Conte

Beautés humides

C’est un 6 mai, un jour comme un autre près du port de Bergen en Norvège. La ville se réveille, 8h42 à l’horloge de l’hôtel de ville, quelques passants, la place du port avec son marché aux poissons, et Bryggen, rideau de maisons de pêcheurs colorées et patrimoine de l’UNESCO, qui rayonne déjà dans la baie. J’attends en mangeant le sourire aux lèvres un sandwich au saumon fraîchement pêché dans la matinée !

Les mouettes matinales crient déjà famine. Sur la place, trois pêcheurs, des bottes jaunes, les traits marqués par le travail, la fierté de ramener ici et là un homard, quelques saumons frais, qui discutent. Un œil sur les bateaux qui sortent et reviennent, un œil impatient, un œil sur le départ, un œil dans la fuite, un œil rêveur, curieux de découvrir le Sognefjord et ses 204 kilomètres qui en font le fjord le plus long d’Europe.

Le ciel ne sait pas encore tout à fait ce qu’il veut. Des nuages, quelques gouttes de pluie, l’humidité au petit déjeuner, mais la timide lumière du soleil qui n’attend que de se dévoiler. Le printemps s’impatiente dans les reflets voilés de l’eau, un air de mélancolie. Un voile de fines gouttes de pluie, une incertitude, un doute qui n’accepte pas de s’assoupir, sublimés par la joie de
partir se perdre.

9h30 : le bateau amarre au port, une navette moderne, rapide, blanche, un catamaran à cabine aérodynamique. Lorsque j’y entre, je suis comme un enfant qui s’émeut, les yeux pétillants, une renaissance dans la grisaille ambiante. Et puis le départ enfin, les moteurs s’allument, un dernier regard comblé sur les pentes escarpées de Bergen, où les rues, qui s’enlacent autour de maisons
souvent bleues, parfois rouges, de temps en temps vertes m’évoquent bizarrement Lisbonne et ses vieilles ruelles pentues. Je dis au revoir et à bientôt au Loevstakken et au Floeien, ces deux massifs qui abritent la ville dans une cuvette.

Les paysages défilent, changeants, divers, parfois des rochers, aiguisés, surgissant au milieu des eaux, un phare, tout autour d’autres bouts de terres éparpillés, comme des murs qui laissent ouverte une fente pour le passage de l’eau en de multiples endroits, la mer du Nord, l’océan, les courants qui se découvrent entre les falaises, les eaux qui respirent, presque irréels. Comme une peinture de Magritte où s’harmonisent des formes apparemment incompatibles, une fresque de nature sauvage où je croise parfois un éléphant de mer, un dauphin, un écrin de liberté, une route sans apparentes limites, une fuite continue vers un infini de nuances lumineuses.

Quand il pleut, le hublot me sert de fenêtre, d’isolement, d’échappatoire pour un regard conquis par la diversité des paysages. Quelques gouttes épousent alors doucement la vitre où le flou dissimule tendrement les traces d’azur. Alors souvent, quand le soleil revient, je cours respirer l’air pur pour mieux m’imprégner du sentiment d’humilité que m’imposent les diverses montagnes qui sortent des profondeurs marines, ces massifs qui forment les rives du fjord et le rendent si particulier.

Plus on avance dans les terres, plus les villes et les villages épars surgissent au contour d’une montagne, ces endroits tellement loin de tout, tellement proche de l’essentiel, un vieil homme qui amarre son bateau de pêche, ces bourgades qui n’ont souvent aucun passé, mais qui pourtant racontent tellement d’histoires. Des habitations tombées de nulle part, sur une île, esseulées dans une petite forêt, avec un port privé, ces devantures si colorées qui s’écrivent discrètement, s’inscrivent, se reflètent dans le déploiement des vagues souples, claires, comme des miroirs plissés qui caressent les rives ; une eau d’un autre monde.

11h30 : Balestrand, au crochet du fjord, dans le comté du Sogn og Fjordane, l’hôtel Kvikne, une belle façade en bois, comme un bout de Suisse si loin de l’Helvétie, mais bien plus grande, bien plus spectaculaire, bien plus généreuse, où l’église Saint-Olaf, typiquement norvégienne, tout de bois construit, comme si la foi était fragile dans ces vallées inondées, s’érige au milieu de la ville.

Un dernier tour à l’extérieur le temps d’un rayon de soleil, sur le pont encore humide, les vagues derrière la navette, un drapeau norvégien, les turbines dans l’Aurlandsfjord et une falaise, droite, limpide, comme si elle nous tombait dessus. Tout au bout, Flaam, destination finale de l’excursion. La fuite assouvie, la sérénité retrouvée, la paix, le silence, la fraîche jouvence d’un torrent qui se jette à flanc de rocher comme une renaissance.
AW (Alexandre Wälti)

Analyse

Quand l’être humain joue à se faire peur

Pour partir à la découverte de son univers, le petit enfant commence par escalader son lit à barreaux. La peur, il la rencontre vite, soldée par un genou couronné ou une bosse au front. Mais rien n’arrête son besoin d’acquérir des connaissances, de surmonter ses craintes et d’accroître ainsi sa confiance en lui.  Autrement dit, à travers la quête des limites, l’individu cherche ses
marques, teste ce qu’il est, apprend à se connaître, à se différencier des autres, à redonner une valeur à son existence.

Dans la vie de tous les jours, lorsque nous prenons des risques, notre cerveau évalue les possibilités de gains et de pertes. En réalité, dès que notre cerveau estime qu’il y a incertitude, nous estimons qu’il y a prise de risque. Le « risque » est donc omniprésent, en effet ce matin vous êtes peut-être parti de chez vous sans votre parapluie, alors que de gros nuages pointaient leur nez ou alors grillé le feu rouge parce que vous n’aviez pas envie d’attendre ?

Tous les jours, nous prenons des risques et parfois même sans en avoir pleinement conscience. Toutefois, face au «pile ou face» du danger, nous ne sommes pas tous égaux, puisque certains prennent sciemment des risques importants. Bruno Sicard, spécialiste des environnements extrêmes explique qu’ « il existe probablement une sorte d’homéostasie du risque, que nous devons maintenir à un certain niveau. Selon les individus, le curseur est placé à un niveau différent?: certains vont prendre beaucoup de risques dans leur vie, d’autres beaucoup moins ».

Les avides de sensations fortes, côtoient la ligne de l’incertitude, de la vie ou de la mort de manière extrême et en tirent du plaisir. En effet, chez ces dernières, la prise de risque semble être un besoin vital, biologique comme celui de boire, manger ou dormir. Plus loin encore, les plus rebelles peuvent faire violence à ces instincts primitifs. Leur soif de risque est liée de manière perverse au danger et ne peut être étanché qu’une fois ce dernier surmonté. Autre explication, un ego surdimensionné qui incite sans cesse à confirmer leurs capacités. Au niveau cérébral, ce besoin d’entreprendre de telles actions semble relever les mêmes mécanismes que la quête du plaisir : la dopamine, la petite molécule du plaisir et de la récompense, est activée dans ces deux situations. Au passage, remarquons que cette molécule est créée par la testostérone, c’est d’ailleurs ce qui expliquerait pourquoi l’on retrouve aux premières loges du risque les jeunes de sexe masculin. 
Par ailleurs, les zones cérébrales de la récompense semblent intervenir très en amont de la prise de risque elle-même, au moment où nous décidons si oui ou non nous allons
prendre un risque. Plus étonnant, avant une prise de risque considérable (pour un individu avide de risque) la personne semble prête à tout et sent un effet euphorisant occasionné par la production d’endorphines libérées. Mais tout de suite après avoir effectué un acte particulièrement danger et risqué, l’état d’esprit chante considérablement, puisque le niveau de prise de risque revient à celui d’un individu normal. Comme s’ils en étaient rassasiés. Peut-ont alors dire que les accros du risque dénotent un déséquilibre du comportement ? Bien sûr que non. En effet si nous sommes globalement effrayés par un risque excessif, il y a toujours des exceptions. Selon certains chercheurs, il s’agirait surtout d’une question de sensibilité cérébrale.  Plus notre cerveau
est sensible aux gains et aux pertes, plus nous sommes réticents à l’idée de prendre des risques. Ainsi, chez les plus craintifs l’étiquette « récompense » est activée lors d’un possible gain et s’éteint lorsque les pertes possibles prennent le dessus. À l’inverse, chez un audacieux ces questions sont beaucoup moins fermes. 
Tout serait donc question d’équilibre et conduit une réponse différente à la question : mon risque est-il légitime ? Et vous, plutôt du genre à tenter le diable ou rester assis devant un film d’horreur ?
A.B.L