Voyage

Couleurs du désert – épisode 1

 

Les cailloux qui parsèment le chemin me tirent brusquement de mon sommeil. La jeep qui doit nous conduire dans le désert marocain a abandonné la route goudronnée pour emprunter une piste en terre battue. A travers la vitre, on devine d’immenses étendues que l’obscurité enveloppe progressivement de son grand manteau noir. Assis sur des ruines, des jeunes discutent tandis que des chiens errants aboient tristement à notre passage. Mes genoux sont repliés sous le menton et la musique lancinante diffusée par la radio du véhicule m’empêche de retrouver le sommeil. Je me remémore donc les étapes qui ont précédé notre arrivée dans le désert…

Le matin-même, nous étions une trentaine à prendre l’avion de Genève à Casablanca pour vivre une semaine dans le désert marocain, sous la direction de Charles*, l’organisateur du voyage. Bien que d’âges différents (15 jeunes, 15 moins jeunes et 3 générations au total), nous nous sommes très vite sentis liés les uns aux autres, unis dans l’aventure qui nous attendait. Deux petites heures d’avion ont suffi pour rallier Casablanca, notre première escale, l’occasion de faire mes premiers pas sur le Continent Noir. Un petit avion nous a ensuite conduits jusqu’à Ouarzazate, petite ville située au Sud du Maroc surnommée « la porte du désert ». Cette appellation ne pouvait mieux convenir, car c’est effectivement dans cette ville que nous avons quitté la civilisation pour entrer dans un autre monde. A la sortie de l’aéroport, c’est avec un sentiment mêlant excitation et appréhension que nous sautons dans les Jeeps. Et en même temps que les 4X4 s’enfoncent dans les profondeurs du désert, elles nous plongent dans l’inconnu.

La chaussée se fait de plus en plus bosselée. Je décide donc de rester éveillé en espérant bientôt toucher au but. Après un peu plus de quatre heures de route, le véhicule s’arrête enfin. Ecrasé par la fatigue, je me laisse guider jusque sur le toit d’une maison typiquement marocaine. Je me glisse rapidement dans mon sac de couchage avant de découvrir pour la première fois le spectacle qui nous sera offert tous les soirs : un ciel noir charbon criblé d’étoiles plus flamboyantes les unes que les autres. La fatigue l’emporte malgré tout sur mon émerveillement. Le lendemain matin, les premiers rayons du soleil nous libèrent doucement des bras de Morphée. Debout sur le toit, chacun découvre le paysage désertique qui s’étend tout autour de nous. Avant de partir, nous enfilons une longue robe (djellaba) et une écharpe autour de la tête (chèche) pour nous protéger des rayons du soleil. Des enfants du village curieux se pressent autour de nous, comme pour nous souhaiter un bon voyage dans «leur» désert.

À suivre… Lire l’épisode 2

RCR

*prénom d’emprunt

Interview

Quand la lumière intérieure suffit à nous nourrir…

Tournant

Âgé d’une soixantaine d’années, Martin Rodi, né à Zurich, sent naître en lui l’envie de faire un pèlerinage. Professeur à l’école R. Steiner de Lausanne, il ne veut pourtant pas abandonner l’enseignement et ses élèves. En 2005  paraît le livre, Se nourrir de lumière, par Michael Werner, un témoignage de l’auteur sur sa propre expérience du jeûne. C’est une révélation, il tient son « pèlerinage ».

Incompréhension

Au début du processus décrit dans le livre, pendant une période d’une semaine, l’enseignant ne doit plus boire ni manger, ce qui, selon l’avis général, devrait entraîner la mort. Et pourtant, au matin du quatrième jour, Martin Rodi dit « s’être senti pris en charge » et à partir de ce moment il sait qu’il peut être serein, qu’il n’a plus à s’occuper de la nourriture. Il ne s’en occupera effectivement plus pendant cinq ans.

Au bout du septième jour, cet ancien graphiste est à nouveau autorisé à ingurgiter du liquide. Alors qu’il s’imaginait devoir boire des litres et des litres, se découvre désaltéré après deux verres.

Lumière

C’est ce sentiment de sérénité ressenti à partir du quatrième matin qu’il définit comme « lumière », comme « énergie nutritive ». Pour continuer à la ressentir, l’intéressé médite pendant des heures – ce qu’il n’arrivait pas à faire avant, car l’horloge digestive le tiraillant vite. Il est convaincu en son fort intérieur que grâce à cette lumière, il n’est pas « illuminé », mais que bien au contraire, il a une sensation plus affinée de la réalité, une plus grande sensibilité aux choses.

Énergie

Avec ce nouveau régime, Martin Rodi se dit aussi plein de vitalité qu’à ses vingt ans. Au cours de l’été il marche beaucoup, ne s’arrêtant que  pour laisser sa femme se reposer. Il dit se sentir capable « de marcher jusqu’à Paris ». Même ses élèves de dix ans, à la rentrée scolaire, lui font remarquer qu’ils le trouvent en meilleure forme qu’avant les vacances.

Dans des moments d’épuisement, il explique pouvoir se relier à cette énergie en quelques instants, et se sentir à nouveau bien. Il voit cela comme une disposition intérieure, être prêt à accueillir l’énergie.

Physique

Durant les trois premiers mois, le pétillant enseignant, plutôt bon mangeur et bien en chair, dit avoir maigri, jusqu’à atteindre un poids idéal pour sa taille et son âge. Une autre énigme médicale semble-t-il. Pourquoi ne continue-t-il pas de maigrir ? Martin Rodi explique que «la lumière lui apporte tous les nutriments dont il a besoin», d’autres pourraient y voir l’action du psychique sur le biologique.

Recommandations

À la question ; tout le monde peut-il faire ce  jeûne ? Martin Rodi répond qu’en théorie oui, mais sous certaines conditions. Pour sa part, l’ouverture à la spiritualité lui paraissait indispensable, sans lien direct avec une quelconque religion. L’autre facteur déterminant est la certitude profonde de vouloir le faire.

Arrêt du jeûne

Après ces cinq années de jeûne total, à la veille de Noël, M. Rodi mange à nouveau. Pourquoi, alors qu’il ne cesse de vanter les mérites de cette privation, a-t-il recommencé ? Plusieurs facteurs rentrent en compte. Le jeune retraité se rend compte que l’âge commence à se faire sentir et il réalise le sacrifice que cela représente pour sa femme. C’est ainsi qu’un beau jour il se dit : «  j’ai envie d’à nouveau partager un repas avec ma famille ». Il se garde pourtant la possibilité de recommencer à jeûner un jour ou l’autre.

Rien à prouver

Sans rien connaître de cette “nourriture par la lumière“ on peut s’attendre en s’entretenant avec Martin Rodi, à quelque chose de mystique aux relents de charlatanisme, et si l’on croit les résultats de recherche Google, la majeure partie du monde occidental pense que c’est le cas. Pourtant en connaissant le personnage, on se rend compte que ce n’est pas n’importe quel mythomane ou autre illuminé. Ce n’est d’ailleurs pas un fou que l’on voit en face de soi, mais un homme de septante ans, qui en fait cinq de moins, les pieds bien sur terre, et l’œil vif.

Par la suite, pendant l’entretien, ses dires n’ont fait que confirmer que nous avions affaire à quelqu’un de saint d’esprit. Il ne prône aucun mode de vie, ne parle qu’en son propre nom, n’essaye pas de prouver quoi que ce soit, mais seulement de partager, à qui le demande, son incroyable expérience. Il raconte même que pendant deux semaines, lors d’un voyage, pour éviter un incessant questionnement, il avait recommencé à manger. Une fois revenu en Suisse, il avait à nouveau cessé toute alimentation pendant les trois années suivantes.

AuBat