriez faire un album avec uniquement des compositions personnelles?
R.M.: On part toujours du principe de savoir si c’est possible de jouer certains morceaux à la harpe et à chaque fois c’est un défi comme on l’a dit. Après, on se fait plaisir sur scène justement parce qu’on choisit des morceaux qu’on aime bien. On est quand même trois fortes personnalités alors, on sait que certaines chansons sont juste super, mais ça nous intéresse de les reprendre à notre façon. Après ce qui est intéressant c’est que Cédric, le batteur, dans son berceau il écoutait déjà de la musique brésilienne et on dirait que c’est inné chez lui. Fred apporte complètement autre chose et moi, je suis bulgare, mais je vis en France alors on ne peut pas renier tout ça. Alors on essaye de faire un bon mélange… enfin on espère que c’est un bon mélange… (rires)
F.L.: Par exemple, sur une des reprises que nous avons faite tout à l’heure, on a essayé d’amener des rythmes très modernes de jazz-rock et puis derrière, on passe sur une rythmique typique de la danse bulgare et qui n’a rien à voir avec le morceau d’origine…
C.L.D.: Au début on a eu du mal à comprendre tout ça, on a passé beaucoup de temps sur ce morceau, mais c’est un travail d’équipe… on s’enregistre, on réécoute et on retravaille…
L.ch : Vous avez récemment remporté les prix du public et prix du soliste au Tremplin Jazz de Porquerolles, puis vous vous êtes présenté à l’Auvernier Jazz Contest, pourquoi vous êtes-vous présenté à ce concours? Est-ce que vous connaissiez le festival avant d’y venir?
R.M.: Alors là c’est drôle, parce qu’on ne peut même pas vous donner de réponse… (rires) en fait on est un groupe et pour pouvoir se faire connaître, soit il faut avoir un agent ou une maison de disque, mais nous n’avons pas tout ça, on est livré à nous-même. Alors pour se faire connaître, il faut faire les tremplins de jazz. On s’est lancé dans ça et on a envoyé des dossiers pour être sélectionnés. Donc voilà, au début de l’année, on a envoyé, envoyé, envoyé, et à un moment je ne suivais plus. Un jour, mon mari me dit : «ah ben j’ai envoyé encore un dossier» et nous on a oublié. Ensuite j’ai reçu un e-mail : «on a le plaisir de vous annoncer…» et moi je cherchais la faute… (rires) et je relis une fois, deux fois, trois fois… alors sans commentaire je transmets le mail à mon mari et aux deux garçons et ils ont commencé à tous appeler! Alors c’était la surprise…
L.ch : Finalement, est-ce que vous avez eu du plaisir à jouer dans le cadre de l’Auvernier Jazz Festival, face au public suisse, qu’en avez-vous pensé?
F.L.: Oui, de jouer dans ces conditions c’est vraiment parfait. À chaque fois qu’on va jouer dans un autre pays, on a joué à Barcelone ou ailleurs, on se dit : «ils sont vraiment gentils ces gens…» et en fait on se rend compte que c’est chez nous qu’ils ne sont pas super sympas… (rires)
Merci aux trois membres du Milevska Trio pour leur bonne humeur et leur sympathie!
Propos recueillis par Alexandre Steudler
Photos : Alexandre Steudler ©
Pour plus d’infos :
Auvernier Jazz Festival : http://www.auvernierjazz.ch/
Milevska Trio : http://www.myspace.com/milevskatrio