Eclairage

Faux diamants, fausses fourrures, fausses marques, lorsque les apparences suffisent à satisfaire le peuple…

Saviez-vous que l’industrie du textile est autant touchée par la contrefaçon que les pièces automobiles ou les médicaments? Cela peut paraître étrange car le textile n’a fondamentalement pas d’autre but que de nous vêtir, contrairement aux pièces automobiles qui ont comme utilité de faire fonctionner la voiture, qui va nous conduire là où on le désire ; ou encore les médicaments qui servent à nous guérir. A vrai dire le fait que des vêtements soient contrefaits peut sembler curieux, par rapport aux deux autres domaines mentionnés car ces derniers sont copiés sur des produits réglementés, qui doivent suivre des règles de sécurité car leur coût est généralement élevé. Si des vêtements sont contrefaits c’est parce qu’ils appartiennent à une marque protégée par la propriété intellectuelle. Et comme à chaque fois qu’il y a une règle, cette dernière peut être enfreinte.

Si la contrefaçon touche plus fortement l’industrie du luxe c’est pour la raison qu’elle  joue sur l’image sociale du produit. C’est-à-dire, que la marque essaye de véhiculer, par la publicité, certaines croyances dans l’inconscient collectif en rapport avec leurs produits. Par exemple, la marque française Louis Vuitton fait apparaître des célébrités dans ses publicités. Elle promeut donc la beauté, la richesse et la célébrité, concepts qui font rêver la plupart d’entre nous. Les individus qui achètent des produits de la marque, n’achètent pas le vêtement mais les concepts qu’il véhicule, garantit par la signature propre à la marque. De ce fait, une grande partie de ces objets sont très faciles à reproduire car ce que le consommateur recherche est ce qui caractérise l’enseigne : le logo. Il suffit alors de tisser le symbole sur l’habit car ce n’est pas le produit qui compte mais la griffe, c’est le nom que l’on va acheter.

A cela s’ajoute que le marché du luxe s’est considérablement démocratisé depuis une vingtaine d’année. Jadis, il ne visait que quelques privilégiés. Désormais, le luxe est accessible à presque tout le monde.

Les gens aiment montrer qu’ils ont réussi.

Depuis longtemps, l’homme cherche à afficher une ségrégation entre les classes sociales. Et pour y parvenir, quoi de mieux que de posséder des produits chers, permettant de cultiver sa supériorité? Cependant, avec la « libération » du luxe, cette distinction est devenue de moins en moins évidente. En effet, il est désormais accessible à la grande majorité de la population. Malgré cela, ceux qui n’ont pas les moyens de s’approprier ces objets ne veulent tout de même pas paraître misérables et vont alors se tourner vers la contrefaçon. Ils achètent donc un vêtement qui est presque identique à celui qui sort de la fabrique officielle de la marque, en moins cher.

Les faussaires vendent une illusion de richesse à moindre coût.

Dans notre société de consommation, la contrefaçon souligne l’importance du paraître et l’illusion de la richesse. Le succès des imitations réside dans le fait que généralement, les gens tentent de paraître plus riche qu’ils ne le sont en réalité. Néanmoins paraître n’est pas être. Et cela certaines grandes marques l’ont compris. Ainsi, au lieu de se contenter de regarder leur argent fluctuer avec leurs produits, elles produisent également leurs propres contrefaçons qu’elles revendent moins cher!

Pour conclure, rappelons que l’apparence est la première chose que l’on renvoie aux autres. Généralement, les hommes aiment donc montrer qu’ils ont réussi, inspirant ainsi la confiance. Néanmoins, au vu des éléments développer plus haut, on peut constater qu’une marque ne rend pas ses consommateurs plus riches. D’autant plus si ces derniers essayent de paraître plus que ce qu’ils sont. S’ils sont démasqués, ils risquent d’être l’objet d’une méfiance accrue… car comment croire quelqu’un qui essaye de nous tromper sur la marchandise?

A.Ha

 

Evénements

Les journées philosophiques de Bienne

Pour la partie francophone, il y avait au rendez-vous plusieurs personnalités françaises du domaine de l’enseignement:

  • Jean-Luc Petit, Prof. à l’Université de Strasbourg et chercheur au Laboratoire de Physiologie de la perception et de l’action  au Collège de France à Paris.
  • Catherine Vidal, neurobiologiste, Directrice de recherche à l’institut Pasteur et membre du comité scientifique «science & citoyen» du CNRS
  • Roland Gori, psychanalyste à Marseille et Prof. de psychologie et de psychopathologie cliniques à l’université d’Aix-Marseille.
  • Bernard Maris, docteur en sciences économiques, journaliste et écrivain.

Pour la partie germanophone, nous avons également eu droit à la présence de Ekkehard Martens, professeur à l’université de Hambourg, ainsi qu’à celle Konrad Paul Liessman, professeur à l’université de Vienne.

Le cycle s’est ouvert vendredi soir, avec la projection du film de Marie-Pierre Jaury «L’enfance sous contrôle».
Ce film documentaire présentait le fonctionnement actuel de la psychopathologie dans le traitement des enfants problématiques. On y montre la prise en charge de plus en plus précoce des enfants dits «à risque» et la progressive mise en place des nouvelles méthodes de dépistages et de classification des troubles de l’enfance.

Ce film est assez choquant sur plusieurs points. On y voit l’uniformisation de toute la psychologie, soumise aux  critères internationaux (pour ne pas dire américains) du DSM. Le DSM, Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, est devenu l’outil dominant de référence en psychopathologie, répertoriant de manière exhaustive et soi-disant objective l’ensemble des troubles psychologiques.

Ce manuel n’explique rien.
Il ne fait que mettre des noms et des chiffres sur des individus, ne recherchant aucune cause, aucune explication ni compréhension des troubles. De plus, son avantage d’utilité et de «langage commun» porte avec lui son inconvénient: les médecins ne peuvent plus communiquer sans faire référence au DSM, ce qui appauvrit considérablement le dialogue. Mais encore, à l’instar du monde technique et statistique d’aujourd’hui, par souci de vouloir cibler précisément, on multiplie les différents types de troubles, qui ne veulent finalement plus dire grand-chose, sinon qu’ils peuvent potentiellement être associés aux médicaments correspondants…

Jeunes et politique

Les enfants sont donc répertoriés sur des grilles d’analyses, et on en tire ensuite leur probabilité d’«être à risque», permettant ensuite de les traiter socialement en conséquence. Jusque-là rien de totalement catastrophique, sauf qu’alors le politique vient se joindre à la partie. Un maire UMP de la région parisienne a même mis en place un outil statistique (plus ou surtout moins scientifique) lui permettant de prédire l’avenir des enfants problématiques, avec une probabilité qu’ils deviennent de futurs délinquants: on commence presque à accuser quelqu’un de chose qu’il n’a pas encore faite; mais ce maire se défend de sa méthode en vertu de ce qu’on ne peut réfuter: la sécurité bien sûr! Tout le monde veut vivre dans une société sans problème, sans victimes, sans accidents….

Samedi, la série de présentation s’est ouverte le matin par Jean-Luc Petit et Catherine Vidal: une critique des méthodes et des interprétations en neurosciences. On peut constater que les outils d’observations actuels du cerveau (TEP, IRM, EEG) restent très imprécis et nos connaissances en la matière bien incomplètes.
Les deux chercheurs conseillent donc de s’abstenir de toute interprétation trop rapide et abusive des données. «En premier lieu, il est sage et prudent de ne pas se diriger vers les thèses réductionnistes de l’esprit, très dangereuses. Par exemple, on avait cru que le ressenti de la peur se situait dans l’amygdale, et que sans elle, la peur disparaissait. Or il s’est avéré que l’expérience avait été menée sans considération d’un élément important: La patiente SM sans amygdale avait une attention dirigée différente que la moyenne sur les visages, elle ne fixait que peu les yeux. Lorsqu’on lui a demandé de fixer les yeux des visages effrayés, elle a alors dit ressentir de la peur…»

Cette expérience montre non seulement qu’il existe plusieurs éléments dans le processus de la peur, mais surtout, que le sujet est acteur (par son attention) et non simple objet dans ce processus.
Cela rend peut être un peu de dignité à l’être humain que les neurosciences semblent objectiver telle une machine.

Quand le tout se mélange

Il faut également se préoccuper du danger des découvertes en neurosciences et de leur lien avec la politique. Comme pour le détecteur de mensonge, utilisé aux Etats-Unis pour condamner les criminels, qui n’a pas réellement fait ses preuves et qui en soi est déjà un outil douteux, il serait alors inquiétant de vouloir détecter le mensonge dans le cerveau (des criminels) comme vérité établie: Imaginez que la science dans l’erreur juge sans équivoque votre incontestable innocence comme culpabilité!…

Les présentations de J-L Petit et de C. Vidal nous appelaient donc à la réflexion et à la prudence en neurosciences, face aux dérives si proches et faciles;  il faut à tout prix ne pas y céder.

S’en est suivi une éloquente intervention de R. Gori. De nouveau, il a critiqué le DSM, en expliquant qu’on ne peut actuellement plus publier dans les revues scientifiques majeures sans se référer au DSM. Il a aussi constaté son impuissance face à la psychologie intégrative, anglo-saxonne, qui se veut synthétique. Mais qui n’est finalement que normalisatrice, et qui prend les individus pour des nombres, des probabilités en terme de risque social, à l’instar de la finance qui parle de produits à risque…

Il cita plusieurs fois Foucault, pour rappeler le lien étroit qu’entretient le savoir avec le pouvoir; Le savoir s’oriente toujours pour répondre aux problématiques et aux idéologies politiques. Or actuellement, on se trouve dans la politique de la statistique, de la gestion du risque, de la domination du marché (il parlera même de «religion du marché»), de la technique et des résultats à courts termes.

Les interprétations des pathologies sont faites par des commissions d’experts utilisant le DSM. Par souci d’économie et de contrôle, R. Gori dit que la psychiatrie est devenue «la gestion prévisionnelle des populations à risque», elle a pour tâche de «définir les normes et les classifications».

L’après-midi, c’est Bernard Maris qui s’est lancé de manière très détendue dans une présentation de l’économie et de son histoire.
«L’économie s’est détachée de la politique à partir du XVIIIème siècle pour prendre son autonomie.»

Le premier ouvrage libéral est celui d’Adam Smith, qui fonde en même temps l’économie politique. A. Smith parle d’une «main invisible», qui guiderait le marché. Plus tard, c’est Karl Marx qui va vivement critiquer les problèmes inhérents au système capitaliste. Mais c’est à partir des années 30, avec Keyns,  que vont réellement commencer à s’affronter  divers auteurs et leur théories, et que va notamment s’opérer la distinction claire entre macro et microéconomie.

En gros, deux conceptions différentes de l’économie vont émerger. L’une parle de l’économie comme «pacificatrice» du monde, en permettant à chacun de tirer son profit et de générer de la richesse, alors que d’autres démontreront le contraire. Au centre de ce débat, la question est de savoir si l’homme est rationnel ou non, si la monnaie est neutre ou non, si le temps est une variable à prendre en compte… Finalement, il s’avérait que l’économie est loin d’être pacificatrice.

A partir de ces deux conceptions, la politique était dans une impasse: le monde était en train de se mondialiser, il était trop tard pour intervenir positivement dans l’économie en toute connaissance de cause. Dès lors les politiciens, les dirigeants, se sont détournés du «vrai et du faux» pour se tourner vers le technique. Oui, on ne comprenait plus rien, alors certains savants sont devenus des experts. Au lieu de proposer des théories, ils ont proposés des outils techniques. Les politiques, «affolées», ont écoutés sans rien comprendre les experts -qui ne sachant eux-mêmes rien de la finalité de ce qu’il proposait- leur présentait des moyens de résoudre les problèmes économiques.

Bernard Maris a donc critiqué le désaveu de la politique face à l’économie et le triomphe du néo-libéralisme, qui expose la croissance comme le premier bien de l’humanité. Certes, mais pour combien de temps encore?…

En résumé, cette journée avait pour but de montrer l’impact néfaste dans les sciences humaines de ce qu’on doit malheureusement sans doute admettre comme une nouvelle idéologie; l’idéologie du marché.

JonS

Derniers ouvrages :

Prof J-L. Petit : « Les neurosciences expliquent-elles ce qui nous fait agir ? »

C. Vidal : « Ordre moral, ordre social ? »

Prof R. Gori : « Traquer les anomalies : un danger pour la démocratie ? »

Dr B. Maris : « Quelle différence l’économie scientifique et l’idéologie ? »