C’est à la fin d’une dizaine de jours au temps mitigé que le 60e festival international du film de Locarno a accouché de son vainqueur.
A la surprise générale, le jury a couronné le film « Ay No Yokan » (Pressentiment d’amour) du réalisateur japonais Masahiro Kobayashi qui a donc remporté le léopard d’or. Par ce choix courageux, le jury se démarque du cinéma traditionnel pour couronner un film d’auteur exigeant et complexe.
Présenté le 7 août, Ay No Yokan est introduit par son réalisateur comme « un film qui plonge au centre de l’humain, où l’image est plus importante que les dialogues ». Lors de la première, l’auteur, bien au fait de la difficulté d’accessibilité de son film, provoqua l’hilarité générale quand il déclara que ceux qui avaient fait bombance la veille pouvait dormir mais qu’il était du devoir de leurs voisins de les réveiller !
Kobayashi propose un film axé sur la répétition et la solitude. Il suit le destin d’un homme et d’une femme dont la fille du premier a été tuée par celle de la deuxième. Ayant refusé le pardon demandé par la mère de la meurtrière, l’homme, veuf, abandonne son métier en ville pour partir dans une petite ville de campagne et y travailler dans une usine. Chaque jour, le même rituel se produit. Il part au travail, rentre, va manger à l’auberge puis dormir. Pourtant dans cette même auberge travaille la mère de la meurtrière qui, elle aussi, vit chaque jour une répétition de la journée précédente. Bien que les deux se soient reconnus, ils ne se regardent et ne se parlent même pas. Pourtant jour après jour, répétition après répétition, le destin fait qu’ils s’ouvrent de plus en plus et finalement décide de communiquer jusqu’à développer un pardon et ce « pressentiment amoureux ».
Le film joue sur la répétition à outrance et la succession de plans identiques, ceci provoquant chez le spectateur une même routine que les personnages. Par ce procédé quelque peu désarçonnant, l’auteur force le public à souhaiter que les personnages brisent enfin leur rituel afin d’extérioriser leurs sentiments enfouis. Là où Kobayashi filme ce qui devrait être du cinéma, il en ressort que son histoire dépeint la vie telle qu’elle est, avec son lot de répétitions et de souffrances dissimulées. À l’inverse du cinéma nippon épileptique, l’auteur revient à ce qu’il nomme « les sources du cinéma». C’est-à-dire, le cinéma des images, le cinéma muet (plus d’une heure et demie sans dialogues).
Le prix récompense donc un film assez ingrat pour le spectateur à la première vision, mais qui prend tout son sens à sa conclusion. Et en lieu et place, d’un film célébrant l’indigeste mode futile du cinéma d’auteur ennuyeux incompréhensible aux non-initiés, on sort de la salle obscure avec l’intime sentiment d’un film extrêmement fort touchant nos fêlures profondes. Et à cet instant on se dit que l’humain prend sa valeur par le fait de briser son amour-propre en ouvrant son coeur.
Jan Haesler