La folie a de tout temps été un sujet abordé en littérature. Depuis l’Antiquité, puis au fil des siècles, ce thème a en effet été traité de diverses manières.
Sonia Bernauer
L’Institut de langue française de l’Université de Neuchâtel propose ce semestre un cours de littérature intitulé « Ecrire la folie », enseigné par N. Vuillemin. En effet, le sujet est loin d’être dépourvu d’intérêt puisque dans l’Antiquité déjà, des textes, notamment mythologiques, traitaient de troubles que l’on peut associer à la folie. La folie d’Héraclès qui le pousse à tuer sa femme et ses enfants, de même que celle de Médée, d’Œdipe ou de Pasiphaé, pour ne citer que les plus célèbres, en sont des exemples. On peut remarquer que ces actes « fous » sont la plupart du temps provoqués par une situation extrême dans laquelle le personnage est retranché et qu’un motif particulier le pousse à agir de la sorte.
Selon les époques, la folie est considérée de manières diverses. Dès le XVIIe, on y rattache la notion de danger mais c’est seulement au XVIIIe que celle-ci est considérée comme une maladie. Avant cela, les personnes atteintes de démence étaient en effet traitées de la même manière que les repris de justice et mises en prison. Dès le XIXe s., on accorde des traitements médicaux aux patients présentant des symptômes de démence, les premiers asiles ayant vu le jour. Différents degrés sont distingués à l’intérieur même de la maladie, ce qui permet de prodiguer des soins plus efficaces. D’autre part, il est plus facile d’aborder le thème de la folie d’un point de vue artistique durant ce siècle, car celle-ci est associée à l’idée de génie. Un renversement important se produit donc dans la considération de ce trouble, qui autrefois était une réalité sociale que l’on essayait de masquer.
C’est la raison pour laquelle plusieurs auteurs se sont illustrés dans l’expression de la folie à travers l’écriture à cette époque. Certains étaient véritablement fous, d’autres provoquaient de manière volontaire par la prise de drogues un dérèglement de leurs sens, dans le but d’émettre une analyse de ce qu’ils ressentaient et de faire part de leurs impressions par écrit. Notamment deux auteurs s’illustrent dans ce domaine au XIXe s. Il s’agit de Gérard de Nerval et de Guy de Maupassant.
Gérard de Nerval était lui-même atteint de troubles mentaux. Son état lui aurait permis d’accéder à la source même de la poésie, d’atteindre une dimension nouvelle, un monde invisible qui se détache de la réalité. Cette notion apparaît largement dans son texte « Aurélia », dans lequel il exprime de manière symbolique par une quête orphique, la descente aux Enfers de l’âme, de la folie. Le narrateur est en effet en quête d’une femme perdue, Aurélia, causant le dérèglement de son esprit qui se dédouble. Après un long cheminement, le narrateur retrouvera une forme d’unification de son esprit, ce qui le conduit à un état de guérison sur laquelle s’achève le récit mais qui n’est que relative, puisque Nerval connaîtra d’autres crises de démence par la suite.
Ce récit est particulièrement intéressant du fait qu’il présente habilement les aspects liés à l’écriture du texte « fou », au point de perdre le lecteur. L’hermétisme lié à une expérience non-partagée par ce dernier mais aussi l’abondance de discours qui s’emportent et le manque de repères spatio-temporels en sont représentatifs. Le manque d’indications dans l’alternance des passages dans lesquels le narrateur analyse de manière lucide son état, vit une crise de folie ou a conscience d’en vivre une rend également la lecture assez complexe. Cependant, l’intérêt principal repose justement sur ces expériences fascinantes que vit le narrateur, qui tente de les transmettre à travers de riches images, donnant finalement à la déraison un aspect séduisant regretté quelque peu une fois la guérison atteinte.
Le texte de Maupassant « Le Horla » exprime d’une manière un peu différente le sentiment de folie, bien que l’on retrouve, comme chez Nerval, un discours démantelé et pléthorique dans les moments qui relatent les crises. Le récit se présente sous la forme d’un journal intime dans lequel le narrateur fait part de ses angoisses. En effet, celui-ci ressent la présence d’un être invisible à ses côtés ayant un pouvoir grandissant sur lui et dont il cherche à se libérer. « Le Horla » offre deux niveaux de lectures possibles : un premier degré fantastique qui accepte la présence d’esprits ; un deuxième degré qui se rattache à l’idée que le narrateur est fou et est victime d’hallucinations qu’il tente d’expliquer de manière rationnelle sur la base de visions, d’expériences concrètes et d’une argumentation logique.
Ce type de texte présente une réflexion très enrichissante sur une réalité parfois peu considérée dans notre société et permet au lecteur de comprendre un peu mieux l’état de trouble dans lequel se trouve une personne atteinte de démence, ce qui constitue en soi une expérience fascinante.