Licencié en sociologie à l’Université de Lausanne, chef de travaux au Centre International d’étude du sport (CIES) à l’Université de Neuchâtel et chargé de recherches à l’Institut de recherche sur l’environnement construit de l’EPFL, Christophe Jaccoud mène actuellement la première étude consacrée au phénomène du hooliganisme en Suisse. Inscrite dans le cadre d’un programme national de recherche, elle est dirigée conjointement par le Centre international d’étude du sport à Neuchâtel et l’Ecole d’études sociales et pédagogiques de Lausanne.
Interview par Zoé Decker
Peut-on parler de “hooliganisme“ en Suisse?
Oui tout à fait on peut parler de hooliganisme. Il existe des groupes de plus en plus constitués et de plus en plus tournés vers la violence.
Selon vous, existe-t-il un profil type du hooligan (âge, sexe, statut professionnel ou sociale)?
Nous savons que c’est une scène extrêmement volatile avec des groupes qui, dans certains cas, ne sont pas vraiment organisés mais dans d’autres le sont fortement. Ce qui est nouveau, c’est l’interprétation du phénomène du hooliganisme. Avant l’idée que la frustration engendrait l’agression dominait. Ceci s’explique par le fait que les hooligans étaient considérés comme des paumés, sortes d’exclus de la société. Aujourd’hui on ne peut plus dire cela, le hooliganisme touche également les classes sociales supérieures, avec des individus bourgeois et riches.
Quelle est l’origine de cette violence extrémiste ?
Cette violence naît en Angleterre dans les années 60. On peut parler de plusieurs périodes. Dans ces années émerge une autonomisation des cultures jeunes en Angleterre, avec l’apparition des skinheads et des punks. Ils investissent très vite les stades et comme ils fonctionnent sur des logiques de territoires et d’appartenance strictes, ils commencent à occuper les places les moins chères et s’affrontent. Petit à petit ils font du «suppportérisme» et du vandalisme une activité qui devient régulière et permanente.
Au milieu des années 70, les sociologues changent de référence et expliquent les choses d’une autre manière. Ils observent que Mme Thatcher détruit en 5 ou 6 ans l’infrastructure économique anglaise ce qui provoque un chômage considérable. Ces ouvriers anglais, qui ont une culture de la masculinité, de la dureté considérable, vont essayer de continuer à valoriser cette culture qui ne peut plus alors s’exercer dans le monde professionnel donc ils vont dans les stades et se battent. On appel cela le «supporterisme à l’anglaise ».
A la fin, dès les années 80, ce «supportérisme» anglais se scinde et donne lieu à un nouveau «supportérisme» dit italien, parce que né en Italie. Il est plus chic, plus “classe“ que l’anglais. L’idée est de montrer non seulement qu’on est fort et dangereux mais, également qu’on est bon. Ces gens sont le plus souvent proches de l’extrême droite.
En Suisse, cette violence sportive est arrivée très tardivement.
Pourquoi le “hooliganisme“ touche spécialement le football?
Plusieurs raisons expliquent la forte présence du hooliganisme dans le football. Tout d’abord, le football est une forme de langage universel, reçu de la même manière partout. Deuxièmement, je pense que c’est un sport qui mieux qu’un autre dramatise les identités. Il y a cette espèce de magie du football qui fabrique de l’adversaire par définition. Mais je crois surtout que le football a une médiatisation extraordinaire ! Le hooligan se caractérise par une rage de paraître, donc le match de football lui permet d’être vu, admiré. Ce qui se joue au stade n’est plus seulement la construction d’une identité collective, mais la quête individuelle de moyen d’exister aux yeux du monde en se donnant soit même en spectacle.
Observe-t-on une augmentation du «supportérisme» violent en Suisse ?
Oui, depuis les années 80 les choses sont allées de façon croissante. À la fin des années 90 a été créée en Suisse une institution qui s’appelle “La Centrale Suisse de hooliganisme“. Dès le moment où l’on crée une institution le problème peut être ciblé et pris en compte.
Que pensez-vous des mesures draconiennes anti-hooliganisme prise en Angleterre ? Devrait-on faire de même en Suisse ?
Non je ne pense pas car tout d’abord, les Anglais sont intervenu en augmentant le prix des billets, ce qui est pour le dire clairement un tri social. En Suisse, on ne pourrait pas faire de même, il n’y aurait pas assez de gens prêts à payer le double. La deuxième raison est que l’Angleterre et la Suisse sont très différentes sur le plan culturel et n’ont pas la même effervescence du football. Le marketing social et culturel du sport ne se présente pas de la même manière en Suisse qu’en Angleterre. On observe une réelle héroïsation du sportif anglais, le footballeur est surmédiatisé, alors qu’en Suisse c’est beaucoup moins le cas.
Z.D