Cédric Gentil, un explorateur en action

Exploraction, vous connaissez? Cette société de production chaux-de-fonnière  créée par les frères Cédric (34 ans) et Yanick (31 ans) Gentil est partie de quasiment rien. Ce qui ne l’empêche pourtant pas de gentiment se faire un nom dans le milieu du documentaire audiovisuel. Rencontre entre deux voyages avec l’aîné, à l’occasion de la sortie de leur dernier documentaire « Papua-Barat ».

Photo: Equipe entière, de gauche à droite, Cédric Gentil, Yanick Gentil, Mellie Fancon, David Lipka

Thomas Nussbaum: Peux-tu nous présenter la société Exploraction?
Cédric Gentil: Exploraction Productions s’occupe de tout ce qui touche au tournage vidéo, que ce soit des reportages, des documentaires ou de la publicité. L’achat de matériel, l’organisation d’un tournage et la logistique sont également assurés par une société de production comme la nôtre.

Comment est né Exploraction?
Yanick et moi avons énormément voyagé depuis nos 18 ans. Nous avons aussi travaillé dans le tourisme en étant capitaine de voilier, pilote d’avion ou guide, pour des petits groupes qui étaient prêts à mettre un peu plus d’argent pour voir autre chose que les endroits touristiques. Nous avons appris à évoluer dans tous ces pays, dans toutes ces cultures. On avait toujours sur nous une petite caméra: c’est moi qui filmait et Yanick qui faisait les conneries (sic!). Puis, vers 26 ans, on s’est dit qu’il faudrait mettre à profit tout ce qu’on a appris, poussés par la famille et les amis qui trouvaient nos films intéressants mais qui voulaient en savoir plus sur ces pays. Donc on s’est lancé: on a acheté une première caméra et un micro plus « professionnels », Yanick s’est occupé de la technique et moi de la logistique, c’était ce qui nous plaisait le mieux à chacun.

Où avez-vous tourné votre premier « vrai » reportage?
On est parti en Amérique centrale avec notre petit matériel. L’expédition nous a coûté 40’000 francs suisses. Nous avons réalisé des petits reportages en s’inspirant des émission qui nous touchaient, comme Ushuaïa Nature, les reportages de Cousteau, l’émission australienne The Crocodile Hunter, etc.

Mais le travail ne s’arrête pas au simple fait de filmer… Que s’est-il passé ensuite?
On a eu la chance de pouvoir former une équipe de post-production dès notre retour en Suisse, avec laquelle nous nous sommes occupés du montage, de la musique, du son, etc. On a fait ça du mieux qu’on pouvait, mais finalement ça reste un documentaire de débutant.

Vous n’avez donc rien pu en faire?
Nous avons montré ce documentaire à la TSR et à divers professionnels du milieu, qui nous ont dit qu’ils ne pouvaient pas programmer ce documentaire-là. Mais ils nous ont encouragé à continuer, à partir avec du meilleur matériel pour faire quelque chose de plus « professionnel ». Et de fil en aiguille, nous avons finalement réussi à vendre nos trois reportages suivants à la TSR: Latitude Malgache (réd.: sur Madagascar), Ushaka, territoire du Grand Blanc (sur le grand requin blanc en Afrique du Sud), et Papua-Barat (réd.: sur la Papouasie Nouvelle-Guinée).

Avec toujours un but de montrer des pays, des cultures et des environnements autrement que ce qu’on en voit partout?
Bien sûr! A moins que l’on se fasse engager par d’autres émissions… Mais il est clair que pour nos projets,  on va toujours tenter de partir vers l’original et le nouveau. On profite alors de nos voyages passés et de nos découvertes. Pour l’anecdote, on a même eu la chance de découvrir des choses que des scientifiques n’avaient pas encore mis à jour! Même si ça peut paraître prétentieux, on estime que si, après nos nombreuses années de voyage, on arrive quelque part et que l’endroit nous touche, il y aura forcément quelque chose de spécial. Donc ça touchera d’autant plus le public. On fonctionne à l’émotion, à ce qui nous plaît. C’est peut-être égoïste mais nos reportages se font comme cela.

Comment faites-vous alors pour vendre vos projets égoïstement et prétentieusement pensés?
C’est un travail de patience. Il faut d’abord commencer par se mettre en place comme produit sur le marché du vidéo-documentaire. Notre première expédition en Amérique centrale a servi d’apprentissage et de point d’ancrage dans le milieu. On a d’abord visé le marché suisse. La TSR a commencé par acheter notre projet sur Madagascar. Puis elle a fait un  pré-achat du documentaire sur le requin blanc, en disant qu’elle nous l’achetait sans le payer immédiatement. Finalement, avec notre dernier projet en Papouasie, on a eu droit à une coproduction avec la TSR, qui nous a donné de l’argent avant que l’on parte pour pouvoir financer notre expédition. On commence gentiment à se faire connaître par les grands noms du milieu comme Luc Jacquet (réd.: réalisateur de La Marche de l’Empereur, du Renard et l’Enfant), Laurent Ballesta (biologiste marin de Nicolas Hulot), etc. Des chaînes comme Arte ou Planète nous demandent aussi de participer à certains projets. On a gravi les échelons petit à petit. C’est un travail de longue haleine et de confiance. Accompagné d’un petit peu de chance pour trouver les bonnes personnes au bon moment et réussir à s’entendre avec…!

On peut donc parler d’un certain succès…
Bon, je pense plutôt qu’aujourd’hui on a plutôt un certain succès local grâce aux conférences que l’on donne pour des écoles, des assurances, des banques ou des entreprises. On fait passer un bon moment aux gens. On arrive à capter l’attention des gens en étant nous même, en disant ce que les gens ont envie d’apprendre et de découvrir au travers de nos reportages. Je suis plutôt content de la possibilité qui nous est maintenant offerte de faire d’autres boulots avec d’autres personnes. On reste peut-être écrasé par ce complexe du « petit Suisse »…

Pourquoi? Est-ce difficile d’exercer ce métier en étant suisse?
Oui et non. Même s’il y a en Suisse beaucoup d’argent et la possibilité de faire divers petit boulots (réd.: Cédric travaille par exemple comme couvreur lorsqu’il n’est pas en expédition), même si la TSR est un formidable tremplin, il est difficile d’aller plus loin. On pourrait s’enfermer dans la bulle suisse, devenir faux-cul (sic!) pour gravir les échelons de la TSR et ensuite rester solidement accrocher à  sa place en écrasant les « petits ». Mais on n‘a pas envie de prendre racine. Donc on est maintenant en train d’essayer d’ouvrir les portes de la francophonie. A ce niveau là, ce n’est plus un handicap mais plutôt un avantage d’être suisse car on bénéficie de la bonne image du pays hors des frontières. Il ne faut simplement pas espérer faire une carrière européenne en restant en Suisse. Il faut aller à Paris, à Barcelone.

Les budgets alloués en Suisse sont-ils insuffisants pour réaliser ce type de documentaires?
Il faut aussi garder les pieds sur terre: Yanick et moi avons gravi les échelons progressivement, en commençant avec une petite caméra pour arriver à  300’000 francs de budget pour Papua-Barat. Et puis on aime aussi ce côté « à la dur », ça nous oblige à aller au fond des choses. C’est clair que des émissions comme Ushuaïa tournent avec un million d’euros, mais il y a cinquante personnes qui travaillent là-derrière! Pour des « petits Suisses », on dépense déjà beaucoup d’argent, on a la chance de travailler avec des professionnels et des gens qui ont de l’expérience. Mais on n’a pas le choix: on est obligé à notre niveau de travailler avec des budgets comme ceux-là. Je serais plus inquiet si ce que l’on fait viendrait à ne plus plaire.

A la fin de la première publique de Papua-Barat, certaines personnes disaient justement que vos reportages de 26 minutes étaient trop superficiels. Comment le prends-tu?
C’est un choix que nous avons fait! On a commencé par faire des reportages de 13 minutes, puis on est monté à 26 minutes dès Ushaka, territoire du Grand Blanc. Il faut aussi se rendre compte que pour réaliser un reportage, il faut un scénario, une trame, etc. On n’était pas capable de faire des reportages intéressants qui durent plus longtemps que cela. Démarrer directement avec un reportage de 52 minutes, c’est péter plus haut que son cul (sic!). C’est extrêmement compliqué de tenir les gens pendant 52 minutes: ce n’est pas un reportage de 26 minutes que l’on rallonge, il faut du contenu! Il faut du rythme, des rebondissements. On préfère réaliser un reportage de 26 minutes de qualité, où il n’est pas possible d’aller intégralement au fond des choses, plutôt que de faire 52 mauvaises minutes. On prend un angle que l’on essaie d’approfondir au maximum.

Quels sont les futurs projets d’Exploraction?
On a toujours travaillé à l’envers: la logique veut que tu fasses d’abord un projet que tu envoies à diverses chaînes et groupes de soutien qui décident alors de te financer. Nous n’avons jamais fonctionné comme cela, notamment parce que l’on n’est pas des professionnels à la base, parce que ça n’aurait à mon avis pas fonctionné. Mais nous n’avons plus envie de financer nos projets majoritairement grâce aux petits boulots. On ne va plus repartir dans des projets risqués financièrement. Pour gagner en crédit et s’améliorer, on doit travailler pour les autres, sur le plus de projets possible. Les prochaines échéances sont un reportage sur les lions au Kenya, une plongée en Afrique du Sud sur une nouvelle espèce de poissons, un film promotionnel pour une marque horlogère suisse ainsi qu’un espoir de travailler dans un Ushuaïa. On veut se décomplexer, travailler dans l’ombre avec de grands réalisateurs pour gagner en crédit et envisager de monter un gros projet 100% Exploraction. Mais il faut déjà rembourser les dettes contractées pour tourner Papua-Barat…! Tout en essayant de sortir nos derniers documentaires hors de Suisse.
Thomas Nussbaum

Pour plus d’informations:www.exploraction.ch

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