Squats artistiques: les nouveaux musées?

Le début des années 80 marque une période de nouvelles expériences de rapport à l’art dans des espaces inédits. En effet, le paysage culturel occidental et en particulier européen s’est modifié avec l’arrivée des squats dans des villes comme Copenhague, Berlin, Amsterdam ou encore Paris. « Squat » est un terme anglophone qui signifie littéralement « s’accroupir ». Le squat est donc non seulement une action (squatter*1*), mais également par extension, le nom que l’on donne à l’endroit où se manifeste cette action. De manière générale, le squat, c’est le fait de s’installer illégalement dans un lieu inoccupé.

Un squat peut héberger une seule personne, mais aussi plusieurs dizaines ; ainsi ce lieu peut être un appartement ou alors, plus souvent, une friche industrielle. Il y a différents types de squats : le squat politique d’habitation qui ne nous intéresse pas directement ici, et le squat d’artistes (ou squarts)  sur lequel se portera mon intérêt dans cet article. Il faut préciser qu’un squat d’artistes peut tout de même être né d’une action politique. 
Pour un artiste, le fait de résider illégalement*2*  dans un squat permet de trouver un endroit où créer en utilisant un large espace, sans frais et bien souvent fréquenter par des visiteurs. Anisi, nous mettons ici le doigt sur ce qui a motivé la rédaction de cet article : un squat d’artiste qui s’ouvre au public, exposant ainsi certains objets, devient ou tout au moins moins ressemble, en de nombreux points communs, à une institution muséale. Cependant certains autres éléments poussent à affirmer le contraire. Quelle place occupent donc les squats d’artistes dans le paysage culturel occidental ? Ces nouveaux lieux d’exposition sont-ils automatiquement les nouveaux lieux de la muséologie ? Qu’est-ce qu’un squat d’artistes ouvert au public a comme relation avec le milieu muséal ? Quelles formes d’art y trouve-t-on? Qu’est-ce qu’on y préserve ? Etc.
Mon article n’a pas la prétention de donner une réponse à la question de savoir si un squat d’artistes peut être considérer comme une forme muséale ou pas ; l’objectif ici est de faire le tour du sujet de manière générale, en vérifiant l’état de la littérature et en mettant ainsi en lumière des éléments constitutifs de cette expérience de rapport à l’art et à l’exposition que constituent les squats. Somme toute, nous analyserons ici le fait de vivre, créer et exposer, dans le même lieu.

Un art engagé :
Lorsque l’on parle des squats artistiques on entend souvent les termes d’art engagé et alternatif contre la société de consommation. En fait, ce n’est pas uniquement l’œuvre d’art elle-même qui représente une critique active de la société de consommation, mais c’est toute l’action de squatter qui incarne cet engagement de protestation : c’est-à-dire le fait d’investir un lieu illégalement, d’y vivre, d’y créer et d’y exposer diverse formes d’œuvres d’art. Ainsi on peu envisager l’action en trois temps principaux. :
Premièrement, les collectifs d’artistes critiquent le manque de lieux de création et de diffusion des pratiques culturelles. Par exemple, pour les arts plastiques on dénombrait en l’an 2000 : 1600 ateliers à Paris, dont 400 financés par l’Etat, et 1200 appartenant à la ville de Paris*3* . Ceci entraîne le fait que les ateliers d’artistes de la capitale deviennent un luxe que peu de jeunes platsticiens peuvent s’offrir. Ainsi, l’occupation illégale des bâtiments manifeste un refus citoyen de la spécialisation des centres-villes autour de leurs fonctions commerciales et de services. En effets, les centres-ville ont une forte tendance à déporter l’activité artistique vers les franges urbaines ou dans les faubourgs.
Deuxièmement, on dénote bien souvent que les oeuvres qui voient le jour dans de nouveaux lieux culturels sont des objets qui matérialisent la critique de la société de consommation. Une œuvre est alors, en quelques sortes, le porte parole de la politique culturelle de l’artiste squatteur.
Troisièmement enfin, l’exposition des œuvres permettrait selon les squatteurs de faire mieux respirer la ville. En effet, métaphoriquement, l’œuvre percerait un trou d’aération dans la chape de plomb qui étouffe les centres-villes dans leurs activités de commerces et de services. Le partage des œuvres avec les visiteurs donneraient à ces derniers l’opportunité de respirer un air nouveau et plus pur que celui de leur quotidien. Ainsi, l’œuvre d’art exposée incarnerait un discours silencieux*4* .
Un squat pourrait alors avoir en tout cas un point commun avec un musée, à savoir être au service de la société et de son développement, en transmettant des messages d’éducation et de délectation. Les squats évitent le rapport marchand et offrent un contact alternatif entre le public et les artistes. Ce sont des lieux où les initiatives s’interrogent et nous interrogent sur les transformations sociales et économiques que connaît notre société, notamment en laissant d’immenses friches industrielles à la déséhrence et en les supposant inutiles ou obsolètes.

Vivre, créer et exposer dans le même lieu :
Les artistes qui créent dans un squat n’y vivent pas forcément. Certains ont donc un chez soi ailleurs. Toujours est-il que d’autres vivent dans le squat. Certains ont de vraies chambres et d’autres de simples matelas posé dans un coin d’atelier. Pourtant les conventions qui s’appliquent aux squats artistiques par les municipalités disent souvent que le bâtiment ne doit pas être un lieu d’habitation. Mais les squatteurs arrivent à se défaire de ces fragiles conventions*5*  puisque le squat est un phénomène mouvant et éphémère : des artistes quittent les lieux et d’autres arrivent. Les pouvoirs publics sont alors complètement perturbés car ils ont besoins d’interlocuteurs stables pour s’assurer une continuité dans les engagements pris. Ainsi, les squatteurs continuent à habiter le squat.  Parfois ceux-ci s’affichent derrière une image romantique ou branchée, mais ils connaissent des conditions de vie précaires. En effet, ils doivent souvent faire face à des contraintes et des difficultés matérielles : vivre sans eau, électricité et chauffage. Ils doivent aussi apprendre à vivre en groupe. En sus ils subissent généralement une répression importante, suivie souvent d’expulsions.
En ce qui concerne leurs créations, elles émanent généralement de pratiques telles que la photographie, la peinture et la sculputre. Mais on trouve de plus en plus souvent des œuvres d’une tout autre nature, notamment des créations multimédias, des spectacles de danse, des pièces de théâtre ou encore des concerts de musique. Mais revenons sur ce qui nous intéresse davantage pour cet article, notamment avec l’étude du mode d’exposition d’un squat. L’exposition est-elle travaillée de la même manière que dans un musée ? …
T.B.

Pour connaître la réponse rendez-vous à l’édition du mois de juillet.
*1*Le squat d’artiste est parfois appelé «squarts» : mot né de la contraction de squat et artiste (ou arts).
*2*L’illégalité des squats d’artistes doit gentiment être relativisée. En effet, quelques squats artistiques connaissent une reconnaissance institutionnelle depuis 2002. Cette reconnaissance s’est fait au travers de festivals qui leurs sont destinés (ex : le festival Arts et Squats)
*3*Citation issue de : La Politique en faveur des arts plastiques, présentée par Catherine Trautmann, ministre de la Culture et de la Communication, le jeudi 10 février 2000.
*4*Bien souvent un discours de protestation.
*5*Le moteur principal de la création de ses conventions est la nécessité de faire travailler les artistes dans de bonnes conditions de sécurité et de légalité.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *