Voyage

Couleurs du désert – épisode 2

 

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Mes premiers pas sur cette terre inconnue se passent comme dans un rêve. L’horizon s’étend à perte de vue. Mon regard s’échappe sans que je puisse le raccrocher à quoi que ce soit de familier.  A mesure que le petit village s’éloigne derrière nous, je me sens comme happé par ce vide, cette immensité. Le silence nous dévore. Je tâte machinalement ma poche avant pour sentir la présence rassurante de mon téléphone portable… Raté, il n’y a pas de réseau au milieu du désert. Mon Samsung est sagement resté en Suisse. Peu après le repas de midi, la doyenne de l’expédition (65 ans) chute sur des pierres. Elle s’entaille profondément le coude et sa jambe enfle de façon inquiétante. On craint un instant que l’aventure ne s’arrête là pour elle, mais sa formidable détermination et les soins des deux infirmières présentes dans le groupe la remettent sur pied. Plus loin sur notre chemin, un serpent déploie soudainement sa gorge et arrache quelques cris de stupeur, d’autres d’admiration. Finalement, tout le monde arrive sain et sauf au campement. Le soleil couchant embrase le sable couleur ocre de ses derniers rayons. La scène est idyllique. Comme la nuit tombe très rapidement, nous rassemblons des branches pour faire un feu, une fois le souper terminé.  Dans le désert, la nuit est royale. Si nos lits ne sont fait que d’une natte et d’un sac de couchage, le ciel étoilé surpasse largement le plafond ornementé du plus luxueux hôtel cinq étoiles. Ici, les étoiles sont dans le ciel, et elles filent, créant un ballet nocturne féérique qui m’a couté bien des heures de sommeil.

Chaque jour, nous effectuons nos cinq heures de marche, accompagnés par une vingtaine de dromadaires et des chameliers berbères*. Ceux-ci animent nos soirées avec leurs chants rythmés et leur joie communicative. Au fil des journées, la météo reste au beau (et chaud !) fixe, mais les paysages changent, évoluent et se transforment. Se succèdent les étendues arides et caillouteuses, les paysages montagneux et rocheux, les dunes de sable et les palmiers, etc. Même si nous vivons sans montre, le rythme de nos journées reste sensiblement pareil, sans échéances ni stress, dans le calme et la tranquillité. « Eux ils ont l’heure, nous on a le temps » dit à ce propos une maxime berbère. L’astre solaire est notre horloge naturelle. Pour son lever et son coucher, il nous offre un spectacle grandiose en fissurant le ciel de teintes flamboyantes et de dégradés majestueux. Du rouge sang au jaune canari en passant par le rose pâle, toute la palette des couleurs chatoyantes y passe. Un véritable feu d’artifice et un régal pour les pupilles.

Bien que nous ayons l’impression de vivre au ralenti, les journées s’enchaînent à un rythme infernal. Si bien que je suis surpris un beau matin de me retrouver au devant de la dernière étape. La marche commence par une route en lacet entre deux pans de montagne. Tout au long de l’ascension, les chameliers entonnent des chants berbères qui résonnent dans la roche. L’effet est grandiose et je me sens littéralement porté par ces airs. Arrivé au sommet du petit col, je me sens soudainement épuisé. Je chancelle et perds brièvement connaissance. Lorsque je rouvre les yeux quelques secondes plus tard, je me sens à nouveau beaucoup mieux. J’ai tout de même droit à une heure de dromadaire pour me reposer. Perché sur mon mammifère à bosse, je retrouve rapidement mes esprits. Mais je n’étais pas au bout de mes surprises ! Charles nous avait réservé une étape beaucoup plus longue que la moyenne pour nous tester. La marche semble interminable. Derrière chaque petite colline, je m’attends à découvrir le camp, mais c’est toujours le même spectacle qui nous attend : une large plaine ou une nouvelle colline, mais pas la moindre tente. Pour la première fois de la semaine, j’éprouve un certain énervement envers ce désert immense et impitoyable. Alors que la nuit tombe, nous apercevons enfin un feu au fond d’un vallon. Une trentaine de minutes plus tard, nous voilà tous rassemblés autour du brasier, un verre de thé bien sucré à la main. Chez la majorité, la satisfaction de l’effort accompli a remplacé la frustration et l’épuisement et chacun profite de sa dernière nuit à la belle étoile.

Le retour en Suisse est ponctué de séparations et d’arrachements : les chameliers, la vie de nomade, le désert, le Maroc et enfin notre groupe. C’est à ce moment que nous réalisons qu’une semaine a suffi à tisser des liens très forts. Cette immensité désertique nous a réunis et nous a permis de vivre des moments en communauté inoubliables. Car le désert, c’est bien plus qu’un simple voyage touristique. Le désert, c’est partir à la découverte d’un univers inconnu, coupé du reste du monde, hors de toute limite temporelle. Le désert, un gros effort au départ, mais une magnifique récompense à l’arrivée.

RCR

*ethnie marocaine

Voyage

Couleurs du désert – épisode 1

 

Les cailloux qui parsèment le chemin me tirent brusquement de mon sommeil. La jeep qui doit nous conduire dans le désert marocain a abandonné la route goudronnée pour emprunter une piste en terre battue. A travers la vitre, on devine d’immenses étendues que l’obscurité enveloppe progressivement de son grand manteau noir. Assis sur des ruines, des jeunes discutent tandis que des chiens errants aboient tristement à notre passage. Mes genoux sont repliés sous le menton et la musique lancinante diffusée par la radio du véhicule m’empêche de retrouver le sommeil. Je me remémore donc les étapes qui ont précédé notre arrivée dans le désert…

Le matin-même, nous étions une trentaine à prendre l’avion de Genève à Casablanca pour vivre une semaine dans le désert marocain, sous la direction de Charles*, l’organisateur du voyage. Bien que d’âges différents (15 jeunes, 15 moins jeunes et 3 générations au total), nous nous sommes très vite sentis liés les uns aux autres, unis dans l’aventure qui nous attendait. Deux petites heures d’avion ont suffi pour rallier Casablanca, notre première escale, l’occasion de faire mes premiers pas sur le Continent Noir. Un petit avion nous a ensuite conduits jusqu’à Ouarzazate, petite ville située au Sud du Maroc surnommée « la porte du désert ». Cette appellation ne pouvait mieux convenir, car c’est effectivement dans cette ville que nous avons quitté la civilisation pour entrer dans un autre monde. A la sortie de l’aéroport, c’est avec un sentiment mêlant excitation et appréhension que nous sautons dans les Jeeps. Et en même temps que les 4X4 s’enfoncent dans les profondeurs du désert, elles nous plongent dans l’inconnu.

La chaussée se fait de plus en plus bosselée. Je décide donc de rester éveillé en espérant bientôt toucher au but. Après un peu plus de quatre heures de route, le véhicule s’arrête enfin. Ecrasé par la fatigue, je me laisse guider jusque sur le toit d’une maison typiquement marocaine. Je me glisse rapidement dans mon sac de couchage avant de découvrir pour la première fois le spectacle qui nous sera offert tous les soirs : un ciel noir charbon criblé d’étoiles plus flamboyantes les unes que les autres. La fatigue l’emporte malgré tout sur mon émerveillement. Le lendemain matin, les premiers rayons du soleil nous libèrent doucement des bras de Morphée. Debout sur le toit, chacun découvre le paysage désertique qui s’étend tout autour de nous. Avant de partir, nous enfilons une longue robe (djellaba) et une écharpe autour de la tête (chèche) pour nous protéger des rayons du soleil. Des enfants du village curieux se pressent autour de nous, comme pour nous souhaiter un bon voyage dans «leur» désert.

À suivre… Lire l’épisode 2

RCR

*prénom d’emprunt