Dionysiaque débauche :

Neuchâtel une fois l’an tonne au nom de la vigne

Encore une année de plus au compteur des adeptes des fêtes à prétexte. Pendant que les enfants jouent sur les carrousels, les grands titubent dans les rues étroites et déformées de la cité médiévale à la recherche d’on ne sait quoi.

La fête des vendanges, comme son nom l’indique, est la fête qui correspond à la période de récolte du raisin, tout le monde s’accordera à le reconnaître. Auparavant, ce genre d’évènement correspondait au ban des vendanges c’est-à-dire la date autorisant le début de la récolte. Mais aujourd’hui, qu’en est il de ces fameux raisins ? Quelqu’un sait-il où le vin a-t-il bien pu passer ? On est en droit de se le demander.

Vendredi 22 septembre, forains, taverniers, aubergistes et troubadours s’affairent. Un univers est à créer : à en croire la coutume, le lieu du culte des adorateurs de vignes doit prendre forme avant la tombée de la nuit. Cela dit, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, ce ne sont pas ces beaux vieux tonneaux de vinasse que l’on fait rouler jusqu’aux échoppes, mais de gros fûts métalliques que l’on raccorde à une pompe. Des enseignes se hissent au dessus des baraques : Heineken, Cardinal, Smirnoff ou J&B. Les gens qui préparent le lieu de l’orgie ne parlent ni château ni cépage, l’ambiance semble être à l’organisation efficace. Ce soir, des milliers de païens ont rendez-vous ici même pour fêter les joies du dieu errant.

Au programme de ce joyeux rassemblement local, cortège des enfants, parade des fanfares et corso fleuri. De belles et saines activités en perspectives! Seulement voilà, la nuit tombée, cet énorme bazar aux mille loupiottes prend une tout autre allure. Le sacre de la boisson des dieux peut commencer. Les enfants à présent couchés, plus de temps à perdre. Dans les rues de la ville habituellement paisible, l’atmosphère est au bruit et à la cohue. On a l’impression que chaque coin d’espace concourt l’autre pour celui qui fera vibrer la terre avec le plus de robustesse. Entre les célébrations de Claude François et du Death Métal, on se bouscule pour trouver la mélodie de ses rêves. Le vin brunâtre de la région d’Heineken coule à flot. Ce soir, les fonctionnaires de jour sont les chamanes de la nuit. On peut se déhancher à sa guise, on peut rigoler, on peut danser, on peut aspirer à rencontrer la personne de son choix, sans gêne ni tracas. C’est la fête du vin, c’est la fête des vendanges. Pendant trois jours, Neuchâtel sera méconnaissable, les habitués le savent bien. On fête le vin sans le boire, qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse. Peu importe ce que l’on boira, peu importe pourquoi on est là. On marquera le temps, une année de plus et cela fait plus de cent ans que cela dure.

« La Fête des vendanges ». Voilà une fête dont le nom ressemble étrangement à ces racines grecques ou latines que l’on étudie sur les bancs de l’école. Un nom tel un vestige du passé dont la trace est avant tout la marque des cultures en permanente évolution. Si la boisson des dieux n’est peut-être plus aujourd’hui la raison même de cette extraordinaire agrégation de débauches, le vin reste pourtant le métronome de l’évènement. Car « Il faut toujours semer derrière soi un prétexte pour revenir, quand on part. ». (A. Baricco, « Océan mer »)
Nicolas Hanssens

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