Mode de vie

Un permis tenant sur un fil

(Conte basé sur un fait divers)

Tous les matins, c’est pareil. Voitures, embouteillages, piétons, vélos… Impossible de se rendre au travail sans piquer une crise de nerfs. Des pigeons suicidaires en passant par les conducteurs distraits, je pensais avoir fait le tour de toutes les réjouissances de la circulation routière. De toute évidence, j’avais tort. La sécurité sur la route ne tient qu’à un fil. La preuve…

C’était une journée qui débutait comme les autres. Un peu pressée par le temps, j’avalais rapidement un café, descendait au garage et mettais le moteur de la voiture en marche. Je vérifiais l’heure à ma montre pour savoir de combien de temps je disposais pour arriver au travail. Une marche arrière, et me voilà roulant sur le bitume, empruntant le chemin habituel. Depuis l’obtention de mon permis provisoire il y a deux ans, je me suis habituée à ce trajet quotidien :
au croisement, à gauche, direction autoroute, première sortie. Ce que je n’avais pas prévu, c’était la panique dont j’allais être saisie ce jour-là.

Assise sur mon siège et tout à fait concentrée, j’observais les voitures devant moi jusqu’à ce qu’une tache noire vienne perturber le paysage. Car mes yeux se dirigeant sur le point en question, j’ai aperçu, déployant ses horribles pattes désarticulées, une araignée qui se promène le long du pare-brise. La panique me fait me blottir plus profondément dans mon siège. Mes yeux sont grands ouverts, mais rivés sur cette bête répugnante qui ne cesse de gesticuler. Tant bien
que mal, je tente de reprendre le contrôle sur moi-même et
essaie de réfléchir à une solution pour venir à bout de l’animal. Objectif inatteignable, car l’araignée s’approche un peu plus de moi. Mon visage est complètement crispé par la peur qui s’empare de mon être. Pas seulement de mon
corps, mais aussi de ma tête et de mes pensées. Mon cœur bat fort, je le sens soulever ma poitrine. Mes mains moites étranglent à présent le volant.

Ce qui me dégoûte chez elle, je ne saurais le dire précisément. C’est un tout. Sa physionomie où l’on ne distingue rien d’humain, sa tête immense où se fixent huit pattes fines et fragiles, solides et dociles. Les fils qu’elle tisse, ouvrage consacré depuis la nuit des temps, irritants et collants, tentant de m’emprisonner comme n’importe quelle proie vulnérable. Mais cette danse à laquelle elle se voue, ses mouvements rapides ou sensuels, la dextérité de ses membres avec lesquels elle joue m’horrifient et me terrorisent.

Sent-elle ma peur ? Sait-elle de quelle phobie je souffre ? Je n’en sais rien. Quoi qu’il en soit, c’est pour m’achever que la bête s’éloigne du pare-brise et descend dans ma direction, faisant son show comme une star du Moulin Rouge. Pétrifiée, je pousse un cri aigu. Les larmes me montent aux yeux et dans un geste de désespoir, j’essaie de la repousser sans la toucher. Le trajet habituel finit par dévier vers la voie opposée, où l’accident ne se fait plus attendre : collision frontale. Je m’extrais rapidement de mon siège et de ma voiture, poussée par l’adrénaline. Une fois éloignée de la scène, je prends conscience de ce qui vient de se produire. Personne n’est blessé, mais la police se dépêche sur les lieux pour effectuer un constat. J’explique ma version des faits à l’agent, encore sous le choc et la panique. Sa réponse exaspérée est sans appel :
« Mademoiselle, vous n’êtes pas en mesure de conduire un véhicule. Les phobies se soignent de nos jours. Allez consulter. Et donnez-moi votre permis de conduire provisoire ; je vous le retire ».
A.D. Ana Dias

Eclairage

L’horreur : un phénomène banalisé ?

En novembre 1960, le meurtre de Marion Crane dans sa douche terrorise des salles entières de cinéma. Cette fameuse scène du film Psychose d’Alfred Hitchcock, reprise et plagiée de nombreuses fois a donné un coup de fouet au cinéma de l’horreur. Plus tard, en 1973, L’Exorciste fait encore mieux : certains pleurent, d’autres s’évanouissent, des ambulances sont présentent à la sortie des cinémas. Certains films d’horreur ont donc eu un grand impact à l’époque et nous sont encore connus comme étant terrifiant. Aujourd’hui, beaucoup regardent le film d’Hitchcock sans peur tandis que d’autres se plongent dans le monde de L’Exorciste seuls, chez eux dans le noir sans en sortir traumatisés plus d’une semaine. Le fait que peu de films d’horreur
d’aujourd’hui, et surtout les anciens, nous fassent ressentir une peur viscérale comme ce fut le cas auparavant dénote donc un certain changement : Sommes-nous moins réceptifs à la peur ou a-t-elle disparu des films du genre ? Pourquoi rigolons nous ou ennuyions nous devant un «vieux» film d’horreur ?

Une des réponses se trouve dans l’évolution des effets spéciaux : initiés dans les années 20 par Georges Méliès, on retient surtout la performance de King Kong en 1933 utilisant le stop-motion (qui permet d’obtenir un mouvement à partir d’objet immobiles). Mais de King Kong aux films d’aujourd’hui, les effets spéciaux, notamment les effets assistés par ordinateur, permettent aujourd’hui de créer techniquement ce que l’on veut à l’écran. Aujourd’hui, la création de monstres et d’effets sanguinolents n’est un problème pour personne.

Ces avancées techniques permettent aussi le fait que là où le monstre (humain ou non) et le meurtre étaient suggérés, ils sont aujourd’hui montrés sous tous leurs angles. Si une chose est importante dans le processus de la peur qu’utilisaient les anciens films d’horreur, c’est l’imagination, le méconnu et l’incompréhensible. La suggestion permet ainsi au spectateur de faire appel à son imagination et d’aller plus loin que ce que le film pourrait montrer, lui instillant ainsi une peur qui lui est propre, une vision du meurtre qu’il s’imagine lui-même et un monstre qui le terrorise. Cependant, après avoir vu le corps entier du monstre (pensons à Alien par exemple) et ce que peut faire une tronçonneuse, une faucille, un couteau, une hache etc. au corps humain, lorsque le spectateur regarde le film qui lui suggère une scène, celui-ci s’arrête sur cette vision qu’il a déjà vue dans d’autres films plus récents (d’horreur ou d’autres genres).

Il est aussi possible que l’évolution du genre lui-même soit responsable de cette désensibilisation : les anciens films d’horreur jouaient plus sur la tension, l’atmosphère, alors qu’aujourd’hui les films se concentrent plus sur le côté anatomique. De plus, le nombre de films d’horreur existant aujourd’hui n’est en rien comparable à ceux d’hier : on se trouve donc dans une situation où le scénario est souvent déjà-vu. La preuve est faite par les catégories de films
d’horreur : Le Slasher met en scène les meurtres d’un tueur psychopathe (généralement à l’arme blanche), le Rape and Revenge, initié par La dernière maison sur la gauche de Wes Craven, montre une femme subir des violences sexuelles et sa vengeance sur ses bourreaux, le Survival (Massacre à la Tronçonneuse, Haute Tension, REC) est un genre où l’unique but est de tenter de
survivre par la fuite. Ainsi, le fait de voir aujourd’hui un vieux film du genre, dont le scénario a été reproduit maintes et maintes fois ne produit plus aucune réelle attente, tension et surprise sur le spectateur.

Mais si les anciens films du genre ne montraient pas autant de violence, de scènes crues, cela était dû premièrement a une technique qui n’existait pas encore (effets spéciaux) mais aussi à cause de la censure : si la violence a augmenté dans les films du genre, c’est aussi dû à un changement de nos mentalités, de notre perception de la violence, de la peur qui a donc repoussé
petit à petit ce qui était censuré (typiquement, les scènes de nu). Par les médias, nous sommes peut-être plus confrontés à la violence qu’il y a 50 ans : il n’est pas rare de voir des images violentes à la Télévision et sur Internet, dans le monde qui nous entoure. Le fait d’entendre parler de toute cette violence dans les médias nous y habitue. En revanche, voire de vraies scènes de
violence est rare, ce à quoi les films d’horreur d’aujourd’hui répondent en montrant de la violence extrême, à l’état brut. La violence n’était pas aussi banalisée qu’aujourd’hui, ce qui explique en partie pourquoi les personnes d’il y a 50 ans y étaient plus sensibles. On peut aussi noter ce changement au travers de la catégorisation du genre même de l’horreur : Si King Kong (1933) et
Gozilla (1954), par exemple, étaient auparavant catégorisés comme films d’horreur, ils appartiennent aujourd’hui à la science-fiction.

Ainsi, le monde du film d’horreur a bien changé en 50 ans, caractérisé par les inventions techniques du monde du cinéma mais aussi par une violence accrue. Bien moins imaginaire
qu’auparavant, elle témoigne non seulement de l’évolution
du genre, mais aussi d’une évolution de nos mentalités : une censure bien moins présente, puisque beaucoup regardent des films d’horreur de plus en plus jeunes, une banalisation de la violence, demandant donc toujours plus aux films d’horreur pour nous faire peur. Au vu de ces changements en 50 ans, on peut se
demander jusqu’où iront les films d’horreur pour satisfaire un public de moins en moins sensible à la violence?
G.T.