La récente annonce du conseil administratif de la SRG SSR Idée Suisse de supprimer une septantaine de postes au sein de Swissinfo et Swisstxt s’ajoute à la longue liste des restructurations et licenciements collectifs qui touchent la Suisse. L’évolution de la conjoncture a significativement fait baisser les revenus publicitaires. Les conséquences pour les journalistes sont rudes, comme en témoigneraient certainement les rédacteurs de l’Hebdo, TV8, Edelweiss, Dimanche.ch, NZZ et Tagesanzeiger.
Régis Borruat, chargé d’enseignement à l’Institut de Journalisme et Communication à l’Université de Neuchâtel et titulaire du cours « Structure et Economie de la Presse et des Medias » nous a accordé une interview sur la précarité dans le journalisme en Suisse.
Propos recueillis par Steve Remesch
D’où viennent toutes ces restructurations sur le marché de la presse et des medias ?
Régis Borruat (R.B.) : La fin de l’âge d’or de la publicité, à la fin des années 1980 a conduit à une concentration des marchés et à une diminution des moyens publicitaires propres à chaque entreprise parce que le marché de la publicité n’est pas extensible à l’infini. La crise est d’autant plus grande depuis 2001 avec des pertes de plus de 15% du chiffre d’affaires publicitaire ce qui contraint les entreprises de presse à rationaliser. Sur le marché de l’audiovisuel, cette tendance est nouvelle. Jusqu’il y a quelques années le développement de la concurrence était encouragé, avec l’apparition de radios et télévisions locales et le lancement de nouveaux produits audiovisuels sur le marché. Depuis 2001 le secteur subit un processus inverse de rationalisation et de concentration des moyens.
Y existe-t-il vraiment une précarité dans le métier de journaliste en Suisse ?
R. B. : Je ne crois pas vraiment à une précarité financière, mais des risques existent dans la mesure où les éditeurs ne trouveront pas de compromis avec les syndicats. Mais je pense que les journalistes sont bien syndiqués et capables de se défendre correctement.
La précarité du statut du journaliste ?
Il est clair que le statut du journaliste peut être menacé par des exigences de plus en plus fortes de la part des éditeurs. Donc on peut parler de précarité par rapport à une indépendance de la profession vis-à-vis de contraintes commerciales et économiques. C’est certainement dans ce domaine que la profession connaît les plus grands dangers. Je dirais alors plutôt précarité de statut par rapport à une indépendance à revendiquer et toujours à défendre.
Comment voyez-vous le futur du journalisme en Suisse ?
R.B. : La concurrence entre journalistes est croissance constante. Il y a de plus en plus de candidats au métier, mais le nombre de postes n’augmente pas – au contraire. Cette évolution sera sans doute bénéfique au métier, car elle entraînera une augmentation de l’exigence de qualité. J’espère en tout cas que le journalisme va envers des critères de qualité et non envers de objectifs commerciaux ou marchands, bien que cette évolution a été constatée depuis plusieures années un peu partout dans le monde. En général, il faut dire que le journalisme est un secteur de plus en plus difficile à investir. Beaucoup de candidats pour peu d’élus, d’où la nécessité d’une formation de qualité.
Avec toutes ces restructurations et licenciements collectifs, le journalisme est-il toujours un métier à recommander ?
R.B. : Bien sûr, dans la mesure où celle ou celui qui veut se lancer dans la profession est passionné. Vous pouvez interroger d’anciens journalistes ou des journalistes actuels, tous vont vous parler de la passion du métier. C’est un métier où vous ne travaillez pas de 8h00 à 17h00. Vous y travaillez 24 heures sur 24 sans compter les heures supplémentaires. Si l’actualité le veut, vous travaillez souvent jusqu’à 23h00 ou à minuit. Donc c’est un engagement particulier par rapport à un métier traditionnel. D’un côté il y a la passion, de l’autre la mission. Informer est une mission noble. Je ne crois pas que les jeunes se désintéressent du métier parce qu’il y a toujours un mythe qui se cache derrière. Tant qu’il y aura la passion, il y aura des journalistes ! Il suffit de voir les effectifs des instituts de journalisme et de communication en Suisse qui ont explosé ces dernières années. Selon une étude faite il y a deux ou trois ans, l’inscription d’étudiants dans ces instituts a augmenté de 900% en une dizaine d’années.