La mise en place d’un espace uniforme européen de l’enseignement supérieur (déclaration de Bologne) a émergé dans un contexte de mondialisation de l’économie et des échanges. A l’heure actuelle, il pourrait nous sembler légitime de nous interroger quant à l’avenir des hautes écoles suisses dans un pareil climat. Ont-elles le profil international nécessaire pour affronter le nouveau cadre qui est en train de se dessiner ?
Nicolas Hanssens
Si nos écoles sont amenées à se « vendre » sur un marché international, quelles mesures ont été prises pour favoriser l’immigration estudiantine ? Ou plutôt, disons le franchement, la Suisse a-t-elle intérêt à attirer les étudiants du Monde, malgré les pressions ambiantes ? Un rapide état des lieux s’impose.
À entendre l’office fédéral de statistique , l’ouverture que nous connaissons actuellement au niveau des hautes écoles suisses sur l’étranger peut-être qualifiée de grande. Selon les données fournies par l’OCDE , la Suisse afficherait le deuxième taux d’admission le plus élevé d’étudiants étrangers, précédé de peu par l’Australie. Près d’un cinquième de nos étudiants n’auraient pas le passeport helvétique.
Cette nouvelle est plutôt réjouissante quant on sait que la proportion d’étudiants étrangers dans la population estudiantine est souvent considérée comme un indicateur de l’attrait des hautes écoles suisses. Cela dit, cette donnée est à nuancer car, en fait, plus d’un quart de ces étudiants étrangers sont déjà domiciliés en Suisse (bien avant leur inscription dans une haute école) et y ont déjà décroché leur certificat d’accès à l’enseignement supérieur. Il est également intéressant de souligner, pour notre vision d’ensemble, que presque trois quarts des étudiants qui arrivent de l’étranger viennent d’un pays d’Europe. La Suisse attire les étudiants. D’une part par sa situation géographique stratégique et d’autre part parce que les langues en usage sont traditionnellement fortement ancrées dans la vie scientifique européenne.
Mobilité spatiale donc, les données fournies par ces études statistiques sont claires. Mais qu’en est il de la mobilité sociale ? Comme nous le faisait remarquer Philipp Dubach de l’office fédéral de statistique, il n’y a à l’heure actuelle aucune étude, se basant sur des données fiables, qui porterait sur le statut socioéconomique des étudiants étrangers. Or, ce type d’informations nous serait nécessaire pour juger de la réelle hétérogénéité de nos hautes écoles.
Pierre Bourdieu, éminent sociologue engagé disait du système scolaire, de manière générale, qu’il «maintient l’ordre préexistant, c’est-à-dire l’écart entre les élèves dotés de quantités inégales de capital culturel. Plus précisément, par toute une série d’opérations de sélection, il sépare les détenteurs de capital culturel hérité de ceux qui en sont dépourvus. Les différences d’aptitude étant inséparables des différences scolaires selon le capital hérité, il tend à maintenir les différences sociales préexistantes. » Pour bien comprendre cette citation, soulignons que l’auteur associe sur de nombreux points, capital culturel et statut socioéconomique.
La transposition de cette vision à la question de l’accès aux hautes écoles suisses pour les étudiants étrangers pourrait être l’une des grilles de lecture pertinente, utile à la suite de notre questionnement.
Ce fameux pacte scolaire, la démocratisation de l’enseignement, qui a marqué la fin du siècle dernier, aurait hypothétiquement permis à quiconque le désirant, d’entreprendre des études. Mais tel que ce pacte s’est défini dans ces grandes valeurs humanistes, peut on vraiment dire qu’il soit d’application pour les étudiants étrangers ?
Pour nous éclairer sur le plan technique, Mme Krebs du service des étrangers de l’Etat de Neuchâtel nous explique la procédure administrative concernant l’admission d’un étudiant étranger. Les étudiants étrangers, démunis au préalable de tout permis de séjour, désirant s’inscrire dans une école suisse, sont obligés de fournir des garanties financières . Soit en fournissant la preuve qu’un compte (d’une valeur minimum de vingt mille francs…) a bien été placé dans une banque sur le territoire. Soit, autre possibilité, en justifiant que le salaire d’un des parents est largement suffisant pour entretenir celui-ci pendant son cursus (Le coût d’un étudiant est estimé selon eux à environ 1500 francs par mois). Ajoutons également qu’il ne sera pas permis à la personne d’avoir un petit job pendant les six premiers mois de son inscription. Pour les étudiants extra européens, d’autres contraintes leurs sont imposées, mais nous n’entrerons pas ici en matière. Mme Krebs, qui a, avant tout, une grande expérience sur le terrain nous affirme : « On a rarement de problème avec les garanties financières des étudiants européens, pour ainsi dire jamais. » Selon l’avis de cette responsable, la question des garanties permettrait avant tout d’éviter certaines formes d’abus et n’empêcherait pas les étudiants, réellement motivés, de réaliser leurs projets.
Ces mesures prises par le pouvoir politique ont dans une certaine optique, leurs raisons d’être dans le cadre de la politique actuelle en matière d’immigration. Mais seront-elles en accord avec les grands principes de Bologne concernant la mobilité des étudiants ? En conservant de telles mesures, est ce que TOUS les étudiants désireux de continuer leurs études à l’étranger auront accès aux hautes écoles suisses ?
Ce cheminement au travers de ces diverses réflexions nous ramène à une double approche. D’une part, d’un point de vue sociologique, la fameuse question de l’hétérogénéité. Nous savons désormais que les écoles suisses comportent une grande proportion d’étrangers. Certains pourront s’émerveiller d’une certaine richesse intellectuelle que peut apporter cet aspect pluriculturel. Mais la question de l’origine économique et sociale de l’étudiant entre en ligne de compte. Comme nous le savons, les données chiffrées manquent. Cependant les conditions techniques actuelles d’admission, comme nous avons pu le constater nous donnent un aperçu des contraintes appliquées. Nous pourrions également relancer la question, toujours dans cet angle de l’hétérogénéité, de l’intérêt possible pour les universités d’accroître l’ouverture de ses modes de représentation à partir du moment où les étrangers de milieux tous confondus y auraient une participation active. L’autre approche, plus économique, consiste à se demander s’il ne serait pas intéressant de laisser s’échanger les « cerveaux », de quelque milieu qu’ils soient, contenu de ce climat d’internationalisation des hautes écoles ?
Aux citoyens d’y réfléchir. Aux politiques de représenter leurs choix futurs. Mais ne perdons pas en vue l’importance, voir la nécessité de l’ouverture des hautes écoles sur le monde. L’ère des échanges et de la concurrence est en pleine expansion. Et les hautes écoles suisses n’y échapperont pas.