Reportage

Interdiction de fumer dans les lieux publics

Toute la Suisse est bientôt non fumeuse : quelques points de vues des vaudois en voie d’être concernés.

L’Europe s’y est presque entièrement mise, Neuchâtel vient de le faire, Genève l’a tenté, et Vaud le fera cette fin d’été : la Suisse va bientôt ne plus du tout fumer dans les lieux publics. D’après les votations, il s’agit de la volonté d’une majorité des Suisses. Afin de nous rendre compte de cela, rencontre avec les clients d’un bar de Morges (fumeur), par un samedi après-midi ensoleillé.

Une dame d’âge noble est attablée à la terrasse devant un café crème. Sa position est claire : pour elle, pas besoin pour satisfaire son vice de le faire vivre à des personnes qui ne le souhaitent pas. Elle se remémore un autre temps où les gens fumaient littéralement partout, et que cela passait pour normal. Y compris de la part du professeur qui fumait dans sa salle de classe. Elle a vu la société évoluer et qui se doit aujourd’hui de légiférer sur des aspects que l’Homme aurait pu gérer seul, s’il n’avait été aussi individualiste.

A côté d’elle, quatre adolescents, dont trois ont une cigarette à la main. Celui qui n’en a pas le justifie presque automatiquement : il souffre d’asthme, ce qui lui mène bien souvent la vie dure. Il souligne qu’en dehors de la cigarette, la pollution est un autre aspect qui lui cause problème, mais dont on ne parle pas. Son voisin, concerné par les ennuis de santé de son ami, ne sera pas gêné de devoir « se les geler cinq minutes » pour le bien-être de ceux qui pourraient en souffrir. Une discussion s’ensuit sur les avis de chacun, le plus extrême déclarant que les non-fumeurs n’ont qu’à rester chez eux, comme ils l’ont apparemment fait jusqu’alors.

Arrive la serveuse, qui connaît les journées de huit heures dans ce lieu qui peut être très enfumé, surtout le week-end. Elle-même fumeuse, elle n’a même pas besoin de s’en « griller » une les soirs de forte ambiance, l’atmosphère lui apportant la nicotine nécessaire. Proche du patron, non-fumeur, elle sait aussi quelles craintes planeront sur l’avenir du bar une fois que le canton se sera aligné sur ses voisins.

A l’intérieur, un couple d’une quarantaine d’année évoque l’intolérance que représente cette loi. Elle, ancienne fumeuse, regrette que la position des législateurs soit si radicale. Elle estime qu’il faudrait un juste milieu permettant à tous de sortir s’amuser sans changer toutes les habitudes et les clientèles. Elle se demande aussi comment l’aspect social ressortira de cela. Les fumoirs ne lui apparaissent pas comme une réalité possible pour la majorité des commerçants. Quant aux possibilités de fumer à l’extérieur, elle ne voit pas l’intérêt de  réprimer les fumeurs pour leur chauffer des terrasses au mazout. Elle trouve à cela un message contradictoire.

Son mari, qui a très peu fumé, est moins nuancé. Il lui semble normal qu’un tel risque soit évité à la majorité, car les fumeurs ne sont qu’une minorité. Il parle des femmes enceintes, des travailleurs dans les espaces publics, des artistes se produisant sur scène. Sa femme ose lui rappeler que lui aussi est passé par une phase revendicatrice de droits adaptés aux libertés de chacun. Il rit mais ne revient pas sur ses paroles.
L.C.

Édito

Longue vie pour l’interdiction de fumer

Viviana von Allmen
Un peu partout dans le monde, les autorités ont imposé la prohibition de fumer dans les lieux publics. Certains sont allés plus loin question de ne pas fumer dans les logements d’habitation, voir des compagnies qui interdisent la consommation du tabac à leurs employés. En principe la mesure de l’interdiction est bonne mais, qu’en est-il du droit des fumeurs de se foutre la vie en l’air ?  Quel est le but de cette démarche ? Serait-elle éthiquement correcte ? Et quelles seront les conséquences ?
Les restaurants, les bars les EMS (établissements médico-social) les hôpitaux ne sont de loin pas les premiers à interdire la fumée dans leurs murs, y compris en Suisse. L’applicabilité pratique de la mesure est donc démontrée par l’acte. Une certaine controverse existe par contre quant à la possibilité de remplacer l’interdiction complète de fumer par une interdiction ne frappant que la plupart des espaces d’un bâtiment, certains espaces ventilés étant réservés comme espaces fumeurs.
C’est la solution adoptée dans certains lieux publics clos, tels les aéroports, les restaurants ou certains autres systèmes sanitaires. Le Portugal, par exemple, a complètement interdit le tabac dans les hôpitaux, entre autres. La Hollande, par contre, permet des lieux réservés aux fumeurs dans certains types d’établissements publics. Pour sa part en Italie, le législateur oblige les restaurateurs et les patrons de bar à dénoncer à la police les clients qui refusent d’éteindre leur cigarette. On pourrait dire que dans la péninsule la loi appelle à la délation.
A noter que les directives américaines pour l’interdiction de fumer dans les hôpitaux prévoient que des exceptions seraient possibles. Mais la plupart de ceux-ci ne font pas usage de cette possibilité. Admettons que le tabagisme direct soit nocif pour la santé, et qu’il réduise l’espérance de vie de beaucoup de fumeurs. Admettons que le fait qu’une personne fume soit une décision personnelle qui relève de son autonomie et que celle-ci est du ressort de la sphère de sa vie intime et donc respectable. En imposant l’interdiction totale de fumer dans les lieux publics, on obliger les fumeurs à sortir dans la rue (par n’importe quel type de temps) pour fumer leur clope, les exposant à un grand risque de  tomber malade voir de mourir. Avant d’interdire, le législateur aurait du prévoir une solution pour cette population déjà fragilisée !
La justification de l’interdit de fumer en tant que mesure de protection est basée sur l’un des devoirs fondamentaux des états qui est la prévention des maladies.
Ce devoir est issu d’un souci de bienfaisance vis-à-vis de personnes vulnérables. Y a t-il une contradiction ou un choix délibéré de qui a le droit de vivre ?
Concernant cet aspect de l’interdiction de fumer, une certaine tension existe car la mesure d’interdiction n’est pas dénuée de risques pour les fumeurs. Outre l’investissement qui leur est demandé en terme d’effort, on les contraint à une certaine a-socialisation.
A propos : si mon équation est juste – moins on fume plus on vi… et l’AVS auras son mot à dire !