En s’offrant la Coupe du Monde le 9 juillet dernier, l’Italie s’est garantie un été prometteur: fêtes, danses, chants jusqu’au bout de la nuit et des vacances. Du moins est-ce ce à quoi l’on peut s’attendre après avoir été témoins des célébrations françaises de 1998. Les italiens mettent-ils la même vigueur dans l’après Coupe du Monde? Petit compte rendu depuis Rome et Soverato, station balnéaire calabraise.
Deborah Sohlbank
Arrivée à Rome le lundi 17 juillet. La chaleur est écrasante. Déjà la ville commence à se dépeupler pour migrer vers le Sud. Près de la gare, San Lorenzo, quartier estudiantin et populaire à deux pas de « La Sapienza », l’université principale de Rome. Ici, la vie y est encore extrêmement agitée, les examens ne se terminant que fin juillet. Ainsi, si le quartier semble quasi inhabité de jour, le climat étant à la limite du supportable, il se remplit la nuit de milliers de jeunes profitant de ce répit qu’offre la presque fraîcheur nocturne. De nombreuses places et terrasses permettent les rencontres. La situation semble idéale pour se rappeler l’exploit accompli par l’équipe nationale une semaine auparavant. Pas d’emballement pourtant, rien de particulier à signaler. Je ne vois personne vêtu du maillot de l’Italie. Les sujets de conversations varient, mais pas d’emballement particulier lié à la victoire. Pas d’hymne équivalent au « On est les Champions » tant de fois entendu, pour ne pas dire subi. De même que les rues ne sont pas envahies de drapeaux italiens. Seules quelques fenêtres en sont encore parées, sans artifice particulier. Les romains racontent qu’ils ont fêté deux jours sans s’arrêter une seconde. Ensuite, pas besoin de prolongations. « L’estate romana » se charge du reste: cinémas gratuits ou presque en plein air dans toute la ville, festivals, bars, et tout un tas d’animations qui, cinquante après son âge d’or, donnent un sens à l’expression « dolce vita ». Avec ou sans victoire à la Coupe du Monde.
Basta. Malgré le charme des nuits romaines, le besoin de sel marin mélangé au sable, incrustés à la peau et dans les cheveux est devenu indispensable. Soverato est située sur la côte de la mer Ionienne en Calabre qui elle se trouve entre la plante du pied et les orteils de la botte. Comme toute station balnéaire digne de ce nom, les journées s’articulent en trois moments clefs (sans parler des repas): la vie y est particulièrement active quelques heures la matinée (forte représentation de familles nombreuses et leur matériel de plage multicolore), en fin d’après-midi (les familles sont toujours là, plus les jeunes qui se sont réveillés quelques heures auparavant: ils flânent sur la plage, la moitié du visage occupé par des lunettes de soleil magistrales) et la nuit (les familles ont disparu) où les locaux rivalisent de branchitude, de hits estivaux et où la promenade le long de la mer est une invitation à la parade et à la contemplation. « Il lungomare » est propice aux rencontres et retrouvailles pour les calabrais dispersés dans le pays ou à l’étranger toute l’année, de retour sur leur terre pour quelques semaines de détente. On se raconte ce que l’on devient, se demande des nouvelles de la famille et des amis, s’extasie de la pureté de la mer et commente les nouveautés locales et régionales. La victoire du Championnat fait partie des discussions. Les gens parlent de la finale, de Zidane, mais affirment tous que le plus beau match a été celui emporté contre l’Allemagne. Les italiens quelque peu rancuniers et susceptibles (les titres de la presse allemande n’ont guère été appréciés) savourent doublement cette victoire qui les a menés au triomphe. Mais comme à Rome, les rues ne sont pas envahies par les drapeaux et à part quelques rares enfants, les gens ne se balladent pas en maillot « azzurro ». Seuls quelques jeunes en scooters portent des casques tricolores. Les discothèques ne diffusent pas de chansons à la gloire des joueurs et du nouveau statut footballistique du pays. Cette absence de célébrations que j’imaginais omniprésentes et incessantes m’étonne. Ayant vu comment les français portaient leur équipe aux nues, peut-être m’attendais-je à ce que tous les pays réagissent de la même manière?
Mais si la Coupe du Monde n’est pas au centre de l’attention commune et des conversations, les débats autour du football n’en sont pas moins passionnés. Car l’Italie vit en ce moment ce que la presse se plaît à nommer le « paradoxe du calcio »: parallèlement à la finale victorieuse, un scandale où se confondent corruption d’arbitres, intimidation des joueurs, paris illégaux et falsification des ralentis à l’écran touche les équipes les plus fameuses du pays. Cette actualité est systématiquement évoquée, racontée, analysée. Les calabrais qui se retrouvent l’été résident le reste du temps principalement entre Rome et le nord du pays. Ainsi, ce sont des « tifosi » de nombreux clubs différents concernés ou non par le scandale qui se confrontent, se chahutent et palabrent à l’infini sur les événements. La ferveur recherchée mais jamais vraiment trouvée l’évocation de la victoire du Mondial se trouve dans cet épisode de l’histoire du football italien. Pourquoi les tifosi évoquent-ils plus volontiers des faits pas très glorieux salissant la réputation et la crédibilité du football italien plutôt que de magnifier les prouesses de l’équipe nationale? Comment se fait-il que la Coupe du Monde laisse si peu de traces moins d’un mois après sa clôture?
Deux explications peuvent être suggérées. Tout d’abord, les italiens ne semblent pas avoir un sentiment très fort lié à l’idée de Nation. Ceci ne signifie pas pour autant qu’ils ne sont pas attachés à leur terre, au contraire. Justement, être attaché à sa terre signifie se sentir lié à l’endroit d’où l’on vient. Combien de fois ai-je entendu des italiens m’expliquer: » En Italie, je me sens napolitain (ou sicilien, vénitien, romain,..), je me sens italien à l’étranger. » L’identité locale est solide: chaque lieux a son dialecte, les spécialités culinaires se démarquent clairement les une des autres, les particularités tant culturelles que géographiques sont bien plus valorisées que des caractéristiques liées à l’Italie en tant que Nation. Ceci est-il dû à la tardive unification de l’Italie? Ainsi l’attachement à un club de foot local côtoyé sans cesse et à travers lesquels peuvent s’exprimer les rivalités interrégionales est-il particulièrement fort. Si celui est touché, ceci engendre de nombreuses agitations que l’on peut lier à la deuxième explication: les italiens, ils me le disent eux-mêmes, sont d’un caractère ironique, chicaneur et plaisantin. De plus, ils aiment la conversation quand elle est dotée d’un ton dialectique. Quel plaisir donc en tant que supporter de la Roma de retrouver un « juventino », de le malmener, de le voir se débattre dans des veines justifications et se lancer avec lui dans un débat au ton chamailleur qui pourrait ne jamais prendre fin! Ces discordes piquantes semblent bien plus attirantes et stimulantes que de constater et se satisfaire d’une victoire commune!
D.S.